OBSERVATIONS SUR LE CHAPITRE 34 DU LIVRE V DE TITE-LIVE SUR LES MIGRATIONS DES GAULOIS (Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1875. Cette communication n'est qu'une brève réponse à une note de M. d'Arbois de Jubainville, lue dans la séance du 10 novembre 1875 de la Société des Antiquaires de France. S'appuyant d'une part sur l'autorité de Niebuhr, de Zeuss, de Jacques Grimm et de M. Mommsen, d'autre part sur ce fait que Tite-Live aurait commis une erreur en attribuant aux Salyes la nationalité ligure, M. d'Arbois de Jubainville avait contesté le synchronisme établi par Tite-Live entre la première émigration des Gaulois en Italie et la date de la fondation de Marseille, et soutenu que l'apparition des Gaulois dans la péninsule ne remontait pas au delà du ive siècle avant J.-C. Nous avons cru utile de reproduire les observations de M. Quicherat parce qu'elles sont presque l'unique témoignage écrit d'une des opinions auxquelles il tenait le plus; jusque dans les derniers temps de sa vie il n'a cessé de croire que, sur ce curieux problème de l'histoire de nos ancêtres, les critiques les plus autorisés s'étaient mépris. A. G. En matière de critique, il n'y a qu'une autorité : c'est l'évidence. Les meilleurs érudits, les plus habitués à rencontrer juste, peuvent se tromper parfois, et leur mérite bien connu ne fait pas que l'erreur où ils ont été entraînés devienne vérité. Les Allemands ne sont pas à l'abri de cette éventualité. Il y a des questions sur lesquelles ils se méprennent. L'antiquité de la nation gauloise est du nombre. Il est certain qu'il y a eu dans l'antiquité deux opinions sur l'époque de la conquête de la haute Italie par les Gaulois. Suivant les uns cet événement précéda immédiatement la prise de Rome; suivant les autres, il en fut séparé par un grand intervalle de temps. La seconde opinion est à coup sûr celle qui offre le plus de vraisemblance; car comment admettre qu'une nation aussi puissante, aussi avancée en civilisation que les Étrusques, ayant des armes perfectionnées et des villes fermées de murailles, aurait été dépossédée d'une immense étendue de pays tout d'un temps, par l'effet d'une seule poussée de barbares? L'opinion contraire ne s'appuie pas sur un si grand nombre de témoignages, la plupart des auteurs ayant mentionné les deux faits à la suite l'un de l'autre sans assigner de date à aucun. Seul, Diodore de Sicile a établi le synchronisme ou plutôt a fourni de quoi l'établir. Le témoignage de Tite-Live se présente avec bien plus de titres à la recommandation, puisque cet historien donne les deux versions; et c'est parce que la première lui a paru inacceptable qu'il a cherché et trouvé la seconde. Les épithètes dont il s'est servi pour peindre l'effarement des Romains et des autres à la vue des barbares, n'impliquent de sa part aucune contradiction. Dans sa pensée, les Gaulois, quoique maitres depuis longtemps du bassin du Pô et renouvelés sans cesse par l'émigration des Transalpins, étaient restés cependant sequestrés dans leurs possessions et sans rapports avec les autres peuples d'Italie, séparés qu'ils en étaient par la chaine des Apennins. Quant aux arguments allégués pour détruire le synchronisme de la première invasion des Gaulois en Italie avec la fondation de Marseille, ces arguments ne consistent qu'en des conjectures tout à fait gratuites, sauf un seul, qui est la revendication de la nationalité gauloise pour les Salyes. Or, si quelque chose est établi par les témoignages de l'antiquité, c'est la nationalité ligurienne des Salyes. Strabon dit positivement que les Salyes avaient été appelés Lygyes ou Ligures par les anciens auteurs grecs, et l'Ora maritima d'Avienus, qui est l'écho de ces anciens auteurs, place les Salyes sur la rive ligurienne du Rhône, après avoir signalé ce fleuve comme la ligne de démarcation entre les Ibères et les Ligures. De ce que la critique moderne est entrée, non sans raison, en défiance contre Tite-Live, il ne serait pas juste de lui refuser tout discernement. Il n'est pas de ceux dont on peut dire que le sens commun leur a manqué. Ses fautes en histoire ont leur source dans sa partialité pour Rome. Il était homme à voir juste et à choisir les bonnes sources. C'est ce qu'il fait dans le cas présent, et si son récit de l'entrée des Gaulois en Italie contient des détails de mise en œuvre qu'on est libre de rejeter, le fait capital qui en est le fond subsistera tant qu'on n'aura pas à y opposer d'autres arguments que ceux dont on s'est servi jusqu'à présent. RAPPORT AU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES SUR LE BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ POLYMATHIQUE DU MORBIHAN (ANNÉES 1872, 1873 ET 1874) TUMULUS, DOLMENS, HACHES DE PIERRE (Revue des Sociétés savantes, 1876. Bibliogr., no 167.) La composition de ces derniers cahiers annonce un heureux retour de la Société du Morbihan aux travaux qui sont le plus de sa compétence. Je regrettais dans mon dernier Rapport, dont la publication date déjà de trois ans 1, que les recherches sur les anciennes sépultures, si actives avant la guerre, eussent été à peu près abandonnées. Elles ont été reprises, et le groupe des anciens travailleurs s'est recruté de sujets nouveaux dans lesquels il est permis d'espérer de dignes émules de leurs devanciers. Un petit tertre de 1,50 de relief, duquel sortaient deux pointes de granit, a révélé à M. Fouquet, qui l'a fouillé, un spécimen de tumulus circonscrit par un cercle de pierres brutes. C'est au milieu du cercle ou cromlech, comme l'appellent nos archéologues bretons, que les deux pierres saillantes étaient plantées. Ce tumulus différait de tous ceux de la même forme qui ont été déjà signalés, par la grosseur des pierres employées pour faire le cercle. Elles avaient en moyenne 2 mètres de long sur 1 mètre de haut. La terre ayant été accumulée seulement dans leur intérieur, pour compléter le talus à l'extérieur, il y avait un remblai circulaire de pierraille. Au fond du tertre, la terre était mélangée de cendre et de charbon. Il s'est présenté là une petite hache celtique en silex pyromaque, éclatée d'un côté, polie de l'autre. Louons M. Fouquet de ce qu'il ne s'est pas autorisé de cette circonstance pour établir une classe de 1. Revue des sociétés savantes, 1872, 5o série, t. IV, p. 401. Voy. plus haut, p 163. A. G. produits de transition entre l'âge de la pierre brute et l'âge de la pierre polie. C'est près de la Haye-en-Saint-Gravé qu'a été faite cette intéressante exploration. Deux autres tumulus également cerclés de pierres, mais bien différents du précédent par leur contenu, ont été explorés par M. L. Galles sur la commune de Plougoumelan, près de l'embouchure de la rivière d'Auray. Le premier de ces tumulus, de 11,50 de diamètre, avait son cromlech taluté de pierraille au dedans aussi bien qu'au dehors. Cet entourage était interrompu de la largeur de 1 mètre sur un point où s'ajustait un appendice extérieur ressemblant à un petit dolmen ruiné. C'était le débouché d'une galerie ou ruelle étroite entre deux rangs de pierres, qui pénétrait jusqu'au centre du tumulus, et se terminait là par deux pierres debout. Le sol, au fond de cette galerie, consistait en une terre noire et visqueuse, dans laquelle on a recueilli : 1o un petit silex taillé; 2o un fragment de vase; 3° une bague de cuivre; 4° un torques de bronze formé d'un gros fil rond; 5° deux groupes de douze bracelets chacun, se rapportant au type du bracelet à tige massive pommettée. Par la position dans laquelle se présentèrent les deux groupes, il fut évident pour M. Galles qu'ils avaient formé la garniture de deux bras croisés l'un sur l'autre. Le second tumulus de Plougoumelan, moins grand que l'autre, car son diamètre ne mesurait que 7,50, était parementé de pierres qui formaient enveloppe sur la totalité de sa superficie. La sépulture était à 1,70 en contre-bas du sol, dans une fosse oblongue, de 3 mètres sur 1,45. On a trouvé dedans un vase de cuivre, de la forme d'une urne conique, qui reposait sur une couche de charbon de bois. Il contenait des os reconnus pour des os d'homme, quoiqu'ils eussent subi la combustion, plus un petit crampon de fer et une lame, également de fer, munie de deux rivets. Un bassin de mème métal que le vase avait été posé sur l'orifice en guise de couvercle. Voilà donc un exemple fourni par la Bretagne de ces tumulus. recouvrant des fosses, comme on en a découvert plusieurs en Champagne dans ces derniers temps. Cela démontre qu'il ne faut pas se hâter de localiser les pratiques funéraires d'après un genre de sépulture trouvé dans tel ou tel département: car rien ne dit que la même chose ne se rencontrera point dans un autre département, à cent lieues et plus de celui-là. A plus forte raison doit-on s'abstenir des systèmes historiques qui n'auraient pour fondement que des conclusions de cette espèce. L'inconvénient des conclusions précipitées se fait sentir dans deux petites dissertations du même M. L. Galles sur la diversité d'origine des dolmens et sur les auteurs présumables de ces monuments en France. Ce sont là des questions rebattues et qui ne pourraient être rajeunies que par l'étendue des informations et par l'exactitude extrême des faits allégués. On ne reconnaît pas le résultat d'une étude assez approfondie de la matière dans les propositions qui servent de prémisses au savant morbihannais. Ainsi, par exemple, il n'est pas juste de dire que jusqu'à ce jour on a attribué l'érection des dolmens à un peuple préhistorique, autochtone ou nomade, car le plus grand nombre de ceux qui ont écrit sur les dolmens les ont considérés comme l'œuvre des Gaulois, et ce n'est que depuis une vingtaine d'années que, concurremment avec cette opinion, a été émise celle qui fait intervenir un peuple inconnu. Il n'est pas juste non plus d'établir en principe que le dolmen est l'œuvre de toute société naissante; car dans les relations de voyages qui se multiplient de jour en jour avec une publicité qu'on peut dire populaire, nous avons la peinture d'une foule de sociétés naissantes où il ne se fait rien qui ressemble aux dolmens. Et lorsque M. Galles ajoute que tous les peuples se sont livrés à ce genre de construction du moment qu'ils ont eu la pensée de préserver la cendre des morts, il n'a pas tenu compte des témoignages contraires qui nous sont parvenus de l'antiquité comme par exemple, celui de Tacite à l'égard des Germains, qui tenaient pour insupportable aux morts le poids de toute construction élevée sur la sépulture; celui de Silius Italicus à l'égard des Celtibères, qui croyaient que l'homme n'était reçu par les dieux, après le trépas, que si son corps avait été abandonné en proie aux oiseaux. Et la coutume des anciens Perses, observée encore aujourd'hui par les Parses, n'était-elle pas de laisser aussi aux oiseaux ou aux agents atmosphériques le soin de détruire le cadavre? Enfin je contesterai cette autre proposition, que dans les dolmens de la Bretagne on n'a jamais trouvé d'objets de bronze. Nous avons à Paris, dans notre musée des Thermes, tout un assortiment de bijoux d'or et d'armes de bronze qui proviennent du dolmen de Carnhoët, fouillé en 1843. La Revue archéologique de 1868 (p. 364) a publié une notice de cette découverte. Un autre dolmen, situé à Plésidy, dont l'exploration est relatée dans les Mémoires de la Société d'émulation des Côtes-du-Nord, a fourni deux lames de poignard. Quant à la doctrine de M. L. Galles, qui est que les Gaulois pourraient bien avoir été les constructeurs des dolmens, je crois qu'elle |