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les tribunaux des hundreds (1) et des comtés étaient impuissants contre les désordres. Cette situation violente donna une très-grande impor

autrefois le seigneur du manoir qui habituellement présidait la cour baron, c'étaient encore les francs tenanciers qui siégeaient dans celles du hundred et du comte; mais la plupart étaient,tance aux tribunaux où la justice du prince depuis la conquête, des étrangers, et il y avait entre les juges et les justiciables la distance qui sépare les vainqueurs des vaincus. La langue française fut seule autorisée dans les débats judiciaires, et il fallut que les Anglo-Saxons apprissent l'idiome des conquérants pour ne pas suc comber sous leurs subtiles chicanes comme sous leurs armes. Il introduisit, selon la coutume normande, quelques changements importants soit dans la procédure judiciaire, soit dans la composition des cours de comté. L'appel au combat judiciaire y fut admis et l'épreuve des Normands par le duel y fut substituée dans beaucoup de cas aux anciennes épreuves germaniques par le feu et l'eau.

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était rendue ce n'était pas que l'équité y fût beaucoup plus respectée pour elle-même; mais les juges royaux avaient un intérêt moins direct à l'enfreindre, et tandis que dans les tribunaux inférieurs l'homme dépendant et pauvre obtenait rarement justice contre l'homme riche et puissant, la couronne au contraire trouvait souvent son avantage à soutenir le faible contre le fort. C'est là surtout ce qui fit la fortune du tribunal célèbre connu sous le nom d'aula et de curia regis. Cette cour dans l'origine n'était pas distincte du parlement, ou grand conseil national, qui réunissait sous la domination normande, comme auparavant le wittena-gemot du temps des Saxons, les attributions législatives et judiciaires. Le grand conseil présidé par le monarque tenait ses séances solennelles trois fois l'an, aux fêtes de Noël, de Pâques, et de la Pentecôte, et les causes les plus importantes y étaient appelées. Dans la suite, la multiplicite des appels et le nombre toujours croissant des affaires firent sentir la nécessité d'établir un haut

Les assistants ou assesseurs des cours saxonnes étaient souvent autrefois tous les hommes libres du canton; mais les jurateurs étaient des hommes presque toujours appelés par l'accusé à témoigner pour lui les uns et les autres furent graduellement remplacés par des jurés limités à douze, au choix de l'assemblée ou de l'officier du prince d'après l'usage de Normandie. Guil-tribunal qui, composé du chancelier, des princilaume contribua ainsi à établir en Angleterre, au moins en principe, l'institution du jury, quoique sous une forme encore très-imparfaite; mais l'ancienne coutume prévalut longtemps, et l'usage normand ne devint universel que sous Henri II. Le changement le plus grave introduit par Guillaume dans les tribunaux de comté fut la distinction qu'il établit de fait, et pour les laïcs comme pour les clercs, entre la justice temporelle et la justice spirituelle, en séparant la cour du comte ou du sheriff de celle de l'évêque. La coutume qu'il introduisit à cet égard, innovation dans le pays conquis en ce qui touche les laïcs, était depuis longtemps en vigueur dans celui des conquérants; elle était favorable à l'Église, et il n'eut aucune peine à la faire prévaloir. En conservant les cours locales en Angleterre, Guillauine n'oublia point la plus importante des prérogatives dont il jouissait comme duc de Normandie; il maintint soigneusement son droit de juridiction suprême, et en dernier ressort sur tous les appelants, à son propre tribunal, et cette prérogative, dont lui-même et ses successeurs abusèrent tant de fois, eut néanmoins pour la nation, dans les premiers temps surtout, d'incontestables avantages.

A la suite du bouleversement général qui suivit la conquête, une foule de nouveaux propriétaires étaient des étrangers dans leurs domaines; il n'y avait aucun lien fondé par l'habitude, les souvenirs ou la sympathie entre eux et les anciens habitants, qui, en butte à des violences perpétuelles, rencontraient souvent leurs oppresseurs sur le siége des juges; et tandis que les conquérants guerroyaient et se déchiraient entre eux,

paux officiers de la couronne, de quelques hommes versés dans l'étude des lois et d'un certain nombre de barons désignés par le roi, qui siégeait dans la résidence royale et qui retint le nom de cour du roi (aula ou curia regis ). On confondit souvent encore ce tribunal avec le parlement, ou grand conseil national, parce qu'aux jours où le parlement s'assemblait les barons d'Angleterre, qui tous en étaient membres, avaient aussi droit de siéger dans la curia regis et jugeaient en commun avec les juges ordinaires les grands procès d'État. « C'était, dit le savant Madox, un privilége très-envié que celui de n'être jugé qu'en la cour du roi ; elle était sous les premiers rois normands l'asile des opprimés; et pour que les sujets vécussent en paix et protégés, il importait qu'elle fût puissante et souveraine. Avec le temps elle dégénéra, ses abus devinrent intolérables; et après avoir été une garantie contre la tyrannie locale, elle fut dans les mains du prince un redoutable instrument de despotisme et d'oppression. Toute l'Angleterre etait soumise à sa juridiction, sauf quelques portions du territoire les plus exposées aux invasions et où il était nécessaire que l'autorité locale fût plus active et plus forte. Guillaume accorda pour cette cause des droits réguliers aux comtés de Chester et de Durham; dans la suite l'île d'Ely et les comtés de Pembroke et de Lancastre les obtinrent également ces divers comtés furent désignés sous le nom de palatins.

Une autre cour, non moins digne d'attention que la cour du roi, était celle qui reçut le nom

(1) On appelait hundred chez les Saxons la réunion de cent familles,

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618 Au nombre des ordonnances les plus rigoureuses de Guillaume sont celles qui interdirent la chasse dans ses forêts; et c'est à tort qu'il en a été dit l'auteur. Leurs dispositions sévères contre les infracteurs furent extraites presque en totalité du code foncier de Canut le Grand. Tout homme libre durant la domination saxonne devait donner des cautions de sa conduite nonseulement pour le passé, mais encore pour l'avenir: Guillaume conserva soigneusement une telle loi, si avantageuse au pouvoir absolu. Les cautions d'un homme libre devaient le produire en justice à chaque sommation, prouver en cas quitter une amende : tout homme enfin sommé de fuite qu'elles le croyaient innocent ou acde comparaître était tenu de se présenter ou de payer pour son absence. Une loi enfin, qui fut comme la clef de tout l'édifice, rendit le roi seul et souverain juge de toute infraction commise royal, comte, sheriff ou prévôt, n'était justiciapar les dépositaires de l'autorité. Tout officier

GUILLAUME de l'échiquier, emprunté à la cour célèbre ainsi nommée en Normandie. Mais il y avait une différence capitale entre l'échiquier normand et l'échiquier d'Angleterre. Le premier était la cour suprême et d'appel de toutes les juridictions inférieures, le second limitait sa compétence aux causes qui intéressaient les revenus de la couronne, qu'il avait pour objet de défendre et d'accroître. Il était composé à peu près des mêmes membres que la cour du roi, mais il s'assemblait dans un lieu différent, dit ad scaccarium ou à l'échiquier. Les barons, presque tous complétement étrangers à la science des lois, étaient peu jaloux de leur droit de présence dans ces cours. Le roi désignait pour chaque session ceux d'entre eux qu'il invitait à y siéger. La plupart des causes étaient débattues en présence seulement du grand-justicier et des légistes ses assesseurs. Ceux-ci bientôt furent seuls arbitres des jugements; ils n'avaient d'autre mandat que celui qu'ils tenaient du bon plaisir du roi, dont l'autorité acquit ainsi rapidement❘ble que de la cour du roi. C'est par de tels moyens une extension prodigieuse.

Parmi les lois ou ordonnances empruntées par le roi Guillaume aux règlements en vigueur en Normandie, il faut compter la célèbre ordonnance du couvre-feu, qu'il avait depuis longtemps fait observer dans son duché, et qui, là comme en Angleterre, obligeait les habitants à rentrer dans leurs maisons et à éteindre leurs feux et leurs lumières à une certaine heure après le coucher du soleil: cette ordonnance eut pour but d'empêcher les meurtres et les brigandages nocturnes.

Guillaume, si habile à importer de Normandie en Angleterre les lois favorables à son autorité, ne se montra pas moins politique dans les emprunts qu'il fit aux anciens codes anglo-saxons.

Il laissa le taux des amendes, tel qu'il était fixé par les lois saxonnes, suéviennes et danoises, varier comme avant la conquête selon l'ancienne division des grandes provinces: cependant il marqua en toute occasion une grande préférence pour la loi danoise. C'était, disait-il, en vertu de l'origine commune des Norvégiens et des Anglo-Saxons; mais son véritable motif fut l'élévation des peines plus fortes, pour la plupart des cas, dans cette loi que dans les autres.

Sous la domination danoise, les Anglo-Saxons de chaque hundred étaient responsables du meurtre d'un Danois commis sur leur territoire, et devaient produire le coupable ou payer une amende. Guillaume appliqua aux Normands ou Français le bénéfice de cette loi.

Il conserva une autre loi, dont le maintien établissait entre les deux peuples une différence à l'avantage des Normands: par cette ancienne loi du pays, les Saxons accusés de brigandage ou de meurtre n'étaient admis à se justifier que par l'épreuve du feu ou de l'eau; mais les NorInands sous le poids d'accusations semblables purent, en vertu de leurs propres coutumes, se défendre par le duel ou par le serment.

qu'il parvint à rétablir la paix publique et qu'il mit un terme dans son royaume aux brigandages et aux meurtres.

Guillaume avait eu recours à la religion pour préparer sa conquête; il ne négligea aucun des moyens qu'elle lui offrit pour le consolider, et il fit dans ce but de grands efforts. Nous avons vu qu'il sépara le tribunal de l'évêque de la cour du comté, et en cela sa conduite fut d'accord avec l'intérêt réel de l'Église. Cette séparation, qui n'avait été précédemment établie en Angleterre qu'en ce qui touche les ecclésiastiques, devint sous Guillaume permanente et complète; elle eut pour effet de soustraire au jugement d'hommes trop souvent cupides, ignorants et grossiers, les causes qui semblaient plus spécialement du ressort de la religion et de la morale. Le clergé plus tard en profita pour attirer à lui toutes les causes et pour se rendre tout à fait indépendant non-seulement des tribunaux laïcs, mais de la couronne. Cet abus ne pouvait se produire sous un prince aussi vigilant et aussi ferme que Guillaume; il était d'ailleurs trop grand politique pour séparer entièrement l'Église de l'État, et il eut recours à plusieurs mesures fort importantes pour conjugeait nécessaire à son pouvoir. La première de server sur le clergé la portion d'influence qu'il ces mesures fut de transférer la plupart des évêchés et des abbayes à des prélats normands, sur l'obéissance desquels il comptait à proportion des besoins qu'ils avaient de son appui : la seconde fut de scumettre d'une manière plus étroite et plus précise que sous la domination direction unique et centrale sous un chef spirisaxonne tout le clergé de l'Angleterre à une tuel de son choix; mais il fit voir aussi dans ce choix même une piété sincère, une sollicitude véritable pour le progrès de la foi et de l'enseignement religieux dans son royaume : il montra que les grands hommes ne craignent pas de faire

approcher d'eux de grandes lumières, et s'honora lui-même en élevant sur le siége de Cantorbéry l'illustre Lanfranc. (Voy. LANFRANC.) Autorisé par le souverain pontife et par le roi, il remplit une mission sévère, mais il y apporta beaucoup plus de modération qu'on ne l'a dit, et plus de sympathie pour les Saxons qu'on n'aurait pu l'attendre du ministre d'un conquérant. C'est à lui surtout qu'ils furent redevables des franchises qu'ils conservèrent, et c'est grâce à sa sagesse et à sa pieuse influence qu'en introduisant de si grands changements dans l'Église, Guillaume parut agir plus en réformateur qu'en tyran. Convaincu de l'importance et de l'utilité des anciennes prérogatives de l'église de Cantorbéry, Lanfranc porta Guillaume à désirer qu'elles fussent affermies et même augmentées, afin que l'autorité métropolitaine de ce siége s'étendit sur tous les siéges épiscopaux du royaume, et depuis lors le siége épiscopal de Cantorbéry obtint d'une manière durable sur celui d'York une autorité qui auparavant avait été accidentelle ou temporaire, souvent même plus nominale que réelle. Guillaume contribua ainsi pour une forte part à consolider et à rendre permanent cet établissement hiérarchique qui soumit toutes les églises d'Angleterre à une seule, et qui eut plus tard des résultats si considérables et si imprévus. Les prélats étaient tenus de prêter serment de fidélité à Guillaume; ils devaient, comme tous les tenanciers de la couronne, le service militaire pour leurs fiefs : ce furent là autant de liens par lesquels il eut soin de les assujettir. Le résultat néanmoins ne répondit pas dans la suite à son attente, et les intérêts du clergé furent unis d'une manière indissoluble à ceux de l'aristocratie. Les évêques, comme les barons temporels, plièrent sans doute sous le sceptre de Guillaume; mais plus tard, lorsque l'aristocratie laïque se souleva contre ses successeurs, le clergé, qui n'avait en Angleterre, comme ordre distinct, aucun pouvoir politique, fit longtemps cause commune avec les barons, et leur union devint dangereuse pour la couronne. Guillaume était trop puissant pour redouter ce péril; et quoiqu'il eût rendu la juridiction des congrès indépendante des officiers royaux et qu'il eût écrit dans ses lois que pour les délits spirituels tout laïc serait jugé par le tribunal ecclésiastique, il n'entendait nullement rendre les prélats indépendants de lui-même, et il cita les évêques coupables à son propre tribunal. Enfin, et malgré son désir très-sincère d'affermir la religion dans son royaume, il osa résister au pape Grégoire VII; et ce pontife si absolu, qui s'était prêté aux désirs de Guillaume, ne put le faire plier aux siens. Le roi lui paya, comme il s'y était engagé, le denier de saint Pierre; mais lorsque Grégoire le somma de se reconnaître pour son vassal, de lui faire hommage de son royaume comme d'un fief du saintsiége, la fierté du conquérant se révolta, et il

opposa un refus péremptoire aux demandes du pontife. Guillaume restreignit les droits de l'Église sur trois points capitaux au profit de sa prérogative: 1o il fit défense de reconnaître dans ses domaines l'autorité d'aucun pontife sans son assentiment préalable, et il ordonna que toutes les lettres venant de la cour de Rome seraient sou mises à son approbation royale; 2o il ne permit point que les décisions des synodes nationaux ou provinciaux fussent mises à exécution sans son aveu ; 3° il défendit aux cours ecclésiastiques de poursuivre ou d'excommunier aucun individu relevant du chef de la couronne jusqu'à ce qu'il eût reconnu lui-même la nature de l'offense.

Ce tableau que nous avons tracé des institutions de Guillaume ne serait pas complet si nous ne terminions par quelques mots sur les résultats généraux de sa conquête. La conquête normande mit fin aux invasions danoises et affranchit la contrée d'un péril jusque là aussi persistant que redoutable: elle doubla les forces de l'Angleterre, qui posséda la Normandie plus qu'elle n'en fut possédée, et qui pesa d'un poids nouveau dans les intérêts européens : il y eut peu de grandes affaires ou de négociations importantes où elle n'intervînt, et son commerce maritime prit alors, soit en Europe, soit en Asie, un immense développement.

A l'intérieur, dans sa constitution religieuse, civile et politique, l'Angleterre retira de la conquête d'autres avantages, dont quelques-uns cependant ne furent aperçus qu'à une époque beaucoup plus avancée. Quant à la religion, les Normands, étant plus rapprochés que les Saxons du temps de leur conversion au christianisme, avaient une foi plus vive, sinon plus pure, et peu après la conquête le clergé normand se montra supérieur à celui de l'Église saxonne par ses lumières et par la discipline. Le corps ecclésiastique fut en majeure partie renouvelé, instruit et discipliné par Lanfranc, qui fit pour l'Église anglo-normande ce que le primat Théodore avait fait, plusieurs siècles avant lui, pour l'Église anglo-saxonne; la foi se manifesta par un grand zèle pour les fondations pieuses, et la contrée se couvrit rapidement des beaux monuments qui ont fait une de ses gloires.

Dans l'ordre civil et politique, l'avantage le plus immédiat de la conquête de l'Angleterre, lorsque le temps eut mis un terme aux spoliations et aux ravages, fut l'établissement d'une police supérieure, rendue facile par la constitution hiérarchique et régulière de l'aristocratie terrienne et mieux encore par son étroite dépendance de la couronne. La paix publique fut ainsi maintenue et tous les ressorts de la société raffermis; on vit même disparaître sous l'autorité du conquérant un usage abominable: Guillaume défendit de vendre à l'étranger les jeunes gens des deux sexes, source de honteux profits pour les seigneurs saxons; et tout oppresseur qu'il était, il fit à Londres comme Gélon à Car

thage, des décrets pour l'humanité. Pour être obéi dans la situation exceptionnelle où le plaça la victoire, il avait besoin d'une puissance à peu près sans limites, et ce fut à l'accroissement indétini de la prérogative royale que tendaient la plupart des modifications qu'il apporta aux lois saxonnes. Sa main de fer s'appesantit également sur les Normands et sur les Saxons; il fut imité en cela par ses successeurs, et le peuple vaincu se montra d'abord envers ses nouveaux princes plus fidèle et plus soumis que la nation victorieuse. Cependant, c'est le propre du despotisme que le bien qu'il fait soit inséparable de grands maux, et il était dans la nature des choses que le pouvoir des rois anglo-normands, sans contrepoids et oppressif pour tous, devînt promptement intolérable. Il en résulta deux faits d'une extrême importance, savoir; en premier lieu, la fusion rapide du peuple conquérant et du peuple conquis, rendue d'ailleurs plus facile par les nombreux rapports d'origine, de coutumes, de mœurs et de culte qui existaient entre eux, et en second lieu, lorsque cette fusion fut accomplie, le rapprochement de toutes les classes, aristocratie et bourgeoisie, grande et petite propriété, contre l'oppresseur commun, circonstance rare, et qui fut singulièrement propice à la renaissance des vieilles franchises nationales, à leur développement et à leur durée.

Émile de BONNECHOSE.

Malmesbury, De Rebus gestis Requm Anglorum.-Idem, De Gestis Pontificum Anglorum, —Ordéric Vital, Historiæ ecclesiasticæ. - Guillaume de Poitiers, Vie de Grillaume le Conquérant. Matthieu Paris, Historia major Angliæ. — Anglia sacra. — Aug. Thierry, Histoire de la Conquête de l'Angleterre par les Normands. Bicquet, Histoire du Duché de Normandie.

GUILLAUME JI, dit le Roux, roi d'Angleterre, né en 1056, mort en 1100, était fils puiné du précédent. Son père, à son lit de mort (1087), écrivit à Lanfranc, archevêque de Cantorbéry, pour lui désigner son successeur au trône d'Angleterre, et remit sa lettre, signée de son sceau, à son fils Guillaume le Roux, en lui prescrivant de passer sur-le-champ en Angleterre, Ce prince obéit, et, sans attendre la mort du roi, il traversa la mer, et son premier soin fut de communiquer les dernières volontés de son père au primat. Celui-ci, avant de le sacrer, exigea de lui la promesse de gouverner toujours selon la justice, la miséricorde et la loi. Serment dérisoire, que le prince, qui n'avait de son père que les vices, se hâta d'oublier.

Une révolution s'était opérée en Normandie après la mort du Conquérant, auquel son fils ainé, Robert, avait succédé dans son duché; les barons, que l'autorité de son père avait contenus dans le calme et la soumission, reprirent aussitôt leurs habitudes de guerre et de brigandage. Ceux qui possédaient en outre des biens en Angleterre, comprenant que sujets de deux maîtres ils seraient exposés, dans les rivalités qui s'élevaient déjà entre les enfants du Conquérant, à

perdre soit leur ancien patrimoine, soit leurs nouvelles acquisitions, résolurent de réunir les deux États dans une seule main. Préférant le facile et indulgent Robert pour souverain, à cause des défauts même qui le rendaient impropre à régner, ils conspirèrent contre le roi Guillaume avec ses deux oncles, Robert, comte de Mortagne, et Odon, évêque de Bayeux.

Guillaume le Roux sollicita dans ce péril l'assistance de la population vaincue; il promit aux Saxons les meilleures lois qu'ils voulussent choisir il leur rendit le droit de porter les armes et la jouissance des forêts; il arrêta la levée des tailles et de tous les tributs odieux. Les Saxons accoururent à l'appel royal; ils marchèrent avec joie contre les Normands, parmi lesquels ils voyaient quelques-uns de leurs anciens et cruels oppresseurs. Guillaume leur dut la conservation de son trône, et il oublia bientôt ce qu'il leur avait promis. Il passa en Normandie, et rendit avec usure à son frère tous les maux qu'il en avait reçus. Robert appela à son aide le roi de France, son suzerain, dont Guillaume acheta ensuite la neutralité au poids de l'or. La paix fut enfin conclue. Guillaume garda les places par lui conquises en Normandie, et pour lesquelles il promit d'indemniser le duc. Le traité, juré par douze baronɛ des deux partis, stipulait ces indemnités et portait que le survivant des deux frères hériterait de l'autre (1090). A peine les deux frères furent-ils réconciliés, qu'ils se liguèrent contre le troisième, Henri. Celui-ci n'avait reçu de son père que 5,000 livres d'argent; mais avec cet or il avait obtenu de Robert la cession de tout le Cotentin. Néanmoins il n'en demeura pas longtemps possesseur. Guillaume et Robert se réunirent pour l'en chasser; ils prirent ses châteaux, et l'assiégèrent au Mont-Saint-Michel. Henri capitula, et accompagna bientôt son frère en Angleterre. Mais la paix entre le roi et le duc ne fut pas de longue durée Robert, n'obtenant pas les indemnités promises par le roi Guillaume, déclara son frère faux et parjure, et fit appel à l'épée. Guillaume vint plaider sa cause devant les vingt-quatre barons signataires du traité. Condamné par eux, il recommença la guerre. Le roi de France vint de nouveau en aide au duc de Normandie, son vassal. Guillaume, pour le désarmer, eut recours à un expédient honteux : il avait appelé 20,000 hommes sous son étendard; au moment où ceux-ci se disposaient à s'embarquer, ils furent sommés de payer chacun dix shellings au roi et renvoyés dans leurs foyers : avec l'argent qu'il acquit ainsi, Guillaume acheta une seconde fois la neutralité de Philippe.

Le but de l'ambition de Guillaume était de dépouiller son frère et de réunir le duché de Normandie à son royaume d'Angleterre : il n'avait pu réussir par la violence, il obtint davantage d'un accord volontaire. C'était le temps de la première croisade. Le chevaleresque Robert

partagea l'enthousiasme général; mais manquant d'argent à l'époque où il résolut de se joindre aux princes confédérés, il vendit à son frère Guillaume, moyennant mille marcs d'argent, le gouvernement de ses États pour cinq années, et aussitôt après son départ Guillaume vint prendre possession de la Normandie et du Maine (1095).

Les Manceaux, refusant de reconnaître l'autorité du roi d'Angleterre, avaient adopté pour souverain un chevalier nommé Hélie de La Flèche, neveu de leur ancien comte, et mis le siége devant la ville du Mans, défendue par une garnison normande. La nouvelle en vint au roi pendant qu'il chassait à peu de distance de la côte méridionale de l'Angleterre; tournant aussitôt son cheval vers la mer, il galopa jusqu'au rivage, où il s'embarqua sur le premier navire qu'il rencontra. Ce prince violent et esclave de tant de passions mauvaises montra cependant quelques traits d'une âme grande et royale: le patron du navire menacé de la tempête hésitait à tenter un passage dangereux : « Sois sans crainte, lui dit Guillaume, je n'ai jamais ouï dire qu'un roi ait fait naufrage. » Il débarqua le lendemain à Honfleur, où il rassembla quelques troupes à la hâte; à leur tête il fondit sur le Maine avant que le bruit de sa présence sur le continent s'y fût répandu, et ravageant tout sur son passage, il courut au secours de la garnison assiégée dans la ville du Mans. Hélie osa combattre, et fut vaincu; son armée se dispersa, et lui-même tomba aux mains des vainqueurs.

Outre les guerres que Guillaume le Roux fit sur le continent pour étendre sa domination, il en soutint d'autres pour s'affermir contre ses voisins les Écossais et les Gallois. Il contraignit le roi d'Écosse Malcolm à lui rendre l'hommage qu'il avait rendu à Guillaume le Conquérant (1091). Les frontières de l'ouest, exposées aux incursions des Gallois, étaient le théâtre des plus affreux ravages. Guillaume, reconnaissant son impuissance à vaincre dans leur pays ces terribles montagnards, dut se borner à les contenir par une chaîne de forteresses gardiennes des frontières. L'audace des barons normands fut plus redoutable sur le sol anglais à Guillaume le Roux, comme à son père, que le ressentiment des vaincus; il eut à combattre un puissant vassal, Robert Mowbray, comte de Northumberland, coupable dans son gouvernement de déprédations et de tyrannie. Mowbray opposa au roi, dans ses châteaux de Tinmouth et de Bemborough, une longue résistance; il fut pris enfin, et Guillaume découvrit la trame d'une vaste conspiration qui avait pour but de le renverser du trône, et dans laquelle Mowbray avait pour complices plusieurs puissants barons normands. Les coupables expièrent leur crime, les uns par des supplices, les autres par la prison et surtout par d'énormes amendes, dont Guillaume garnit son trésor (1095). Ce roi prodigue était insatiable de richesses,

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et ne reculait devant aucun moyen, quelque odieux qu'il fût, d'amasser de l'or pour le jeter ensuite aux compagnons de ses débauches. Le primat Lanfranc, qu'ïl écoutait peu, mais qu'il respectait, avait contenu dans de certaines limites les penchants vicieux du prince; il mourut en 1089; et après sa mort Guillaume lâcha la bride à toutes ses passions, et prit pour ministre un homme avide et sans conscience, nominé Ralf, dont il fit un justicier et un évêque, et à qui ses rapines valurent le surnom de Flambard ou Torche ardente. Guillaume, par ses conseils, ordonna de réviser le cadastre au profit du fisc, imposa sur les riches et sur les pauvres des taxes inusitées, et porta une main violente sur les bénéfices de l'Eglise. Ces coupables abus provoquèrent la courageuse résistance de l'archevêque de Cantorbéry. Anselme, ancien abbé du Bec, honoré pour sa science et ses vertus, refusa de confirmer l'aliénation perpétuelle d'une partie des biens appartenant à son église, et ne put se soustraire que par l'exil an courroux du prince.

Guillaume, chasseur jaloux et cruel, osa rétablir les lois impitoyables dont il avait juré de maintenir l'abolition et qui protégeaient ses sanvages plaisirs dans les forêts. Ce fut là que la justice divine l'atteignit: il trouva une mort violente dans la forêt neuve que son père avait plantée sur les ruines d'une population entière. Des charbonniers y découvrirent un soir son corps gisant sur la terre et souillé de sang : une flèche lui traversait le cœur. On ne sut jamais d'une manière certaine de quelle main elle était partie. On dit qu'un chevalier français, Guillaume Tyrrel, avait été vu seul dans la forêt avec le prince, et l'on crut qu'une flèche lancée par lui sur une biche avait frappé un arbre et blessé le roi en rebondissant sur lui. Ce bruit fut confirmé par la fuite précipitée de Tyrrel, qui passa sur le continent aussitôt après la mort de Guillaume. Le corps du roi fut rapporté sur un chariot à Winchester, et enterré sans aucune pompe, dans la cathédrale (1100).

On découvre dans l'histoire de ce prince de rares éclairs indices d'une certaine grandeur naturelle, et quelques-unes de ses paroles laissent entrevoir une flamme dont l'activité mieux dirigée eût produit de grandes choses; mais s'il eut des qualités, il n'eut rien de ce qui les rend utiles et en fait des vertus. Les chroniqueurs nous représentent ce prince, depuis la mort du primat Lanfranc, comme un tyran licencieux et barbare. «< Sa cruauté, dit Matthieu Paris, le mettait hors du genre humain : il avait pris l'Angleterre à la gorge, et ne la laissait pas respirer. Son règne, marqué par beaucoup de dévastations et de guerres, ne le fut par aucune institution utile ou durable. Émile de BONNECHOSE.

Odéric Vital, Historiæ ecclesiasticæ. Malmesbury, De Gestis Regum Anglorum. - Mathieu Paris, Historia major Angliæ.

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