Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

7

MLLE DE ROANNEZ.

Continuons de recueillir avec respect tout ce qui se rapporte à

Pascal.

J'ai, pour la première fois, publié les lettres que Pascal avait adressées à mademoiselle de Roannez, pour la soutenir dans la résolution qu'elle avait prise et dans le vœu qu'elle avait fait de renoncer au monde, et de se faire religieuse à Port-Royal (des Pensées de Pascal, p. 58 et 339); «noble et aimable personne, qu'un zèle farouche disputa longtemps aux liens les plus légitimes de la nature et du monde, et qui, divisée avec elle-même dans ce terrible combat, finit par mourir misérablement, chargée des anathèmes de Port-Royal, malheureuse et désespérée d'avoir été une fille soumise et une épouse irréprochable.» Le Recueil pour servir à l'Histoire de Port-Royal, p. 301, fait connaître en gros cette histoire bizarre et touchante; mais rien n'équivaut au récit original écrit de la main même de Marguerite Périer, qui avait vu à Port-Royal mademoiselle de Roannez, et avait suivi toute sa destinée. Ce récit est une des pièces du Recueil manuscrit de mademoiselle Périer, Bibliothèque royale, supplément français, n° 1485; et on le trouve aussi dans un manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, no 2199, intitulé: Mémoires et pièces recueillis

par M. Domat, auteur du Traité des lois civiles, qui m'ont été communiqués par M. Domat, président en la cour des aides de Clermont, son arrière-petit-fils, 1776. Ce ne sont là que deux copies, il est vrai, mais toutes deux faites avec soin sur l'autographe même de mademoiselle Périer, qui doit être caché aujourd'hui dans quelque bibliothèque de Clermont. Cette histoire, parfaitement authentique, est un roman du plus douloureux intérêt. Pascal y joue un rôle principal; on y apprend certains détails de sa vie qui ne se trouvent nulle autre part 1° qu'il avait fait avec M. le duc de Roannez, frère de mademoiselle de Roannez, un ou deux voyages en Poitou; que c'est lui qui avait mis M. de Roannez entre les mains de M. Singlin; qu'il occupait un logement à l'hôtel Roannez, quoiqu'il eût une maison à Paris; 2o que toute la famille de M. et de mademoiselle de Roannez, et en particulier M. le comte d'Harcourt, était très-irritée contre Pascal; 3o que cette irritation gagna toute la maison, à ce point qu'un matin la concierge monta dans la chambre de Pascal avec un poignard, pour le tuer. Enfin, on peut tirer de ce récit par voie de conjecture la date des lettres de Pascal à mademoiselle de Roannez, et les placer à cette époque où, forcée par une lettre de cachet de quitter Port-Royal et de rentrer dans sa famille, mademoiselle de Roannez y vivait comme elle eût fait dans un cloître, occupée de lectures et d'exercices de piété, c'est-à-dire à peu près depuis l'année 1657 jusqu'à la mort de Pascal, en 1662. Mais laissons parler Marguerite Périer.

« M. de Rouanès étoit fils de M. le marquis de Boissy; madame sa mère étoit fille de M. Hennequin, président au parlement, et il étoit petit-fils de M. le duc de Rouanès; madame sa grand'mère étoit sœur (1) de M. le comte d'Harcourt. Il perdit monsieur son père à l'âge de huit ou neuf ans, et fut mis entre les mains de monsieur son grand-père, qui ne connaissoit guère sa religion, et qui étoit un homme tout (2) emporté, et peu capable de donner une éducation chrétienne à un enfant. Il lui donna un gouverneur qui n'en étoit guère plus capable que lui; il alla même

(1) Manusc. de la Bibl. Mazarine sœur. Recueil de mademoiselle Périer : fille. (2) M. Mazar. très-emp.

3

jusque là que d'ordonner à son gouverneur de lui donner l'air de cour et de lui apprendre à jurer, croyant qu'il falloit qu'un jeune seigneur prit ces manières-là. Il perdit monsieur son grand-père à treize ans ; alors il fut son maître. Madame sa mère, qui étoit une bonne femme, toute simple, ne pouvoit, et ne sçavoit pas même en prendre soin; cependant il ne laissa pas de commencer assez jeune à avoir des sentiments de religion. Il avoit un trèsbon esprit, mais point d'étude. Il fit connoissance (je ne sais pas bien à quel âge) avec M. Pascal, qui étoit son voisin; il goûta fort son esprit, et le mena même une fois ou deux en Poitou avec lui, ne pouvant se passer de le voir. Lorsque M. de Rouanès eut environ vingt-deux ou viugt-trois ans, M. Pascal s'étant donné pleinement à Dieu, et ayant pris la résolution d'abandonner le monde entièrement, persuada à M. de Rouanès d'entrer dans les mêmes sentiments. Il y entra très-fortement, et environ à vingt-quatre ou vingt-cinq ans, il résolut, avec M. Pascal et M. Singlin, entre les mains duquel M. Pascal l'avoit mis, de prendre quelque temps pour examiner devant Dieu ce qu'il devoit faire; il prit ce temps-là. M. Pascal demeuroit alors chez lui; il lui avoit donné une chambre où il alloit de temps en temps, quoiqu'il eût une maison dans Paris. Enfin, M. de Rouanès, après bien des réflexions, prit sa résolution; il se détermina absolument à abandonner le monde; il le déclara à M. Singlin et à M. Pascal, et leur dit qu'il prendroit l'occasion, dès qu'il pourroit la trouver, d'avoir l'agrément du roi de vendre son gouvernement, et se retirer à l'institution. Sa résolution étant prise entièrement et déclarée à ces messieurs, il lui arriva une chose fort extraordinaire : il y avoit quatre ou cinq ans que, ne pensant point à quitter le monde, et songeant au contraire à s'y établir, il y avoit une demoiselle de qualité, et la plus riche héritière du royaume, qui étoit mademoiselle de Menus, qui n'étoit pas encore en âge de se marier; M. de Rouanès jetoit toujours les yeux sur elle, comme un parti qui lui convenoit, et il ne doutoit pas même qu'il ne pût l'avoir, parce qu'il étoit alors le seul duc et pair à marier; car il y avoit en ce temps-là peu de ducs. Il arriva donc qu'un (1) mois après que M. de Rouanès avoit pris sa résolution, on alla proposer à M. le comte d'Harcourt mademoiselle de Menus pour monsieur son petit-neveu.

(1) M. Mazar. qu'environ.

M. le comte d'Harcourt, très-content, alla trouver M. de Rouanès, et lui dit : Mon neveu, je viens vous apporter une nouvelle qui vous fera plaisir; on vient de me proposer pour vous mademoiselle de Menus. M. de Rouanès fut très-surpris, et lui dit : Monsieur, je vous prie de me donner quelque temps pour y penser. M. le comte d'Harcourt se mit en colère, et lui dit: «Vous êtes donc fou, mon neveu? Si vous aviez recherché mademoiselle de Menus bien longtemps, et qu'on vous l'accordât, vous devriez être très-content; on vous la vient jeter à la tête, et vous dites que vous y penserez! C'est une fille de qualité, la plus riche héritière du royaume; il faut que vous soyez fou.» M. de Rouanès persista à demander du temps, et au bout de douze ou quinze jours, il alla faire sa déclaration à M. le comte d'Harcourt, qu'il avoit résolu de ne se point marier. M. le comte d'Harcourt entra dans une fureur très-grande, surtout contre M. Pascal. Cela se répandit à l'hôtel de Rouanès, où M. Pascal étoit encore; en sorte que la concierge de la maison alla un matin sur les huit heures, avec un poignard, pour le tuer; heureusement elle ne le trouva point; il étoit sorti ce jour-là, contre son ordinaire, de grand matin; il fut averti de cette aventure, et n'y retourna plus. Mademoiselle de Menus épousa ensuite M. de Vivonne.

«M. de Rouanès persista donc dans sa résolution, et quelques années après il vendit son gouvernement, et paya quelques dettes, mais non pas toutes; car monsieur son grand-père lui en avoit laissé de très-grandes. Depuis cela, M. de Rouanès ne laissa pas de demeurer dans le monde, à cause que sa mère vivoit encore; mais il eut ensuite bien du chagrin par le changement de mademoiselle sa sœur, qui n'eut pas tant de fermeté que lui.

« Pour rapporter donc aussi l'histoire de mademoiselle de Rouanès, elle étoit dans le monde, où elle vivoit avec madame sa mère. Elle avoit deux sœurs religieuses bénédictines; l'aînée fut abbesse de Riel; et la cadette est morte simple religieuse aux FillesDieu, où elle s'étoit retirée, ayant quitté son couvent, je n'en sais pas la raison. Mademoiselle de Rouanès étoit donc restée seule; et, comme elle pensoit à se marier, plusieurs personnes jetoient les yeux sur elle; mais comme elle ne pouvoit pas être un grand parti, monsieur son frère, dont on ne savoit pas la résolution, étant encore dans le monde, ceux qui pensoient à elle n'étoient pas de très-grands seigneurs. Il y eut un homme de

« VorigeDoorgaan »