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Pour chasser de mon cœur un amour trop funeste,
Il nous faut de l'ingrat détruire ce qui reste. » (*)

Anne cependant, qui ne pense pas que les apprêts de ces sacrifices soient ceux de la mort de sa sœur, se rend à sa prière, et exécute ses ordres : loin de la soupçonner d'une résolution si désespérée, elle ne croit pas que sa douleur soit plus à craindre qu'au temps de la mort de Sichée.

<< Pour décorer ses murs, Didon veut qu'on étende De l'if et du cyprès la funèbre guirlande; Ordonne d'élever sur le bûcher fatal

La dépouille d'Énée et le lit nuptial;

Prend le glaive, et sur lui fixant un œil farouche,
D'une tremblante main le porte sur sa couche.
Les autels sont dressés : la prêtresse à l'instant (29)
Court, les cheveux épars et le sein palpitant;
En des cris forcenés sa voix tonnante éclate,
Invoque le chaos, Pluton, la triple Hécate,`
Et le Styx, et l'Érèbe, et le noir Phlégéton,
Et la pâle Mégère, et l'horrible Alecton.
Elle fait à ses pieds verser des flots immondes,
Qui de l'Averne impur représentent les ondes;
Elle exprime un lait noir des affreux végétaux
Qu'aux rayons de Diane a moissonné la faux,
D'autres sucs ignorés, et la tumeur légère

Que du coursier naissant le front livre à sa mère. » (**)

(*) Delille.

(**) Parseval-Grandmaison.

Didon elle-même approche de l'autel, un pied nu, sa robe relevée, tenant dans ses mains les gâteaux sacrés. Prête à mourir, elle prend à témoins de son destin les dieux et les astres, et les divinités, s'il en est, qui vengent les amans trahis et indignement abandonnés. (30)

La nuit couvroit les airs de ses ombres tranquilles; (31)
Les vents étoient sans voix et les flots immobiles:
Tout dormoit sur la terre, et les astres des cieux
Poursuivoient lentement leur cours silencieux,
Et sur l'hôte des bois, et des eaux et des plaines,
Par-tout le doux sommeil versoit l'oubli des peines :
Didon seule, Didon cherche en vain le repos;
Pour ses yeux fatigués la nuit est sans pavots.
Le premier charme échoue, et l'horrible prêtresse
N'a rien pu sur sa flamme, et rien pour sa tendresse.
« Hé bien, dit-elle, hé bien, est-ce assez attendu?
Meurs, ou souffre, Didon, l'opprobre qui t'est dû :
Vas ramper, vas offrir ton sceptre et tes services
A ces rois dédaignés, vengés de tes caprices;
Ou, réduite peut-être à craindre leurs mépris,
Suis au-delà des mers ces Troyens si chéris.
Ils le voudront sans doute; et Didon qui s'exile,
Là, du moins, peut sans erainte exiger un asile.
Non, reine malheureuse, ils ne le voudront pas :..
Mesure enfin ta chûte, et connois ces ingrats.
Etquand tu le pourrois, vas-tu, seule et sans suite,
Orner de mer en mer la pompe de leur fuite?
Ou ton malheureux peuple, à qui tant de travaux
Avoient conquis des murs et des temples nouveaux,
Rendu par ton caprice aux fureurs de Neptune,

Une seconde fois suivra-t-il ta fortune?
Non, non, c'est trop lutter contre un astre irrité;
Mourons, mourons enfin, je l'ai bien mérité!
Oh! si j'étois sans crime au tombeau descendue!
C'est toi, cruelle sœur, c'est toi qui m'as perdue!
Je mourois, sans tes soins, de mes premiers tourmens,
Mais fidèle à ma gloire, et toute à mes sermens. »
Ainsi Didon gémit; ainsi, dans son délire,

Elle aiguise en mourant le trait qui la déchire. (*)

Pendant qu'elle passoit la nuit dans ces tristes réflexions, Énée sur ses vaisseaux se livroit au sommeil, et tout étoit prêt pour le départ. Un dieu lui apparoît en songe. Au son de sa voix, à ses traits brillans, à sa longue chevelure, à sa taille légère, il reconnoît Mercure; et il entend ces paroles: <«<Quoi! fils de Vénus, vous osez rester plus long-temps dans ce port sans songer aux dangers qui vous environnent! Vous dormez, et vous fermez l'oreille aux vents favorables qui vous appellent! Didon veut se venger et mourir. Craignez quelque surprise craignez, si vous attendez l'aurore dans ces lieux, de voir à votre réveil la mer enflée autour de vous sous les vaisseaux tyriens, le rivage éclairé de leurs flambeaux et votre flotte embrasée par leurs mains. Fuyez, hâtezvous, tandis que vous êtes libre; défiez-vous de la reine et du changement si naturel aux femmes. >>

(*) Lombard.

Il dit, et se perdit aussitôt dans l'ombre de la

nuit.

Énée s'éveille, raconte à ses compagnons ce qu'il vient de voir et d'entendre, les presse de partir, adresse ses vœux à Mercure, et coupe avec son épée étincelante le câble qui retenoit son vaisseau à l'ancre chacun l'imite, on s'empresse, on part, et la mer écumante blanchit sous les rames et sous les navires dont elle est couverte.

:

L'aurore répandoit ses premiers feux. Didon se lève, et, du faîte de son palais, elle voit le port abandonné et la flotte en mer.

Son cœur a tressailli; de douleur effrénée,
Arrachant ses cheveux d'une main forcenée,
Trois fois avec fureur elle meurtrit son sein :
Grands dieux,il fuira donc! quoi! ce monstre inhumain,
Il m'outrage et me fuit! Courez, prenez les
rames,
Des voiles, des soldats, des matelots, des flammes.....
Que dis-je ? où suis-je? hélas! déplorable transport!
Malheureuse! à présent tu sens quel est ton sort!
Il falloit le prévoir avant ton hyménée.

Et voilà cet amour et cette foi donnée,
Voilà le tendre fils, voilà l'homme pieux (32)
Qui porta dans ses bras et son père et ses dieux!
Ne pouvois-je, écoutant la fureur qui me guide,
Arracher de mes mains le cœur de ce perfide,
De son corps en lambeaux disperser les débris,
Frapper ses compagnons, frapper son propre fils?
Que dis-je ? en un festin dressé par ma colère,
Le présenter fumant aux lèvres de son père!

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Qui retenoit mon bras? les dangers à courir :
Les dangers! En est-il pour qui cherche à mourir?
J'aurois plongé son camp dans un vaste carnage,
Submergé ses vaisseaux, égorgé dans ma rage
Et le fils, et le père, et tout ce peuple affreux,
Et moi-même à la fin j'eusse expiré sur eux.

«Toi qui vois l'univers, Soleil, vois mon injure:
Junon, témoin des feux, des seriens du parjure;
Hécate, qui, la nuit, dans tes solennités,
Entends hurler les murs des lugubres cités :
Dieux d'Élise mourante; et toi, triple furie,
Qui par les criminels n'es jamais attendrie,
Entends mes vœux, et venge un cœur désespéré !
Si l'ingrat doit entrer dans le port desiré,
Si c'est de Jupiter l'arrêt irrévocable,

Que du moins, assailli par un peuple indomptable,
Il voie indignement égorger ses soldats;
Qu'il se voie arracher son fils d'entre ses bras;
Que mendiant alors la paix la plus honteuse,
Il ne puisse obtenir qu'une trève orageuse;
Qu'à peine sur le trône il vive quelques jours,
Qu'il menre et que son corps soit en proie aux vautours:
Voilà quels cris Didon, contre une tête impie,
Vomit avec sa rage et son sang et sa vie.

Et toi, Carthage, entends mes formidables vœux;
Persécute ce traître en ses derniers neveux.
Je te lègue ma haine, avec eux point de trève;
Que par-tout poursuivis par la flamme et le glaive,
Ils soient tous immolés à mon ombre en fureur.
Sors de ma cendre, sors, implacable vengeur :
Poursuis, le fer en main, ces peuplades fatales;
Que nos remparts rivaux, que nos flottes rivales,

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