II ANTIQUITÉS ROMAINES ET GALLO-ROMAINES DU LIEU DE LA BATAILLE ENTRE LABIÉNUS ET LES PARISIENS (Mémoires de la Société des antiquaires, 1852. - Bibliogr., n° 206.) L'an 52 avant Jésus-Christ, pendant la septième campagne de César dans les Gaules, et au moment même où ce grand capitaine perdait. devant Gergovie sa réputation d'invincible, son lieutenant Titus Labiénus anéantit, dans un combat livré près de Lutèce, l'une des armées de la confédération ennemie. Grâce à cette victoire, les Romains purent opérer leur jonction et se porter sur Alise, où, comme on sait, la nationalité gauloise trouva son tombeau. César raconte cela dans un passage de ses Commentaires sur lequel l'attention des critiques s'est particulièrement arrêtée, à cause de la célébrité postérieurement acquise par les lieux où se place le récit. Comme le latin est très vague, qu'il n'énonce que des positions relatives au cours de la Seine, on a voulu l'éclaircir par la topographie moderne et retrouver sur la carte le point précis où se donna la première bataille de Paris. De là des discussions nombreuses d'où est résultée une certaine opinion qui, aujourd'hui, se trouve avoir force d'axiome historique. Sans m'éloigner du respect dù aux auteurs éminents qui ont, les uns mis en avant, les autres accrédité l'opinion que je veux dire, je vais me mettre en devoir de la détruire, afin de la remplacer par une autre. Une longue méditation du texte, une exploration minutieuse du terrain m'ont convaincu que ni l'un ni l'autre n'avaient été regardés d'assez près; qu'ils recèlent en eux des témoignages dont on n'a pas tiré parti, et que, bien qu'ils ne demandent qu'à s'éclairer récipro quement, ils ne l'ont point fait jusqu'ici, faute d'avoir été rapprochés par leurs véritables points de contact. Voici, pour commencer, le récit de César, que j'extrais du VIIe livre de ses Commentaires. Je le traduis avec l'aveu bien humble de mon impuissance à en atteindre la concision; mais le texte mis en regard permettra au lecteur de faire les corrections convenables. Laissant son matériel à A gendicum sous la garde du renfort nouvellement arrivé d'Italie, Labiénus partit pour Lutèce à la tête de quatre légions. Lutèce est une ville des Parisiens, située dans une île de la Seine. A la nouvelle de son approche, toutes les peuplades environnantes contribuèrent à la formation d'une armée considérable dont le commandement supérieur fut déféré à Camulogène, vieillard du pays des Aulerques : des talents militaires peu communs le firent appeler pour recevoir cet honneur malgré son âge avancé. Ayant reconnu l'existence d'un marais continu, produit par l'un des affluents de la Seine, et qui fournissait une défense excellente dans la totalité de sa longueur, il s'y posta pour barrer le passage aux Romains. Labiénus fit d'abord avancer les mantelets, et se mit en devoir de remblayer le marais avec de la terre et des fascines, de manière à y établir un chemin solide; mais comme il s'aperçut que l'opération était trop difficile, il sortit en silence de ses quartiers vers le milieu de la nuit, et retourna sur ses pas jusqu'en face de Melun. Melun est une ville des Senonais placée dans une île de la Seine, comme j'ai dit tout à l'heure qu'était Lutèce. Il trouva là une cinquantaine de bateaux, les fit attacher promptement l'un à l'autre, et lança. par-dessus un corps de troupes qui ... Labienus eo supplemento, quod nuper ex Italia venerat, relicto Agendici,ut esset impedimentis præsidio, cum iv legionibus Lutetiam proficiscitur. Id est oppidum Parisiorum, positum in insula fluminis Sequanæ. Cujus adventu ab hostibus cognito, magnæ ex finitimis civitatibus copiæ convenerunt. Summa imperii traditur Camulogeno Aulerco, qui, prope confectus ælate, tamen propter singularem scientiam rei militaris ad eum est honorem evocatus. Is quum animadvertisset perpetuam esse paludem, quæ influeret in Sequanam atque illum omnem locum magnopere impediret, hic consedit nostrosque transitu prohibere instituit. Labienus primo vineas agere, cratibus atque aggere paludem explere atque iter munire conabatur, Postquam id difficilius confieri animadvertit, silentio e castris tertia vigilia egressus, eodem quo venerat itinere, Melodunum pervenit. Id est oppidum Senonum in insula Sequanæ positum, ut paulo ante de Lutetia diximus. Deprehensis navibus circiter L celeriterque conjunctis, atque eo militibus impositis, et rei novitate perterritis oppidanis, quorum magna pars erat ad bellum evocata, sine contentione oppido potitur. Refecto ponte, quem prit la ville sans trouver de résistance de la part des habitants, effrayés à la vue d'une manœuvre nouvelle pour eux et fort réduits d'ailleurs par le contingent qu'ils avaient dû fournir à l'armée. Ayant rétabli un pont coupé par eux l'un des jours précédents, Labiénus fit passer le gros de son armée et se remit en marche sur Lutèce en suivant le cours du fleuve. Les Parisiens eurent avis de ce mouvement par des gens qui s'étaient sauvés de Melun. L'ordre fut aussitôt donné d'incendier Lutèce et de couper ses ponts. Ils quittèrent le marais où ils s'étaient tenus jusque-là pour aller s'établir sur les bords de la Seine, dans la direction de Lutèce, en face du camp de Labienus. Déjà on savait la retraite de César de devant Gergovie, déjà commençaient à s'ébruiter la défection des Éduens et le soulèvement de toute la Gaule, et les Gaulois, dans leurs entretiens, affirmaient que César ne pouvant plus ni avancer ni passer la Loire, manquant de vivres, s'était rejeté sur la province romaine. En même temps les Bellovaques, jusque-là très mal disposés par eux-mêmes, se décidaient, par l'exemple des Eduens, à réunir des troupes, se préparaient ouvertement à la guerre. La face des choses étant si complètement changée, Labiénus comprit qu'il fallait renoncer à ses plans et ne songer plus à gagner du terrain ni à prendre l'offensive, mais seulement à ramener son armée saine et sauve jusqu'à Agendicum; car, d'un côté, il était menacé par les Bellovaques, réputés l'un des peuples les plus vaillants de la Gaule; de l'autre, Camulogène était en présence avec son armée T. I. superioribus diebus hostes resciderant, exercitum traducit et secundo flumine ad Lutetiam iter facere cœpit. Hostes, re cognita ab iis qui a Meloduno profugerant, Lutetiam incendi pontesque ejus oppidi rescindi jubent; ipsi profecti a palude, in ripis Sequanæ, e regione Lutetiæ contra Labieni castra considunt. Jam Cæsara Gergovia discessisse audiebatur. Jam de Eduorum defectione et secundo Galliæ motu rumores afferebantur, Gallique in colloquiis, interclusum itinere et Ligere Cæsarem, inopia frumenti coactum, in Provinciam contendisse confirmabant. Bellovaci autem, defectione Æduorum cognita, qui ante erant per se infideles, manus cogere atque aperte bellum parare cœperunt. Tum Labienus, tanta rerum commutatione, longe aliud sibi capiendum consilium, atque antea senserat, intelligebat; neque jam ut aliquid acquireret, prœlioque hostes lacesseret, sed ut incolumem exercitum Agendicum reduceret, cogitabat. Namque aitera ex parte Bellovaci, quæ civitas in Gallia maximam habet opinionem virtutis, instabant, alteram Camulogenus parato atque instructo exercitu tenebat tum legiones a præsidio atque impedimentis interclusas maximum 14 toute prête et rangée en bataille ; enfin un fleuve considérable ajoutait à la distance dont les légions étaient séparées à la fois de leur réserve et de leur matériel. Contre des difficultés si grandes et si soudaines il ne vit de recours qu'en sa propre énergie. Au conseil de guerre qu'il tint à la tombée du jour, il recommanda par-dessus toute chose la précision et l'ensemble dans les manœuvres qu'il allait commander. Alors il distribue entre les chevaliers romains de grands bateaux qu'il avait amenés de Melun, leur donnant l'ordre, aussitôt la première veille achevée, de suivre sans bruit le cours de l'eau jusqu'à la distance de quatre milles pour s'arrêter là et l'attendre. Cinq cohortes qui ne lui paraissaient pas assez solides pour l'action, sont laissées à la garde du camp; quant aux cinq autres cohortes qui complétaient la légion, il leur commande de partir au milieu de la nuit, chargées de tout ce qu'on avait de bagage et marchant en amont du fleuve avec le plus de bruit possible. Il fait aussi réquisition de batelets, qu'il envoie dans la même direction. et non moins tumultueusement, par l'effet de leurs rames violemment agitées. Lui-même, un peu après tout cela, sort dans le plus grand silence avec trois légions qu'il conduit à l'endroit où il avait fait arrêter les grands bateaux. Comme on y arrivait, il survint un violent orage, qui permit de surprendre et d'accabler les sentinelles gauloises disposées tout le long de la Seine. En un clin d'œil, l'armée, y compris la cavalerie, fut passée, par la diligence des chevaliers ro flumen distinebat. Tantis subito difficultatibus objectis, ab animi virtute auxilium petundum videbat. Itaque sub vesperum consilio convocato, cohortatus ut, ea quæ imperasset diligenter industrieque administrarent, naves, quas a Meloduno deduxerat, singulas equitibus Romanis attribuit, et, prima confecta vigilia, Iv millia passuum secundo flumine silentio progredi ibique se exspectari jubet; v cohortes, quas minime firmas ad dimicandum esse existimabat, castris præsidio relinquit; v ejusdem legionis reliquas de media nocte cum omnibus impedimentis adverso flumine magno tumultu proficisci imperat. Conquirit etiam lintres. Has magno sonitu remorum incitatas, in eamdem partem mittit. Ipse post paulo, silentio egressus, cum legionibus eum locum petit, quo naves appelli jusserat. Eo quum esset ventum, exploratores hostium, ut omni fluminis parte erant dispositi, inopinantes, quod magna subito erat coorta tempestas, ab nostris opprimuntur ; exercitus equitatusque, equitibus Romanis administrantibus, quos ei mains préposés à l'opération. Ce ne fut qu'au petit jour et presque en même temps que les ennemis furent prévenus qu'il se faisait un tumulte extraordinaire dans le camp des Romains, qu'on entendait en amont, la marche d'un gros corps d'armée mêlée à un fort bruit de rames, enfin, qu'un peu plus bas des soldats passaient en bateaux. Convaincus d'après ces rapports que les légions effectuaient leur passage sur trois points, et que l'armée tout entière, démoralisée par la défection des Éduens, ne cherchait qu'à fuir, ils distribuèrent aussi leurs forces en trois corps. Un poste d'observation fut laissé du côté du camp romain, une petite division fut dirigée vers Metiosedum pour suivre la marche des bateaux qui remontaient; le reste des Gaulois fut conduit contre Labiénus. Aux premiers feux du jour, les nôtres avaient effectué leur passage et l'on apercevait l'armée ennemie rangée en bataille. Labiénus harangue les soldats, leur rappelle leur valeur, illustrée par tant d'heureux exploits, les exhorte à se figurer que César en personne les commande, lui qui les a conduits si souvent à la victoire; puis il donne le signal du combat. Au premier choc, l'aile droite, tenue par la septième légion, rompt les lignes ennemies et fait tout fuir devant elle; mais à gauche, où opérait la douzième légion, les premiers rangs des Gaulois tombent sous la grêle des javelots, sans que les autres cessent d'opposer la plus vive résistance, sans que personne fasse mine de reculer. Leur général en chef Camulogène était avec eux et échauffait leur courage. La victoire negotio præfecerat, celeriter transmititur. Uno fere tempore, sub lucem, hostibus muntiatur, in castris Romanorum præter consuetudinem tumultuari, et magnum ire agmen adverso flumine, sonitumque remorum in eadem parte exaudiri, et paulo infra milites navibus transportari. Quibus rebus auditis, quod existimabant tribus locis transire legiones, atque omnes, perturbatos defectione Æduorum, fugam parare, suas quoque copias in tres partes distribuerunt. Nam præsidio e regione castrorum relicto, et parva manu Metiosedum versus missa, quæ tantum progrederetur quantum naves processissent, reliquas copias contra Labienum duxerunt. Prima luce et nostri omnes erant transportati et hostium acies cernebatur. Labienus, milites cohortatus ut suæ pristinæ virtutis et tot secundissimorum prœliorum memoriam retinerent atque ipsum Cæsarem, cujus ductu sæpenumero hostes superassent, præsentem adesse existimarent, dat signum prælii. Primo concursu ab dextro cornu, ubi via legio constiterat, hostes pelluntur atque in fugam conjiciuntur; ab sinistro, quem locum xa legio tenebat, quum primi ordines hostium transfixi pilis concidissent, tamen acerrime reliqui resistebant, nec dabat suspicionem fugæ quisquam. Ipse dux hostium Camulogenus suis aderat atque eos cohortabatur. At incerto etiam nunc exitu victoriæ, quum Viæ legionis tribunis esset nuntia |