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défauts, parvint à se faire élire évêque (1). On ignore la date précise de cette élection; seulement, elle ne peut être ni antérieure au 17 mai 1175, époque de la vacance du siége, ni postérieure au 13 novembre de la même année, qui fut le dernier jour d'Henri de France, archevêque de Reims.

Comment l'élu de Beauvais avait-il employé les vingt-deux premières années de sa vie? Sur cette question, nous en sommes réduits à des conjectures. Il est néanmoins probable que sa jeunesse avait été plus occupée d'exercices militaires que d'études ecclésiastiques, et ce fut sans doute pour lui laisser le temps de compléter son éducation cléricale, qu'on différa de quatre années sa consécration (2). Avant de l'avoir reçue, Philippe entreprit un pèlerinage en terre sainte. Il partit l'an 1178, avec Pierre de Courtenai, son oncle paternel, et une troupe de croisés commandée par Louis, comte de Troyes, fils de Thibaud VIII, comte de Blois (3). Nous n'avons aucun détail sur la part que prit Philippe à cette expédition. Les frères Sainte-Marthe (4) et Duchesne (5) rapportent, il est vrai, qu'il tomba dans les mains des Sarrasins et qu'il fut conduit au vieux Caire, où il racheta sa liberté. Mais le père Anselme (6) et les auteurs du nouveau Gallia christiana (7) reculent cet événement jusqu'à la croisade de 1190, à laquelle Philippe de Dreux prit aussi une part très-active. Du reste, ni les uns ni les autres n'appuient ce fait d'aucune citation: Loysel a été plus exact; il allègue (8), à ce sujet, le témoignage de Césaire, moine d'Heisterbach, mais il ne dit même pas que Philippe ait fait deux fois le voyage d'Orient.

Sans révoquer en doute le fait en lui-même, on peut au moins affirmer que la captivité de l'évêque de Beauvais ne fut pas longue. A peine le perdrons-nous de vue quelques instants pendant toute la durée de son second pèlerinage. Quant au premier, com

(1) Albéric, dans le Rec. des Hist. de Fr., t. XVIII, p. 745 c.

(2) Un clerc ne peut être promu au sacerdoce avant l'âge de 25 ans. Il est vrai que l'Église n'est pas avare des dispenses d'âge; il faut cependant pour les obtenir plusieurs conditions que ne réunissait pas assurément l'élu de Beauvais.

(3) Guill. de Tyr., 1. XXI, ch. 30.

(4) Gall. chr. vetus, t. II, p. 390.

(5) Hist. de la maison de Dreux, p. 33.

(6) Hist. généal., t. II, p. 260.

(7) T. IX, col. 732.

(8) Mém. de l'évesché et évesques de Beauvais.

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mencé en 1178, il était terminé l'année suivante. Le 1er novembre 1179, Philippe de Dreux, encore simple élu de Beauvais, assistait (1) au sacre de Philippe-Auguste dans l'église métropolitaine de Reims. Ce fut seulement en 1180, quatre années après son élection, que l'élu de Beauvais reçut enfin la consécration épiscopale. Mais Philippe était trop jeune encore pour maîtriser aisément cette impatience batailleuse et vagabonde qui formait le fond de son caractère, et que l'éducation du manoir paternel avait probablement développée. En 1182, il entreprit le pèlerinage de Saint-Jacques (2); et je n'oserais affirmer que l'espoir de trouver, dans les querelles des Plantagenets qui ensanglantaient alors la Guienne et la Gascogne, l'occasion de briser quelques lances avec honneur, n'ait pas été l'un des principaux motifs de ce pieux voyage. Toutefois, il s'y disposa d'une manière convenable au caractère dont il était revêtu, en fondant son anniversaire (3) dans l'église cathédrale de Beauvais.

Il assista, le 13 janvier 1188, à l'entrevue des deux rois de France et d'Angleterre, et y prit la croix avec son frère Robert de Dreux, son cousin le roi de France, et une foule de grands barons. Mais trois mois s'étaient à peine écoulés, que la pétulance de Richard, comte de Poitiers, brisait le traité conclu entre Henri Plantagenet et Philippe-Auguste. Sollicité par le comte de Toulouse, dont Richard venait d'envahir les États, Philippe-Auguste, à la tête d'une armée, ravagea le Berri et l'Auvergne, et s'empara de la plupart des places qui, dans ces deux provinces, reconnaissaient l'autorité du comte Richard. Celui-ci, pour forcer son ennemi à retourner en arrière, se transporta rapidement en Normandie (4). L'évêque de Beauvais l'y avait devancé. A la tête d'une troupe nombreuse, Philippe de Dreux prit Blangi, ville du comte d'Eu, Aumale, château du comte Guillaume de Mandeville, incendia d'autres villes et d'autres châteaux en grand nombre, en massacra les habitants et s'enrichit d'un butin immense (5).

(1) Nous n'osons ajouter, avec les auteurs du nouveau Gallia et le P. Anselme, en qualité de pair, parce que nous ne voyons pas sur quoi se fonde cette assertion. Philippe assistait peut-être au sacre en la simple qualité d'évêque suffragant de Reims. (2) Gall. chr., t. IX, col. 732.

(3) C'est-à-dire que, prévoyant qu'il pouvait mourir pendant son pèlerinage, il institua au profit de l'église de Beauvais une rente perpétuelle applicable aux frais du service funèbre qui y serait célébré tous les ans le jour de sa mort.

(4) Voy., pour tous ces faits, Rigord, dans le Rec. des Hist. de Fr., t. XVII, p, 27. (5) Bened. Petrob. Hist. de Fr., t. XVII, p. 482, d. e.

Richard se vengea en livrant aux flammes le château de Dreux, et en ravageant le Vexin jusqu'à Gisors (1).

L'année suivante, l'évêque de Beauvais, trouvant sans doute que Philippe-Auguste tardait trop à partir pour la terre sainte, se mit en mer avec le comte Robert son frère, Érard de Brienne et Jacques d'Avesnes. Ils arrivèrent à Saint-Jean-d'Acre le 25 septembre 1189, et, à peine débarqués, prirent leurs positions parmi les assiégeants (2). La conduite de Philippe de Dreux, au siége de Ptolémaïs, a été l'objet d'un grave reproche. On lit dans un chroniqueur anglais les lignes suivantes (3): « Anséric de Montréal, étant sur le point de mourir (4), révéla une trahison dont il s'était rendu coupable avec l'évêque de Beauvais, le comte Robert de Dreux, Gui de Dampierre, le landgrave de Thuringe et le comte de Gueldre. Ils avaient reçu, disait-il, de Saladin, trente-deux mille besants et cent marcs d'or, sans compter quatre chameaux, deux léopards et quatre faucons donnés au landgrave, et une foule d'autres présents, pour faire différer l'assaut de Ptolémaïs et laisser livrer aux flammes les tours et les machines des chrétiens. » Ce témoignage isolé mérite peu de confiance. On peut croire, en effet, que le chroniqueur anglais a épousé les haines de son roi pour la maison de France, haines dans lesquelles l'évêque de Beauvais devait avoir dès lors une bonne part. Cette odieuse imputation est d'ailleurs démentie, et par l'empressement que Philippe avait mis à prendre les armes contre les Sarrasins, et par le zèle avec lequel il concourut aux opérations du siége de Saint-Jean-d'Acre, et surtout par le vif intérêt que lui inspiraient les destinées du royaume de Jérusalem; intérêt bien fort sans doute, puisqu'il osa le manifester par une démarche peu en harmonie avec la sainteté de son caractère. La reine Sybille, femme de Gui de Lusignan, étant morte avec ses quatre enfants au commencement du siége d'Acre, la couronne de Jérusalem passa de plein droit à sa sœur Isabelle, mariée alors à Honfroi de Thoron, seigneur de Montréal et connétable du royaume. Honfroi, caractère faible et timide, avait pris la fuite

(1) Rigord, I. c.

(2) Bened. Petrob., Hist. de Fr., t. XVII, p. 496, 497.-Radulf. de Diceto, ibid., p. 636.-Philippe-Auguste ne partit qu'en juin 1190. Rigord, ibid., p. 29. (3) Rad. de Diceto, op. cit., p. 637, b.

(4) Il mourut pendant le siége. Bened. Petrob., op. et vol. cit., p. 512, d.

lorsque les barons du pays avaient voulu le couronner. Conrad de Montferrat, à qui la belle défense de Tyr avait mérité la seigneurie de cette ville, et, ce qui valait mieux encore, une haute réputation de bravoure et d'habileté, résolut de profiter de ces avantages pour supplanter le nouveau roi. Il s'ouvrit de son projet à l'évêque de Beauvais, lui représenta qu'Honfroi était trop lache pour conserver et défendre le royaume, et qu'il était urgent de donner un autre époux à la reine Isabelle. L'évêque entra dans les vues du marquis; il parla aux seigneurs et aux prélats de l'armée, et s'efforça de leur démontrer combien Honfroi était audessous de la dignité royale. Les avis furent partagés : les uns demandaient la séparation d'Honfroi et d'Isabelle, les autres regardaient cette mesure comme un acte illicite. Pour en finir, l'évêque de Beauvais s'adressa à Honfroi lui-même, et fit si bien qu'il finit par le décider à se séparer de sa femme, et à l'abandonner au marquis de Montferrat moyennant une somme d'argent (1). Conrad épousa donc la reine Isabelle et l'emmena dans sa ville de Tyr. Si l'ambition fut le mobile de cette intrigue, ce n'est pas au moins dans la conduite du prélat qu'il faut la chercher. Philippe, en favorisant les projets du marquis, n'eut évidemment en vue que l'avantage du royaume de Jérusalem; et il n'est pas raisonnable de croire qu'il eût tramé une trahison contre ce royaume, au moment même où il lui donnait pour chef et pour protecteur un des plus redoutables guerriers de l'armée croisée.

Le siége de Ptolémaïs, commencé en août 1189, se termina par la prise de la ville au mois de juillet 1191. Durant ces deux années, les petits seigneurs qui avaient suivi en Orient la bannière de leur suzerain eurent le temps d'épuiser peu à peu les ressources qu'ils s'étaient ménagées. Si Philippe eût acheté par une trahison les riches présents de Saladin, il aurait pu pourvoir directement aux besoins des chevaliers ses vassaux qui l'avaient accompagné en Palestine; mais il fut obligé de recourir à la caisse d'un banquier pisan nommé Galeran de Casanova. Pendant le siége d'Acre, il couvrit de sa garantie personnelle deux emprunts de cent marcs d'argent chacun (2), faits au profit des huit sei

(1) L'évesque ala a Honfroi, et fist tant vers lui qu'il clama quitte sa fame au marchis por deniers donans. Contin. fr. de Guill. de Tyr, éd. de M. Guizot, p. 172.

(2) 200 marcs vaudraient aujourd'hui en argent monnayé 11,000 fr. ; et si l'on tenait compte de la différence qui existe entre la valeur de l'argent par rapport aux denrées,

gneurs dont les noms suivent: Robert de Flavigny, Gui de Chartres, Hugue d'Aboval, Jean de Cuignières, Nicolas de Chambli, Hugue de Moissi, Pierre de Fouilleuse et Hugue de Fransures (1). Après la prise d'Acre, il ouvrit sur le même banquier pisan, à Jean de Creil, Philippe d'Aumont, Hugue de Chanteloup et Raoul de Riencourt, un second crédit de cent cinquante marcs (2). Lorsque Ptolémaïs fut enfin tombée au pouvoir des croisés, Philippe de Dreux dépouilla un instant l'attirail militaire pour reprendre son rôle d'évêque. Conjointement avec les archevêques de Tyr, de Pise, d'Auch, et les évêques de Salisbury, d'Évreux, de Bayonne, de Tripoli et de Chartres, il aida le légat à purifier les églises de la ville, que les musulmans avaient converties en mosquées, à relever les autels et à célébrer l'office divin avec pompe et magnificence (3).

Cependant, la mésintelligence qui régnait déjà depuis quelque temps entre les rois de France et d'Angleterre, sembla s'envenimer encore par suite des succès de l'armée chrétienne. Affaibli par une maladie grave, mais surtout mécontent de la hauteur avec laquelle Richard s'arrogeait à lui seul la disposition d'une conquète commune, Philippe-Auguste résolut de retourner en Europe. Le 22 juillet, le duc de Bourgogne et l'évêque de Beauvais notifièrent à Richard, roi d'Angleterre, la détermination du roi de France (4). Celui-ci laissa en Palestine dix mille hommes, dont il confia le commandement au duc de Bourgogne, donna sa part, dans la ville de Ptolémaïs, au marquis de Montferrat, lui confia la garde des prisonniers qu'il avait faits sur les Sarrasins, et fit voile pour l'Europe le 3 août 1191 (5). Le même jour, Richard, devinant les desseins de son rival, expédie en Europe quatre de ses fidèles avec une lettre de crédit sur Jacques de Jhota, banquier pisan. Ces fidèles, s'il faut juger de tous par celui d'entre eux à qui Richard semble accorder le plus de confiance, étaient tout simplement des chefs d'aventuriers. Richard demande à Jacques de Jhota cinq cents marcs d'argent au moins pour Geof

au douzième et au dix-neuvième siècle, il faudrait presque quintupler cette somme pour obtenir la valeur réelle des 200 marcs dont il est ici question.

(1) Voy., à la suite de cet article, les pièces justificatives nos I et II.

(2) Environ 8,000 fr. en valeur absolue. -Voy. pièces justificatives; no III.

(3) Bened. Petroburg., Hist. de Fr., t. XVII, p. 524.

(4) Id., ibid., p. 525, c.

(5) Id., ibid., p. 525, 526. Rog. de Hoved., ibid., p. 36..

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