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premier chef. En lisant leur arrêt, on retrouve l'horrible détail du supplice de Ravaillac, auquel on paraissait les avoir assimilés. Ils avaient disparu; on promit vingt mille écus à qui rapporterait leur tête. On vit bientôt ce que peuvent, pour le salut d'un état, les ressorts de la politique extérieure, quand ils sont confiés à une main habile. Le cardinal sut obtenir du prince d'Orange et des états de Hollande des démonstrations militaires, qui éloignèrent les Espagnols, menacés de se trouver entre deux armées. En de si graves circonstances, le ministre n'avait pu se dispenser de laisser paraître à la tête des troupes le frère du roi et le comte de Soissons, ses mortels ennemis. Les princes saisirent l'occasion, en formant un complot pour l'assassiner à Amiens. C'en était fait du cardinal, si Gaston, auquel le meurtre répugnait, eût osé donner le signal convenu.— Il restait peu de loisir au ministre, dans les périls et dans les affaires, pour se croire poète; mais on résiste difficilement au charme des vers, quand on ambitionne les palmes de l'éloquence. La prédilection du cardinal pour la poésie dramatique ne fut point stérile. Il inventait des sujets de pièces, dont il faisait versifier chaque acte par un auteur différent (Voyez CORNEILLE, IX, 609). Ces productions se nommèrent les Pièces des cinq auteurs. La tragi-comédie de Mirame passa pour être l'ouvrage d'un seul; et lorsqu'on dépensa deux cent mille écus afin de la produire avec plus d'avantage à la cour, la tendresse paternelle se laissa facilement deviner. On ne put la méconnaître non plus pour la Grande pastorale, Gomberville ayant déclaré,

Qu'il n'est point d'Apollon que le grand Richelieu,

tous les poètes applaudirent, célébrant à l'envi le nom d'Armand. Des pensions les encouragèrent; et Colletet reçut jusqu'à six cents livres pour six vers. Depuis peu de temps, quelques beaux-esprits avaient coutume de se réunir, afin de discuter entre eux des questions littéraires (V. CONRART). Le cardinal conçut le projet d'en former un corps. Ce fut l'origine de l'académie française, dont il voulut être le chef et le protecteur (1635). L'académie ne se montra pas ingrate : elle établit que chaque membre promettrait, avant d'être reçu, de réveirer la vertu et la mémoire de monseigneur le protecteur. Il n'accepta pas ce tribut perpétuel d'admirationt obligée; et les statuts furent corrigés.. La critique du Cid fut ordonnée, moins peut-être par jalousie contre Corneille que pour établir la juridiction de la nouvelle académie dans l'empire du goût. L'imprimerie royale, que François Ier. avait créée, devint, à grands frais, digne de son nom (1). Le prélat dont la plume avait combattu l'hérésie, ne pouvait négliger d'étendre sa protection sur les études théologiques. La Sorbonne, qui avait traversé plusieurs siècles sous l'humble apparence d'une école ouverte à la jeunesse pauvre, reçut une destination plus étendue ; et ses vieux murs furent remplacés par des édifices superbes. D'autres bâtiments, le fameux palais Cardinal (lePalais-Royal d'aujourd'hui), et un hôtel de Richelieu, exercèrent le talent des artistes dans tous les genres. Mais ce n'était pas dans les arts et les lettres l'on pouvait trouver des secours

que

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contre les factions et les intrigues. Le roi, que sa piété mettait fort en garde contre les séductions de la beauté, se sentait néanmoins attiré par les gráces et la vertu de Mlle, de Lafayette (V. LOUIS XIII). Elle détestait le premier ministre, qui trembla de se voir exposé au seul danger qu'il n'eût peut-être pas prévu. Il comptait sur le confesseur du roi pour hâter la profession religieuse de la belle favorite, touchée de cette vocation, dès ses plus jeunes ans, et s'y maintenant depuis sa faveur : mais le P. Caussin, dont le cardinal s'était cru assuré en l'approchant du roi, jugeait que la guerre, l'exil de la reine mère, les alliances avec les hérétiques, compromettaient la conscience de son pénitent. Il lui semblait utile de retenir à la cour une pieuse fille, attentive à ses conseils, et qui pouvait éclairer la religion du monarque. Le combat entre le ministre et le confesseur ne fut pas long. Le cloître dé roba Mlle. Lafayette aux confidences de Louis; et une lettre de cachet envoya le jésuite à Rennes. Ses supérieurs furent invités à employer son zèle dans les missions du Canada; et ils obtinrent, comme une grâce, la faculté de le reléguer à QuimperCorentin. Un autre jésuite, le P. Monod, confesseur de Christine de Savoie, sœur du roi, résista plus longtemps. Les présents, les louanges, les menaces, n'avaient pu le gagner; et la duchesse refusait obstinément de s'en séparer. Le cardinal renversa tous les obstacles; et son ennemi finit ses jours dans une forteresse (V. MONOD). On se débarrassa de même d'un des ministres de la duchesse, le comte d'Aglié, qui fut amené à Vincennes. Richelieu savait faire ployer les souverains devant sa volonté. Peu délicat sur le choix des moyens, il

faisait arrêter et dévaliser les courriers, lorsque ses espions étaient en défaut. Il excitait alternativement Wallenstein à se révolter, et l'empereur à l'irriter. Il signait un traité d'alliance et de subsides avec les Catalans, soulevés contre l'Espagne, et traitait avec eux pour l'établissement d'une république à Barcelone. Il ne demeura pas étranger à la révolution soudaine qui, rappelant des droits légitimes, plaça la maison de Bragance sur le trône de Portugal. A son aumônier fut réservée l'odieuse mission de hâter la catastrophe de Charles Ier., en excitant la haine des Écossais et la fureur des puritains. On frémit en lisant ces mots prophétiques, dans une dépêche au comte d'Estrade, ambassadeur à Londres: « L'année ne se passera pas que le >> roi et la reine d'Angleterre ne se >> repentent d'avoir refusé les offres » que vous leur avez faites. » Ces offres étaient de garder la neutralité. Les choses allèrent plus loin, disent les Mémoires de Brienne, que le cardinal ne l'avait prévu et souhaité. C'est à regret que Richelieu n'avait pu obtenir d'Anne d'Autriche un pardon, ou du moins l'apparence d'une réconciliation. Son amour-propre souffrait d'être haï d'une princesse parée des grâces de la jeunesse et de a beauté. La malignité, qui s'empare de tout, exagéra des dispositions secrètes, dont la reine put entendre, une fois seulement, l'expression trop vive. Le cardinal, tant qu'il vécut, ne cessa de l'accabler de chagrins. Mme. de Motteville, confidente de la reine, s'étonnait de voir sa maîtresse victime, dit-elle, de cette nouvelle manière d'aimer. Le ministre, ayant surpris des lettres qu'elle écrivait au roi d'Espagne son frère, desira lire aussi les réponses, restées entre les

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mains d'Anne d'Autriche. Pour contenter une curiosité plus qu'indiscrète, il envoya le chancelier, assisté de l'archevêque, faire une perquisition au Val-de-Grâce, où la reine avait un appartement. Nison oratoire, ni ses cassettes, ne furent respectés; les religieuses furent interrogées, et l'abbesse exilée. On n'épargna rien à l'épouse du roi : publicité, formes judiciaires, explications verbales avec le cardinal. On imagina sauver les apparences, en faisant croire qu'elle avait été l'objet de certains ménagements. Dans la frayeurd'être renvoyée en Espagne, elle s'écriait : « Quelle » bonté faut-il que vous ayez, mon» sieur le cardinal! » L'autre reine, Marie de Médicis, accablée des ennuis de l'exil, s'appliquait à fléchir un fils long-temps soumis et respectueux. Sa situation était digne de pitié, depuis la saisie de son douaire et de ses revenus. On prétendait la punir des complots attribués au père de Chanteloube, oratorien de sa suite, que le cardinal avait fait condamner, par contumace, à être rompu vif. Le roi, sensible aux larmes de sa mère, tint conseil, pour accorder la piété filiale avec les devoirs du souverain. Le cardinal se récusa, certain qu'il pouvait, sans être présent, imposer sa volonté. La veuve de Henrile Grand, la mère d'un roi et de deux reines, mourant pauvre et délaissée, à Cologne, accuse la mémoire de Richelieu. Si la politique exigeait le bannissement de cette princesse, il n'était pas du moins forcé de faire sentir l'indigence à sa bienfaitrice. Jusqu'alors les finances de l'état s'étaient conservées dans une situation assez prospère. Mais, vers les dernières années de la vie du cardinal, le trésor était obéré. On ne sut opposer aux nécessités du temps,

que la création subite de quatre cents charges de procureurs au parlement de Paris (1639). Tous les habitants des paroisses devinrent solidaires du paiement des tailles; mesure dont l'exécution rigoureuse occasionna des émeutes en divers lieux. Les révoltés prirent le nom de nuds pieds, qui exprimait énergiquement leur misère, vraie ou simulée. La haine contre le cardinal, en descendant des grands jusqu'au peuple, sembla devenir générale. On doutait que le roi lui-même se fût jamais conduit par affection pour son ministre, dont les manières et l'humeur lui déplaisaient. Il ne l'avait opiniâtrément maintenu, qu'en cédant à l'intérêt de l'état. Malgré quinze années d'habitude, Louis se révoltait encore contre un joug que la postérité le loue d'avoir porté. Richelieu, inquiet comme aux premiers jours de la faveur, redoutait l'avenir. Vainement il cherchait la sécurité dans le nombre des espions et le rang élevé des délateurs; on se croyait, en tout lieu, sous l'œil du cardinal, et lui seul craignait d'être mal averti. Le goût du monarque pour les favoris causait de vives alarmes à Richelieu; et il essaya d'en former lui-même un qui serait modeste dans la prospérité, fidèle surtout à la reconnaissance. Cinq - Mars, second fils du maréchal d'Effiat, fut approché du roi, et s'avança rapidement dans sa confiance. Au comble de la faveur, l'ennui le dévorait; il regrettait l'indépendance, et s'irritait des dures réprimandes du cardinal. Il espéra, en obtenant, par un traité secret, l'appui de l'Espagne, secouer une tutelle dont le roi gémissait avec lui. Les courtisans, attentifs à la lutte qui s'engageait, se divisèrent en deux factions les royalistes, dont Cinq

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Mars était chef, et les cardinalistes. Richelieu, malade à Narbonne, déplorait la fatalité d'être éloigné de la cour, dans un temps où il lui était si nécessaire d'en être près. Il écrivait de tous côtés raffermir la fidépour lité de ses amis; il décidait le prince d'Orange à insinuer que son alliance avec la France dépendait de la conservation du premier ministre. Enfin, le traité avec l'Espagne fut révélé, sans qu'on ait jamais su par quel moyen. Le roi, dès qu'il entrevit l'apparence de son autorité menacée, revint au cardinal. Le duc de Bouillon, l'espoir des factieux, fut arrêté, comme l'avait été Marillac, au milieu de l'armée qu'il commandait. On emprisonna Cinq-Mars et son ami de Thou, et tous deux périrent sur l'échafaud (V. CINQ-MARS). Le roi apprit en même temps cette sanglante catastrophe, et la nouvelle d'un succès militaire qu'il desirait depuis long-temps : « Sire, vos en>> nemis sont morts, et vos armes » sont dans Perpignan », écrivait le ministre, dont la maladie n'avait pas abattu l'esprit. Il revint de Lyon à Paris, dans une espèce de chambre, portée par dix-huit de ses gardes, qui marchaient tête nue. Une brèche pratiquée aux murs des villes, laissait passer cette machine, quand la dimension des portes s'y refusait. Louis n'éprouva pas, à la vue de son ministre, ces retours de confiance, auxquels il s'abandonnait volontiers quand il se croyait des torts à réparer envers lui. Inquiet de sa propre santé, il paraissait moins attentif aux maux du cardinal. Peut-être aussi le moment était-il arrivé, où, lasses l'un de l'autre, ils avaient épuisé, dans une longue contrainte, la patience de se supporter: mais cette nouvelle épreuve n'était pas ré

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servée à leur union; la fin de Richelieu approchait. Lorsqu'il sentit le danger de sa situation, il prononça d'une voix ferme des adieux au roi, se consolant, disait-il, par la satisfaction de laisser le royaume au plus haut degré de gloire. Il recommanda Mazarin et les autres ministres, dont il loua les services et la fidélité. Il envisagea la mort avec l'attention calme qu'il avait coutume de donner à ses occupations ordinaires. Ayant demandé le viatique : « Voilà mon Seigneur et mon Dieu, s'écriatil; je proteste devant lui que dans tout ce que j'ai entrepris, je n'ai jamais eu en vue que le bien de la religion et de l'état. » Lorsqu'on lui demanda s'il pardonnait à ses ennemis, les uns disent qu'il répondit : « Je » n'ai d'ennemis que ceux de l'état. » D'autres entendirent seulement qu'il pardonnait volontiers. Les princes, les grands de la cour, remplissaient son appartement. Plusieurs se retirèrent édifiés de sa piété tranquille: quelques - uns en furent épouvantés, craignant qu'une si constante sécurité ne cachât de périlleuses illusions. Le roi se contenta de dire froidement: « Voilà un grand politique » mort. » Le cardinal de Richelieu termina sa carrière, le 4 déc. 1642, dans la cinquante-huitième année de son âge et la dix-huitième de son ministère. Les honneurs funèbres lui furent prodigués avec le faste qu'il avait aimé pendant sa vie; et le peuple, toujours content du changement de maître, fit des feux de joie. Le testament, qui pourvut au partage de la succession du cardinal, semblait répartir la fortune d'un prince. Le roi était insorit parmi les légataires, soit par la vanité du testateur, soit à titre de restitution déguisée. Louis XIII accepta un million et demi en espèces,

des meubles, et le palais Cardinal (2). Jamais ministre ne s'était ménagé de si grands moyens d'économie personnelle: chaque semaine, il réglait les comptes de son maître d'hôtel, sans se résoudre toutefois, à dépenser, par an, moins de quatre millions. Sa table, ses équipages, sa musique, toute l'ordonnance de sa maison faisait envie au roi, qui n'était pas si bien servi. Ce grand luxe ne pesait pas entièrement sur l'état. Général de trois ordres monastiques, les plus richement dotés, les meilleurs bénéfices s'étaient trouvés à sa convenance. Richelieu était infatigable au travail, quoique sa santé fût très-délicate, et qu'il éprouvât des maladies continuelles. Il se couchait ordinairement à onze heures, dormait trois ou quatre heures de suite, puis il écrivait lui-même, ou dictait à un secrétaire, et se rendormait sur les six heures, pour se lever entre sept et huit. Bien que naturellement haut et impérieux, il connaissait le prix des manières affables. Sa physionomie mobile et à laquelle il savait commander, aidait merveilleusement à la dissimulation. On le voyait comme abîmé dans la douleur, demi-mort, disait la reine mère, et l'instant après, gai, enjoué. Elle prétendait aussi qu'il avait les larmes à commandement. Il accueillait tout le monde avec une extrême politesse, tendant une main affectueuse à ceux qui venaient lui parler; et, lorsqu'il avait dessein de les gagner, il les comblait de louanges et de caresses. Il était ardent à rendre service à tous ceux qui lui

(2) Sa bibliothèque, riche en manuscrits orientaux, fut léguée à la Sorbonne; mais il paraît que ce legs ne parvint jamais à sa destination. Voyez, à cet égard, les réclamations de l'abbé Ladvocat, dans le Journal des savants, de mai 1788, p. 293.

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montraient de l'attachement; et l'on pouvait compter sur sa parole. Ses domestiques le regardaient comme le meilleur des maîtres; et il les récompensait libéralement : mais son esprit ombrageux leur causait souvent de grandes inquiétudes. Un jour qu'il aperçut, sous le lit de son valet de chambre, qui couchait dans son appartement, deux bouteilles de vin, il s'imagina que ce pouvait être du poison et le contraignit de le boire toutes deux en sa présence. Il se piquait d'un grand attachement pour la religion, et fut soigneux d'en accorder les pratiques avec ses immenses occupations. Il communiait tous les dimanches, et disait la messe aux grandes fêtes. Ses mæusr exercèrent la censure de ses ennemis. Les libelles lui attribuent des intrigues galantes avec sa nièce de Combalet et la duchesse de Chevreuse. Voltaire le déclare amant public de Marion de Lorme: mais si le cardinal a payé de honteux tributs à la faiblesse humaine, il s'environna des plus épaisses ténèbres. Un roi, scandalisé de ce que son premier ministre s'était fait dispenser par le pape de réciter le bréviaire, n'eût point toléré les mœurs irrégulières d'un prêtre. Pour justifier l'inconvenance de ses exploits guerriers, Richelieu associa beaucoup d'ecclésiastiques à sa carrière militaire. Au siége de la Rochelle, on ne voyait qu'évêques et abbés, chargés de diriger les travaux et les approvisionnements. Il fit amiral l'archevêque de Bordeaux, qui livra plusieurs combats; il envoya le père Joseph discuter des plans de campagne avec le duc de Weimar. Entre les accusations hasardées intentées à sa mémoire, il n'en est peut être pas de plus téméraire, que celle d'avoir

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