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l'autre (1). C'était dans le sénat que ce parti rétrograde avait ses plus fermes appuis. Il fit un suprême et vain effort pour obtenir des empereurs Théodose II, Valentinien II et Arcadius, le rétablissement de l'autel de la Victoire.

Tout le monde sait que Symmaque fut dans cette occasion l'organe des plaintes et des voeux du sénat fidèle à ses dieux. La poésie (2), l'histoire (3), la critique (4), ont reproduit à l'envi cette grande scène sur laquelle nous ne reviendrons pas; on peut la voir dans les maîtres. Qu'il nous suffise de remarquer que M. de Châteaubriand a paré des admirables couleurs de son imagination la Requête de Symmaque (5). Elle est, en réalité, sauf quelques mouvements empruntés à l'art des rhéteurs bien plus que suggérés par une émotion profonde, compassée, froide et sophistique. C'est une apologie sans conviction, une éloquence d'apparat, sonore et vide (6), que le fervent enthousiasme du culte nouveau renversera sans peine. L'apôtre de l'Occident, saint Ambroise, répondit par deux lettres dont la prolixité n'exclut pas la chaleur (7); et près de vingt ans après, le poëte Prudence, dans ses deux livres contre Symmaque, répéta avec non moins de force les arguments de l'évêque de Milan.

Le premier chant de Prudence est formé d'une série de pièces détachées, dont plusieurs sont pleines de mouvement et de verve. Assez longtemps la ville malade a langui dans l'impiété (8); le moment est venu qu'elle doit secouer le joug de ses vieilles erreurs. Après avoir peint en traits satiriques les faux dieux, Saturne, Jupiter, Mercure, Priape, Hercule, Bacchus, Junon, Vénus, etc., il en appelle, pour arrêter le cours de ces adorations sacriléges, à l'empereur qui fait régner la sagesse à Rome; il supplie Rome elle-même d'abjurer les superstitions qui la tiennent agenouillée non-seulement devant des objets d'une grandeur imaginaire, mais devant des êtres humains tels qu'Adrien et Livie, devant les éléments, enfin, devant les démons.

(1) Heyne, Censura ingenii et morum Symmachi, p. 15 et 16. Cf. Schmieder, des Symmachus Gründe für's Heidenthum und des Ambrosius Gegengründe, Halle, 1790, in-8° (Raisons alléguées par Symmaque en faveur du paganisme, et motifs contraires présentés par saint Ambroise).

(2) M. de Châteaubriand, les Martyrs, liv. XVI.

(3) Id., Études historiques, seconde partie du 111o discours sur la chute de l'empire romain; M. Beugnot, Destruction du paganisme en Occident, t. I, p. 410.

(4) M. Villemain, Mélanges de Symmaque et de saint Ambroise. Cf. M. Ampère, Histoire littéraire de la France avant le x1° siècle, 1. I, c. x1. (5) Relatio ad Imperatores... V. Epist., X, 54. L'abbé, Fleury a donné de ce morceau une traduction très-nette et très-exacte.

(6) Remarquons qu'à la même époque Themistius plaidait avec beaucoup plus de solidité et de vigueur la cause de la religion païenne, et, par suite, de la tolérance qu'elle invoquait à son tour. V. Orat. XII, ad Valentem. On sent là le penseur et le philosophe; on ne voit dans Symmaque que le rhétenr.

(7) Elles sont adressées à Valentinien II.
(8)....Vitiis ægram gentilibus urbem.....

Puis, avec l'accent du triomphe, il montre ses vœux déjà réalisés en grande partie, « les pères conscrits, les ornements du monde, se rangeant avec transport sous les étendards du Christ, ce conseil de vieux Catons tressaillant de joie en revêtant le manteau de piété, plus éclatant que la toge romaine, et dépouillant à l'envi les insignes du pontificat païen (1). »

Dans le second chant, Prudence suit pas à pas et réfute fragment par fragment le discours de Symmaque. Ensuite il établit une comparaison railleuse entre la sainteté stérile de la Vestale, et la piété bienfaitrice de la Vierge chrétienne, sœur et mère de tous les affligés. Le poëme est noblement terminé par une protestation chaleureuse contre les jeux du cirque, où la Vestale ne craignait pas de s'asseoir et d'applaudir au carnage (2). « O grand prince! dit Prudence à Honorius, saisissez une gloire réservée à votre règne ; que le meurtre cesse désormais d'avoir pour unique objet le plaisir du peuple; que cette arène infâme se contente de boire le sang des bêtes, et que le jeu de l'homicide ne souille plus les regards (3). »

Tandis que Prudence opposait à la barbarie des fêtes païennes l'empire de la croix, qui projetait de plus en plus son ombre tutélaire sur les faibles et sur les opprimés, Symmaque s'indignait contre des captifs saxons qui avaient préféré une mort libre et volontaire à l'honneur de s'entre-égorger sous les yeux du peuple romain (4). Les deux religions en présence pouvaient donc être jugées par leurs œuvres. A force de bienfaits, en priant pour leurs persécuteurs mêmes, les chrétiens ne les avaient pas seulement désarmés, mais conquis à leur foi (5). Quant au paganisme vaincu, ce qu'il réclamait en mourant, c'était le maintien des revenus et des titres affectés au sacerdoce, ainsi que du droit de tester en faveur des prêtres et des vestales.

Pontife et avocat officiel de ce culte (6), si d'un côté Symmaque dut

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Jam solis contenta feris infamis arena

Nulla cruentatis homicidia ludat in armis.

Honorius supprima en effet ces jeux en 404. V. Théodoret: Histoire ecclésiastique, V, 26.

(4) Symmaq., Epist. II, 46; cf. Sénèque, Epist., X, 11.

(5) Tertullien, Apolog.; cf. Arnobe, 1. IV, in fine.

(6) C'est à tort qu'on l'a appelé grand pontife, titre que s'étaient réservé les empereurs jusqu'à Gratien, qui, le premier, ne voulut plus le porter. Il était

à la lutte qu'il soutint un nom plus grand que lui, d'autre part, ses hostilités contre les chrétiens, à qui appartenait déjà le présent, surtout l'avenir, ont contribué peut-être à entraîner la perte d'une partie de ses ouvrages. Au moins faut-il reconnaître que sa modération fut généralement louable, et que, par ses vertus publiques et privées, il se rapprocha des croyances dont son cœur fut malheureusement éloigné. Saint Ambroise ne lui refusa ni son estime ni son amitié : ce fait suffit à l'éloge des deux rivaux. Lorsque Clément, évêque de Césarée, se rendit à la cour pour obtenir le pardon des habitants de cette ville qui avaient attiré sur eux la colère impériale, il fit tout pour assurer le succès de cette généreuse mission. Sa bonté, sa sympathie ne manquèrent jamais aux malheureux, quel que fût leur parti ou religieux ou politique.

Tel est l'écrivain et l'homme que M. Morin vient d'étudier. Avant lui, on s'était souvent occupé de Symmaque ; mais on n'avait pas encore pénétré aussi avant dans la connaissance de sa vie et de ses ouvrages. Même après les travaux de Funccius, de Fabricius, de Saxe, de Godefroy, de Heyne, d'Eischstädt, et de quelques autres, il y avait sur cet auteur bien des difficultés à résoudre, bien des points de critique à éclaircir M. Morin s'est assigné cette tâche, et l'a accomplie avec succès.

D'abord il s'est proposé de réaliser, dans la partie latine de son livre, une entreprise aussi utile que délicate: il a voulu fixer la chronologie des œuvres et surtout des lettres de Symmaque, c'est-à-dire, préciser la date où chacune d'elles a été écrite. Ses conclusions, par la liaison ingénieuse des conjectures, par la savante solidité des preuves, sont à coup sûr très-dignes d'être accueillies; c'est un morceau distingué de critique et un véritable service rendu à la philologie. Ce qui donne plus d'autorité aux assertions de M. Morin, c'est qu'avec la circonspection du vrai savoir, il doute à propos, bien loin de ressembler à ceux qui dissimulent leur ignorance par des affirmations téméraires.

Le travail français qui fait suite à celui-ci n'atteste pas moins d'application et de science. En racontant la vie, en exposant les ouvrages de Symmaque, il s'est attaché à montrer combien cette mine, trop négligée jusqu'à présent, peut être avantageusement exploitée pour la connaissance de l'ancienne histoire ecclésiastique et profane.

On peut regretter sans doute qu'il n'ait pas établi plus de rapprochements entre Symmaque et quelques-uns de ses contemporains, dont la rude énergie contraste avec son éloquence apprêtée, tels qu'Ammien, Aurélius, et surtout les dépositaires de la tradition chrétienne; on désirerait encore qu'il eût mis plus souvent à profit des ouvrages justement estimés, par exemple, celui de Müller « sur les mœurs du siècle de Théodose (1). » Mais s'il s'est borné à Symmaque, M. Morin, n'a du moins rien

a

Pontifex major, c'est-à-dire qu'il appartenait au premier ordre ou au collége supérieur des pontifes: V. Gibbon, Décadence de l'empire romain, V, 33.

(1) De moribus ævi Theodosiani. Cf. Godefroy, De statu Paganorum sub imperatoribus christianis.

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omis de ce qui, dans ses écrits, éclaire l'époque où il a vécu. L'organisation civile et le mécanisme administratif de l'empire, les sentiments et les idées qui animaient le corps puissant de l'aristocratie romaine, l'état social et la littérature du temps, l'attitude respective des chrétiens et des païens, les rapports des deux cultes rivaux, qui, malgré leur antipathie, se pénétraient et se faisaient entre eux de nombreux emprunts; en un mot, la vie privée et publique sous ses faces diverses, reçoivent beaucoup de jour d'une étude approfondie de cet auteur, surtout de ses lettres c'est là ce qu'il s'applique à faire ressortir avec évidence; de tous côtés il y recueille et met en relief les traits caractéristiques par lesquels revit à nos yeux la seconde moitié du iv siècle. Il nous apprend combien cette société, qui ne s'était pas ralliée à la foi nouvelle, était livrée aux sciences occultes et aux superstitions les plus folles; combien, dans sa préoccupation presque exclusive du bien-être matériel, elle s'étourdissait sur le danger de plus en plus rapproché des barbares. Chose singulière! Symmaque semble vouloir en distraire sa pensée et ses regards. A peine trouvet-on chez lui quelques allusions indirectes qui nous les rappellent. Il nous entretient davantage de la multitude qui surchargeait Rome, de cette populace railleuse, oisive, besogneuse et insolente. Tandis qu'elle se pressait dans les amphithéâtres, les campagnes se transformaient en solitudes, et l'agriculture manquant de bras, la condition du propriétaire devenait de plus en plus intolérable. Habile à expliquer les paroles et même le silence de l'écrivain, M. Morin, pour nous initier à la constitution politique et à l'existence de Rome dégénérée, tire en particulier des inductions précieuses du IX livre des Lettres. Il l'analyse avec autant de soin que de fruit; il signale les documents contenus dans les quarante-trois pièces adressées par Symmaque à l'empereur pendant la durée de sa préfecture. Parmi les détails les plus curieux où il entre à cet égard, on remarque ceux qui ont pour objet l'éducation de la jeunesse à Rome vers la fin du Ive siècle, et la condition des maîtres, alors fort honorés par les empereurs, mais souvent aussi fort mal payés, dans l'épuisement du trésor public.

M. Morin place à la fin de son étude de Symmaque un aperçu utile sur les manuscrits et les éditions de cet auteur: mais sur le terrain glissant de la bibliographie, il faut beaucoup d'expérience pour éviter tout faux pas. L'édition princeps que désigne M. Morin pourrait fort bien n'être pas la première; on a même des motifs sérieux de croire que Symmaque avait été imprimé dès le xve siècle. En tout cas, une édition in-4°, antérieure à celle dont parle M. Morin, est mentionnée par quelques érudits. Il en a omis aussi une autre de Venise, qui remonte au commencement du XVIe siècle. Quant aux manuscrits, M. Morin ne se contente pas de les faire connaître; il montre, par d'heureuses corrections qu'il leur emprunte, tout le parti que l'on en peut encore tirer pour épurer le texte de Symmaque.

Dans un travail si consciencieux, il serait très-difficile de relever des erreurs. Je me bornerai à blâmer M. Morin d'avoir adopté l'une de

celles que l'opinion semble avoir consacrées. C'est u sujet de Boëce et Symmaque. Il dit que Théodoric fat, à leur égard, victime d'une erreur qu'il expia par une mort misérable. Grâce à des travaux récents (1), ce fait est aujourd'hui relégué justement au nombre des fables. On ne saurait plus douter que Boëce et son beau-père n'aient succombé victimes d'une conspiration réelle. Certes, leur gloire n'a rien à souffrir de la vérité; mais aux yeux de Théodoric, ils devaient être coupables. Pour ce prince, on peut regretter que, dans cette circonstance, il ne se soit pas montré clément; on ne peut l'accuser d'avoir été injuste et cruel. Non contents de nier la conspiration, les chroniqueurs du bas-empire et du moyen âge ont raconté à l'envi, d'après Procope, les remords de Théodoric, sa frayeur à la vue de la tête d'un énorme poisson, qui lui semblait la tête de Symmaque, et sa mort providentielle. On voit assez que cette légende sur le trépas d'un prince, alors âgé de soixante-douze ans, a choqué la ferme raison de Gibbon; mais, suivant lui, « un devoir de la philosophie, c'est de se montrer disposée à accueillir tous les récits qui témoignent de l'empire de la conscience sur les rois. » La critique historique a le droit d'être plus sévère ou plus clairvoyante.

Le seul reproche que l'on pourrait encore adresser à M. Morin, rec'est d'avoir été trop sobre sur un sujet proche aujourd'hui bien rare, qu'il connaissait si bien. En piquant plus qu'en contentant notre curiosité par des détails habilement choisis, il nous fait naître le désir de savoir davantage. Le fil qui unit la vie de l'homme aux pensées de l'écrivain est laissé dans l'ombre; et l'on cherche en vain les résultats généraux qu'il faut tirer de la lecture de Symmaque la conclusion manque. C'est là une lacune que M. Morin n'ignore pas d'ailleurs, qu'il se propose de combler.

et

Son intention est de publier en effet de Symmaque, peu étudié jusqu'ici au point de vue philologique, une édition critique et historique, où, profitant de ce qui a été fait avant lui, il complétera, par ses recherches personnelles, des travaux encore insuffisants. Nous le verrons avec plaisir donner suite à ce projet. Le soin scrupuleux, la netteté d'esprit, la sûreté et l'étendue de connaissances dont il a fait preuve dans ces sortes de prolégomènes, promettent enfin à Symmaque un éditeur définitif. Esprit sage et retenu, M. Morin a toutes les qualités qui peuvent faire présager le succès. S'il manque de la hardiesse et de la confiance qui produisent le mouvement de la pensée, il possède un jugement exact, une bonne méthode d'exposition; il groupe habilement les faits, et en tire des inductions solides. Son langage, qu'il écrive en latin ou en français, est simple et uni, clair et régulier (2). Ce ton calme et sans prétention est celui qui sied le mieux à une discussion littéraire.

(1) V. l'article de M. de Langsdorff, sur l'Histoire de Théodoric, roi des Os trogoths, du marquis du Roure: Revue des Deux-Mondes, no du 1er mars 1847, § II et III.

(2) A peine y peut-on relever quelques taches, comme l'incorrection légère

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