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la continuation de la chronique de Gérard de Frachet, que m'a communiquée M. de Wailly; de cette continuation qui finit à l'an 1285, il existe à la Bibliothèque royale deux manuscrits dont l'un (no 5019) paraît avoir été écrit avant la fin du treizième siècle, c'est-à-dire, bien près du temps où la lettre de Thibaud de Navarre fut elle-même écrite.

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« Quam feliciter autem prædictus terminaverit rex Ludovicus, rex Navarræ domino Tusculano per litteras nunciavit. Nam in infirmitate sua laudare nomen Domini non cessans illam orationem « quandoque inferebat (1) Fac nos, quæsumus, Domine, pro"spera mundi despicere, et nulla ejus adversa formidare. Orabat « et pro populo quem secum adduxerat, dicens: Esto, Domine, " plebi tuæ sanctificator et custos, et cætera. Et cum appropin«quaret ad finem, suspexit in cœlum, dicens: Introibo in domum « tuam, adorabo ad templum sanctum tuum et confitebor nomini « tuo, Domine. Et hoc dicto, obdormivit in Domino. »

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Ce passage n'est qu'une traduction du passage correspondant de la lettre française. On lit de même dans Sozomène de Pistoie, mort en 1458, que le roi de Navarre, un des témoins de la mort de saint Louis, en donna connaissance par lettre au cardinal de Tusculum.

La lettre ayant été démonstrativement écrite par Thibaud, roi de Navarre, aussi instruit de ce qu'il raconte que pouvait l'être Geoffroy de Beaulieu, et le roi n'ayant d'ailleurs, pas plus que celui-ci, la volonté d'altérer les faits, elle constitue une autorité du mème ordre, qui mérite la même confiance. L'on ne pourrait donc maintenant la mettre de côté sans violer toutes les lois de la critique. Mais l'historien impartial se trouve alors dans une extrême perplexité entre deux affirmations également certaines; celle de Geoffroy de Beaulieu, qui dit que les chairs, le cœur et les intestins de saint Louis ont été déposés à Monréale; et celle du roi de Navarre, que les entrailles et les chairs furent envoyées à Palerme; tandis que li cœurs et li corps (à savoir les os) demourent encore dans l'ost. La solution toute simple de cette grave difficulté se trouve dans la date différente des deux récits.

Et, d'abord, celle du récit de Geoffroy de Beaulieu est facile à déterminer. Le confesseur de saint Louis, revenu en France, assista aux cérémonies célébrées à Notre-Dame pour la réception des ossements du roi ; il les suivit à Saint-Denis, fut témoin des

(1) Cod. 5005 c, inserebat.

funérailles, pria sur la tombe qui les renfermait, et se retira dans son couvent, où il ne finit ses jours qu'en 1274 (1). C'est là qu'il reçut une lettre du pape Grégoire X, datée du 4 mars 1272, dans laquelle le pontife lui disait que voulant préparer les éléments de la béatification du roi Louis, il le priait d'écrire la vie de ce prince dans tous ses détails, sans rien ajouter à la vérité, et de lui transmettre le plus tôt possible cet écrit. Devotionem tuam rogamus, et hortamur attente, per apostolica scripta tibi mandantes, quatenus satisfaciens devota sollicitudine votis nostris, prædictum vivendi modum in omnibus, et observantiis suis, nil ultra quam fuerit, addito, sed veritatis puræ servata substantia, seriatim nobis, et secreto sub tuo sigillo, quamcitius poteris, per certum nuntium, scribere non postponas (2).

La vie de saint Louis, que nous avons maintenant, fut écrite à cette occasion, et à cette époque de la vie de Geoffroy, puisqu'elle contient le récit non-seulement de la sépulture du roi à Saint-Denis, mais celui des miracles qui s'opérèrent sur son tombeau Sepultis igitur ossibus sacrosanctis divina non defuere magnalia (3). Or, c'est à cette époque, où tout était fini, qu'il écrivait que les chairs, le cœur et les intestins avaient été déposés à Monréale (tamen carnes corporis ejus excoctas, et ab ossibus separatas, nec non cor et intestina ipsius, petiit et impetravit devotus rex Siciliæ à nepote suo rege Philippo. Qui suscipiens sanctas reliquias, honorifice fecit eas in Siciliam deportari, et prope Palermum in nobili quadam et cathedrali abbatia præcipit recondi, cum valde solemni atque devota processione totius cleri ac populi terræ illius). D'après ce témoignage si explicite, il est clair que le cœur de saint Louis était déposé à Monréale quand Geoffroy écrivit cette narration, et que, s'il a jamais été rapporté en France, ce ne peut être qu'après la mort de l'historien, ou tout au moins après la rédaction de la vie de saint Louis; et c'est, en effet, à ce résultat que s'est arrêté en définitive celui de nos confrères qui a pris part, avec moi, à cette intéressante discussion.

Or, c'est ici que se présente le témoignage opposé du roi de Navarre. Mais la contradiction s'explique par la différence des dates.

(1) G. de Bl., p. 24, 8.

(2) Bullar. ordin. prædicat., t. 1, p. 503.

(3) Page 25. B.

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Dans Martène et dans le ms. de Sainte-Geneviève, la lettre n'est pas datée, et l'on a vu que M. le duc de Serradifalco avait trouvé là un motif de doute; mais, dans le ms. de Saint-Germain-des-Prés, la lettre se termine par cette date précise : « Ce fu donné en l'ost près de Tunes, le mercredy devant la SaintMichiel » ; ce qui répond au 24 septembre. Il y avait donc tout juste un mois que saint Louis était mort quand Thibaut écrivait cette lettre; et, comme l'armée mit à la voile le 20 novembre, il s'écoula deux mois moins quatre jours entre la date de la lettre et le départ de l'armée. Or, ce double intervalle rend très-bien compte de toutes les circonstances.

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Thibaud de Navarre dit expressément : « Les entrailles de notre seigneur le roy, qui mort est, furent portées à Montréal, près de Palerme, là où nostre sire a ja commencié à faire moult « de miracles par li que li archidiakenes de Palerme a envoié au «< roi de Sicilie. » L'espace d'un mois, depuis la mort de saint Louis, est très-suffisant pour expliquer comment ses restes, envoyés sans délai à Monréale, avaient pu être exposés à la vue des fidèles, et comment la nouvelle des miracles opérés par ces reliques avait pu être transmise par l'archidiacre de Palerme au roi Charles d'Anjou.

Quant à ce qu'ajoute le roi de Navarre: Li cors de li sires et li cuers demurent encore en l'ost; car li pueples ne volsit en nulle manière qu'il en fust portés, cela prouve seulement que le 24 septembre, le cœur restait encore au camp; mais rien ne dit qu'il ne fut pas envoyé un peu plus tard à Monréale, lorsque l'irritation des troupes fut un peu calmée, dans l'intervalle de deux mois moins quatre jours qui s'est écoulé entre la rédaction de la lettre et le départ de l'armée. C'est là, en effet, ce qu'atteste Geoffroy de Beaulieu, par son récit rédigé en 1273. On ne peut douter, d'après son témoignage, que le cœur ne fût compris parmi les saintes reliques dont il parle quelques lignes plus loin, lorsqu'après avoir dit que les chairs, le cœur et les intestins furent portés à Monréale, et déposés dans l'église, il ajoute qu'en revenant de Tunis et passant à Palerme, il rendit visite à la célèbre abbaye, et que là il apprit de personnes dignes de foi (audivimus a pluribus fide dignis) qu'après que les saintes reliques y eurent été déposées (postquam sacræ reliquiæ ibi fuere recondita), il arriva beaucoup de miracles avec l'aide du Seigneur (multa miracula ibidem, cooperante Domino, acciderunt).

Ainsi la divergence des deux témoignages tient seulement à une différence de date; et tout ce qu'on est en droit de conclure du second témoignage, c'est que Charles d'Anjou, malgré son esprit altier et impérieux, fut obligé de transiger d'abord avec l'opinion de l'armée, et de consentir à ne faire transporter à Monréale qu'une partie des reliques qu'il tenait de la condescendance de Philippe, sauf à saisir plus tard l'occasion d'y envoyer le reste, ce qu'il fit certainement, d'après le dire de Geoffroy de Beaulieu, dont le témoignage n'est par le fait nullement en contradiction avec celui du roi de Navarre.

La discussion qui précède enlève tous les doutes qui pourraient planer sur la lettre du roi de Navarre à l'évêque Othon; ainsi je pense que les savants continuateurs de la Collection des Historiens de France n'hésiteront pas à insérer ce document précieux dans un des tomes suivants de cette belle collection.

Sous un point de vue plus élevé, la conciliation qui ressort des éléments de ce petit problème me paraît satisfaire à toutes les exigences d'une critique sévère; en même temps, elle doit rassurer ceux qui tiennent à la certitude historique, et pour qui il importe peu que la vérité soit de leur côté, pourvu qu'elle se trouve quelque part.

LETRONNE,

Membre de l'Institut.

Dans les idées de la féodalité primitive, dont l'influence se conserva longtemps en Chypre, le seigneur n'était en possession de son fief et ne devenait le chef de ses vassaux que lorsqu'il pouvait lui-même, en arrivant à l'âge de la majorité, s'engager valablement et exécuter les obligations que le contrat féodal lui imposait. Jusque-là ses vassaux n'étaient pas tenus de lui faire hommage; leur serment les eût liés et le jeune souverain eût été libre de ses engagements: les homes sereint tenus au seignor de fei, et le seignor qui sereit merme ne sereit rien tenus à eus, comme les habiles jurisconsultes des cours de Nicosie et de Saint-Jean d'Acre en font la remarque (1).

L'autorité dont l'héritier n'était pas encore investi reposait tout entière sur le régent .ou le bail, qui jouissait aussi des prérogatives et des revenus de la royauté. En France, le bail frappait même monnaie en son nom, et le roi ou le seigneur mineur n'exerçait pas ce droit. Ainsi un prince de la famille de Clermont, époux en secondes noces de la veuve de Jean de Nesle, quoiqu'il n'eût sur la seigneurie de Soissons, appartenant aux enfants de cette veuve, d'autre pouvoir que celui de bail ou mainbourg, a frappé une monnaie où on lit ces mots : + 1. DE CLAROMONTE, et au revers: + MON. SVESSIONIS, avec le monastère de Saint-Médard de Soissons; ainsi Philippe-Auguste, étant mainbourg de son fils, seigneur de diverses villes du Nord de la France, et entre autres de Saint-Omer, a frappé monnaie avec la légende : PHILIPVS REX. SEINTOMER, bien que Saint-Omer ne lui ait ja

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mais appartenu; de même lorsqu'il fut mainbourg de la fille d'Arthur de Bretagne, assassiné par le roi Jean, il frappa à Rennes, dans le système tournois, une monnaie où on lit : PHILIPVS REX, et au revers: REDONIS CIVIS., autour du châtel.

Cette fidélité aux coutumes de l'ancienne féodalité dégénérait dans ces cas en abus véritable, car elle tendait à perpétuer l'autorité directe du bail sur le fief qu'il régissait, et les Francs chypriotes surent se préserver de ce danger. On ne peut croire en effet que les principes rapportés d'Europe aient jamais eu de semblables résultats dans le royaume de Chypre, où la haute cour eut dès l'origine, et conserva jusqu'à la fin du règne des Lusignans,

(1) Assises de Jérus., t. II, p. 398.

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