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bien entendre dans une mosquée que dans une église chrétienne. Son débit était aussi simple que sa parole; pas de geste, pas d'éclats de voix, rien qu'une expression grave et calme. On ne pent nier qu'il n'ait la conscience de sa dignité. On le voit bien, le respect général dont il est environné lui donne de l'assurance et de la facilité..... Herder quittera bientôt Weimar. Ces jours derniers, il est monté en chaire pour dire adieu à ses paroissiens..... Il a reçu d'une main inconnue deux mille écus. Ce présent lui vient fort à point dans sa pauvreté. N'est-ce pas là une belle action ? J'admire cet inconnu qui répand ses bienfaits avec tant de discernement. Dans son sermon d'adieu, Herder a témoigné sa reconnaissance à l'inconnu. C'est là un noble procédé qui doit satisfaire le bienfaiteur, et qui convient aussi à Herder. Ne pouvant connaître l'instrument de ce bienfait, il en rendit grâce à la source de tout bien. »

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Ce fait n'a pas besoin de commentaire. Nous en tirerons seulement cette conclusion: «Ici, à Weimar, dit un jour Herder à Schil« ler, il n'y a que Wieland qui soit capable de vivre de sa plume. Et comment vit-il? Schiller en sait déjà quelque chose. Goëthe est le seul qui jouisse vraiment du bien-être. Sous ce rapport, il est encore le prince des poëtes.

Ce premier volume de la correspondance ne contient que des détails insignifiants sur les relations de Schiller et de Goëthe. Ce dernier voyage en Italie. Il ne revient que dans l'automne de 1788. Cà et là, pourtant, on sent que Schiller n'éprouve guère de sympathie pour la personne de Goëthe, et qu'il ne saurait respirer à l'aise dans l'atmosphère de son rival, déjà presque divinisé. Il serait difficile de décider si Jésus-Christ fut plus vénéré par ses disciples, que Goëthe par son entourage. Schiller n'aime pas ces hommes modelés par l'esprit du maître; leur attachement pour la nature poussé jusqu'à l'affectation, tout ce placage de simplicité, simplicité à la Lavater, comme dit Koerner, l'ennuie et le fâche. Mais Goëthe revient enfin d'Italie, et Schiller oublie volontiers les défauts et les exagérations des disciples et des imitateurs, pour reconnaître les belles qualités du maître:

« Je peux enfin te parler de Goëthe...... J'ai passé presque toute la journée de dimanche avec lui, Herder, etc.... Son premier abord fut loin de répondre à la haute opinion que l'on m'avait donnée de cette attrayante et belle figure. Il est de taille moyenne, a la démarche roide. Son visage ne trahit aucune émotion; mais son œil est très-expressif et très-vif, et l'on s'attache volontiers à son regard. A beaucoup de sérieux sa physionomie réunit beaucoup de bienveillance et de bonté. Il est brun, et m'a paru plus âgé qu'il ne l'est réellement. Sa voix est surtout agréable. Son récit est coulant, plein d'esprit et animé ; et lorsqu'il est de bonne humeur, comme cette fois par exemple, il parle volontiers et avec intérêt. Nous eùmes bientôt fait connaissance. Seulement la société était trop nombreuse, et chacun était trop jaloux de l'accaparer, pour que nous eussions

pu beaucoup causer seuls et sortir des sujets généraux de conversation. Il parle volontiers de l'Italie, dont il a rapporté des souvenirs passionnés. Ce qu'il me racouta, me donna de ce beau pays l'idée la plus vive et la plus séduisante. »>

Ce n'est pas encore Goëthe tel que Schiller le verra par la suite. La première entrevue des deux poëtes dut être froide. Les préventions de Schiller ne s'évanouissent pas tout d'un coup:

«< Au total, dit-il, la grande opinion que j'avais de lui n'a été nullement amoindrie lorsque je le vis en personne. Mais je doute que nous nous rapprochions jamais. Beaucoup de ce qui, pour moi, n'a pas cessé d'avoir de l'intérêt, beaucoup de ce que je peux encore espérer et désirer, a chez lui déjà fait son temps. Il a tant d'avance sur moi, bien moins par l'âge encore que par l'expérience de la vie et le développement intellectuel, que nos carrières ne peuvent plus se rencontrer. De plus, tout son être est autrement disposé que le mien ; son monde n'est pas celui où je vis, et nos idées sont essentiellement différentes. Cependant on ne peut rien conclure avec certitude d'une pareille entrevue. Le temps nous rendra sages. »

Ici, nous devons faire une remarque importante. Goëthe est un dieu pour son entourage, et même pour Herder; mais Schiller parle du dieu comme de son égal. Il reconnaît la différence de nature, les avantages de l'expérience; mais, pour lui, après tout, Goëthe n'est qu'un homme. En cela, on peut voir un sentiment d'envie et de vanité; mais ne serait-ce pas aussi un symptôme de force? Schiller a la conscience de lui-même. Il reconnaît le génie des autres, mais il ne subit pas son influence jusqu'au point de s'incliner et d'adorer. A l'époque où nous sommes arrivés, Schiller a passé un an et demi à Weimar et dans les environs, à Volkstaedt et à Iéna. Il fut quelque temps à trouver le calme dont il avait besoin; mais enfin il le trouva, tout en s'étonnant de n'avoir pas pensé plus tôt au moyen bien simple par lequel il s'assura quelques instants de repos :

« Je fais comme tout le monde, dit-il, je ne m'inquiète plus de personne... Dans les premiers temps, j'avais toujours trop mauvaise opinion de moi, trop bonne opinion des autres. Je considérais chaque individu comme mon juge.

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Il s'isole, il se renferme et se livre au travail. Ses amis le blâment:

< Voilà bien les gens, dit-il; ils regardent comme une offense que vous puissiez vous passer d'eux. Et comme ils vous font bien payer les petites joies qu'ils sont en état de vous procurer! Si l'indifférence la plus complète pour les clubs, les cercles et les cafés, constitue le misanthrope, je suis devenu misanthrope.

Il travaille donc, tantôt pour étudier, tantôt pour vivre. Il écrit surtout pour la Thalie, le Mercure et la Gazette littéraire. Ila terminé D. Carlos; pour faire ce drame, il a étudié l'histoire des PaysBas, et il raconte l'histoire de la révolution qui enleva, au xvre siècle, à l'Espagne les sept provinces unies. De plus, son attention s'est portée sur la littérature grecque, et il traduit l'Iphigénie d'Euripide. Il fait le plan de nouveaux drames. Le jeune Conradin, surtout, paraît avoir été un sujet de prédilection pour Schiller. Il veut aussi imiter les Grecs, et il pense avec plaisir au moment où il pourra mettre en scène Agamemnon. Mais tous ces projets, ainsi que bien d'autres, restèrent à l'état de projets. La nécessité d'écrire pour vivre au jour le jour, jointe à une très-grande lenteur dans le travail, força Schiller d'abandonner bien des ouvrages qu'il avait conçus, et même commencés.

Tout à coup, par l'entremise de ses amis, et surtout de Goëthe, il est nommé professeur d'histoire à Iéna. Pour tout autre, cette nomination eût été un événement heureux; mais Schiller est nommé sans appointements; bien plus, son entrée à l'université doit lui coûter beaucoup. D'ailleurs, là n'est pas le grand souci de Schiller. Il ne sait pas le premier mot des matières qu'il doit enseigner. Néanmoins, il entreprend son cours. « Après tout, dit-il, je << saurai bien, en une semaine, apprendre le sujet d'une leçon. » Il est résolu à ne rien réclamer. Il pourrait, comme le lui objecte Koerner, faire valoir, auprès de ses protecteurs, combien les fonctions honorables auxquelles il est désormais attaché lui sont onéreuses. Il persiste, car il se voit enfin dans une position qui lui permettra (il le suppose) de se livrer à ses travaux de prédilection avec plus de sécurité et plus d'ardeur.

HISTOIRE.

VIE DE SAINT LOUIS, roi de France, par LE Nain de TILLEMONT, publiée pour la Société de l'Histoire de France, d'après le manuscrit inédit de la Bibliothèque royale, et accompagnée de notes et d'éclaircissements, par M. J. DE GAULLE.-2 vol. in-8° de 1x, 550 et 510 pages. Chez Jules Renouard; Paris, 1847.

Parmi les écrivains qui avaient puisé la connaissance et l'amour des lettres dans la célèbre école de Port-Royal, Le Nain de Tillemont n'est pas un de ceux qui profitèrent le moins de l'enseignement des savants solitaires; ses divers ouvrages en font foi, et la Vie de saint Louis, imprimée pour la première fois sur les manuscrits de Tillemont, ajoutera un nouveau titre d'honneur à sa mémoire, soit que l'on considère l'abondance des recherches, ou la sagesse et la gravité de la composition. C'était pour Sacy, auprès duquel Le Nain vivait à Port-Royal, que celui-ci avait réuni les matériaux de son histoire. A la mort de Sacy, le manuscrit fut remis à Filleau de la Chaise, et c'est sur ce travail de plusieurs années, que fut composée la Vie de saint Louis, publiée, en 1688, par ce dernier.

Filleau, dans la dédicace qu'il fit de son livre au dauphin, fils de Louis XIV, lui dit :

« Le mérite que cet ouvrage peut avoir par sa matière, est connu de tout le monde.... Le dessein en avoit esté formé par ceux qui estoient chargez du soin de vostre éducation....., et j'avoue que l'honneur qu'ils me firent de jeter les yeux sur moi, m'éblouit de telle sorte, qu'il me fit oublier combien ce dessein estoit au-dessus de mes forces. Je ne vis plus que le plaisir de penser que quelque chose de mieux seroit entré dans un aussi grand ouvrage que celuy qu'ils avoient entre les mains, et dont le Roy même estoit plus occupé que de tant de merveilles qu'il faisoit dans le même temps.

Ce furent, en effet, Bossuet, Huet et Montausier qui chargèrent Filleau de ce travail, et si Le Nain de Tillemont est désigné ici d'une manière si peu intelligible, c'est qu'en donnant son manuscrit, il n'avait pas voulu donner son nom; et il avait exigé, dit M. de Gaulle, la suppression des témoignages de reconnaissance qui lui étaient dus. Filleau, d'ailleurs, s'abstint lui-même de se nommer.

Lorsque l'ouvrage parut, il obtint un succès aussi rapide que bril

lant; le premier jour de la publication, la boutique du libraire fut assiégée d'un concours si considérable d'acheteurs, qu'on fut obligé d'y mettre des gardes. Cette précoce célébrité a eu peu d'avenir.

Quoi qu'il en soit du succès et du mérite du livre de Filleau de la Chaise, il ressemble peu au manuscrit de Le Nain de Tillemont. Le nouvel auteur profita des recherches de l'élève de Port-Poyal; mais il fit un livre qui lui appartient, au moins par le style. Filleau a, d'ailleurs, beaucoup abrégé le manuscrit qui lui avait été confié, et sur lequel M. de Gaulle publie maintenant la véritable histoire de saint Louis par Le Nain de Tillemont.

Ainsi, par exemple, les Préliminaires, c'est-à-dire, l'histoire des événements du règne de Louis VIII, qui ne comptent pas moins de 268 pages dans le manuscrit de la Bibliothèque royale, ce qui en fait 411 dans la publication de la Société de l'Histoire de France, se réduisent, dans Filleau, aux 26 premières pages du premier chapitre.

A la vérité, tout n'est pas réduit dans la même proportion; mais, néanmoins, Filleau de la Chaise néglige ordinairement une grande partie du travail de Tillemont, et, lors même qu'il en fait usage, il arrange toujours le style; de sorte que les deux ouvrages n'ont réellement de commun que la marche du récit, et le recours aux mêmes autorités, bien que Filleau ne fasse pas mention de la plupart des textes que cite le manuscrit, et dont M. de Gaulle a soigneusement conservé l'indication.

Comparons un passage du manuscrit avec le passage correspondant refait par Filleau de la Chaise; cette comparaison fera comprendre plus nettement que tout ce que nous pourrions dire, en quoi se ressemblent ou diffèrent les deux ouvrages, même quand le dernier auteur suit son devancier.

« Les princes s'estoient liguez ensemble contre le roy et contre la reine, ne pouvant souffrir de voir toute l'autorité entre les mains de la reine, qu'ils méprisoient comme une femme étrangère et sans appuy, dont on noircissoit la réputation par les calomnies les plus

atroces.

<< Philippe, comte de Boulogne, se laissa d'autant plus emporter à cette basse jalousie, qu'estant oncle du roy, il prétendoit que la tutelle de son neveu luy devoit appartenir. Ainsi il entra aisément dans la pensée de chasser la reine, fit diverses brigues, à la cour, pour s'attirer des partisans, et souffrit que les barons confédérez le fissent chef de leur ligue, et le traitassent comme leur maistre et leur seigneur. Il avoit un grand moyen de se former un puissant parti, s'il avoit, comme quelques-uns le disent, une partie des thrésors de Philippe-Auguste et de Louis VIII; mais j'en voudrois avoir des autorités plus assurées. Ce qui est plus certain, c'est qu'il commença, cette année, à fortifier ses places, particulièrement Calais, qu'il fit environner d'une forte muraille par mer et par terre, et il y fit faire un bon chasteau. Ainsi, cette place lui pouvoit servir, tant à faire la guerre sur terre et sur mer, qu'à se retirer en Angleterre en cas de nécessité.

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