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rellement que M. le cardinal ne lui donnoit pas assez de plaisir pour penser à lui en faire. Ce gentilhomme rapporta cette réponse à madame d'Aiguillon qui étoit bonne et obligeante. Elle le renvoya dire à ma mère qu'elle savoit la peine où elle étoit pour M. son père, et que cette occasion lui procureroit infailliblement son retour, qu'elle s'y employeroit très-fortement, et en parleroit aussi à M. le chancelier. Ma mère alors s'adoucit et la pria de lui permettre d'en parler aux amis de son père, et lui donna jour pour revenir. Les amis de mon grand-père conseillèrent à ma mère d'agréer cela et qu'elle le fit; alors elle pria un comédien célèbre de ce temps, le nommé Mondory qui étoit de Clermont, et qui avoit pris le nom de Mondory parce que son parrain, qui étoit un homme de condition de cette ville, s'appeloit M. de Mondory, de l'instruire pour faire son personnage: il l'instruisit parfaitement. Lors donc que la comédie fut représentée, madame d'Aiguillon promit à ma mère qu'elle présenteroit cette enfant à M. le cardinal et à M. le chancelier qui avoit promis de s'y trouver. Ma tante avoit fait des vers pour demander le retour de son père. Dès que la comédie fut jouée, où elle avoit fait des merveilles, elle fut présentée à M. le cardinal qui la prit et la mit sur ses genoux (quoiqu'elle eût alors 9 ans, ou 13, selon le Mémoire de madame Périer, elle ne paroissoit pas en avoir sept), et la caressa lui disant lui-même qu'elle lui avoit fait un plaisir infini; alors cette enfant commença à pleurer et à lui dire les vers qu'elle avoit faits: il demanda ce que c'étoit. M. le chancelier lui dit de quoi il s'agissoit. M. le cardinal dit d'abord à l'enfant qu'il en parleroit au roy; mais M. le chancelier l'ayant assuré qu'il pouvoit accorder à cette enfant ce qu'elle demandoit, et madame d'Aiguillon s'y étant jointe, il lui dit ces propres paroles : «Eh bien, mon enfant, mandez à M. votre père << qu'il peut revenir en toute assurance, et que je suis bien aise de le « rendre à une si aimable famille. » Car il les voyoit tous, ma mèrequi avoit alors 15 ans, mon oncle qui étoit aussi fort jeune, tous trois parfaitement beaux. Alors ma tante d'elle-même, sans qu'on eût pensé à le lui dire, dit à M. le cardinal : « J'ai encore une grâce à demander à Votre Eminence. » M. le cardinal dit : « Demandez tout ce que vous voudrez; tu es trop aimable, on ne peut te rien refuser. » Alors elle lui dit : « Je supplie Votre Éminence de permettre à mon père d'avoir « l'honneur de la remercier de sa bonté. » Le cardinal lui répondit : « Non-seulement je le lui permets, mais je veux qu'il y vienne et << m'amène toute sa famille. » Ensuite il la rendit à madame d'Aiguillon et lui recommanda de faire bien régaler toutes les actrices de la comédie ce qu'elle fit faire magnifiquement. On manda tout cela à mon V.

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Le Moniteur du 5 janvier dernier contient le rapport de M. Mynoïde Minas sur la mission que lui avait confiée M. le ministre de l'instruction publique, et dont l'objet était 1° de rechercher en Orient les manuscrits grecs inédits qui paraîtraient offrir de l'intérêt; 2° de cataloguer soigneusement et en détail les dépôts de manuscrits, principalement ceux des couvents du mont Athos. La Bibliothèque royale possède déjà onze manuscrits, la plupart du treizième et du quatorzième siècle, que M. Mynoïde Minas avait fait parvenir en France pendant le cours de son exploration. Le nombre de ceux qu'il a rapportés avec lui s'élève à quarante et un. C'est à la description de ces derniers qu'est consacré en grande partie le rapport en question. Nous ne saurions manquer d'en signaler les articles les plus importants.

En fait d'ouvrages de littérature, M. Mynoïde Minas a acquis 1o un manuscrit des fables d'Ésope, versifiées par Babryas (Balebrias, d'après le nouveau manuscrit ), qui ajoute plusieurs milliers de vers au texte répandu de cet auteur; 2o un recueil de 233 fables d'Ésope, en prose, dont la rédaction est plus ancienne et d'un meilleur grec que celle qui nous a été transmise par Planude; 3o un recueil de facéties tirées des ouvrages d'Hiéroclès et de Philagrius, contenant 252 morceaux, dont 29 seulement étaient connus; 4° divers traités de grammaire et de lexicographie, par des érudits du onzième et du douzième siècle; 5° un manuscrit de l'Iliade, du treizième siècle, avec des gloses inédites; 6° un manuscrit du quatorzième siècle, renfermant l'Ajax de Sophocle, les Halieutiques d'Oppien, les Travaux et les jours d'Hésiode; les Maximes de Caton, traduction de Planude; la Consolation de Boèce, par le même auteur: tous ces ouvrages accompagnés de scolies inédites.

Parmi les ouvrages historiques, nous signalerons : 1o une relation de la prise de Salonique par les Sarrasins, sous le règne de Léon le Macédonien; 2o un manuscrit du douzième siècle, intitulé : Siéges de différentes villes, et qui renferme des morceaux inédits de Denys d'Halicarnasse, de Dexippus, de Priscus, de Polybe, et de l'historien Eusèbe dont on ne possédait rien jusqu'ici.

L'article des manuscrits relatifs aux sciences n'est pas moins riche en acquisitions précieuses. Nous y avons remarqué : 1° un exemplaire du Manuel du droit romain (Enchiridion des empereurs Basile, Constantin et Léon), écrit en 1115; 2° un manuscrit du Traité de Galien sur les médicaments faciles à se procurer, ouvrage qu'on regardait comme perdu; 3o une Histoire des animaux, par l'empereur Constantin Porphyrogénète, compilation où se trouvent des passages de naturalistes inconnus, tels que Timothée et Aristophane.

Les recherches de M. Mynoïde Minas ne se sont pas portées uniquement sur les manuscrits, il a recueilli dans son voyage tous les objets d'antiquité qu'il a pu se procurer. Un beau sarcophage envoyé par lui de Salonique figure actuellement dans le Musée royal.

JACQUELINE PASCAL.

J'ai donné ailleurs (1) une ébauche d'une galerie des femmes illustres du dix-septième siècle, sur le modèle du recueil de Perrault. Je n'accomplirai jamais ce dessein ou plutôt ce rêve il sert de délassement à mes travaux, de charme à ma solitude. Je me borne à rassembler sur les rayons de ma bibliothèque ce qui nous reste de ces femmes illustres, et à recueillir des lambeaux de leurs correspondances inédites ou de mémoires manuscrits, qui éclairent à mes yeux et marquent plus distinctement les traits de telle figure qui m'est chère. J'ai publié des lettres nouvelles de madame de Longueville, cette créature ravissante, pleine à la fois de hauteur et de langueur, aux yeux bleus, aux blonds cheveux, avec le front du grand Condé, si remuante dans le monde, si dévouée en amour, sans aucun entraînement des sens, et par le seul mouvement de l'àme; puis tout à coup si repentante, si humble et si tremblante à Port-Royal et aux Carmélites (2). Aujourd'hui, j'ai quelque envie de présenter au lecteur, mais sans parure aucune, et telle que je la trouve au milieu de mes manuscrits, une figure toute différente, celle d'une enfant pleine de génie, qui, avec un peu plus de culture, eût pu devenir une personne incomparable, naturellement belle et enjouée, d'un esprit sévère et gracieux tout ensemble, d'une merveilleuse aptitude à la poésie, née pour faire les délices de la famille et le charme d'une société d'élite, mais

(1) Revue des Deux-Mondes, no de janvier 1844.

(2) Fragments littéraires, Paris, 1843.

V.

qui, tout à coup saisie d'un accès de dévotion outrée, renonça au monde, s'appliqua à étouffer tous les dons qu'elle avait reçus, entra en religion à vingt-six ans, et mourut à trente-six dans les angoisses d'une conscience troublée : je veux parler de Jacqueline Pascal.

Quelle famille que celle des Pascal! Elle n'est pas, elle ne peut pas être supérieure à celle des Arnauld, mais elle lui est égale par la qualité, sinon par le nombre. Dès que Richelieu, de son regard d'aigle, aperçut Étienne Pascal accompagné de son fils Blaise, qui avait alors une quinzaine d'années, et de ses deux filles Gilberte et Jacqueline, il demeura frappé de la beauté de ces enfants, et au lieu de laisser le père les lui recommander, c'est lui qui les recommanda à ses soins, en lui disant : J'en veux faire quelque chose de grand! Etienne Pascal était un homme de beaucoup de mérite. Outre sa capacité comme intendant de province, il était très-instruit, et même savant. Il recevait chez lui des mathématiciens et des physiciens; il participait à leurs travaux, et on a de lui une lettre au jésuite Noël, où il l'engage, d'un ton moitié sérieux, moitié plaisant, à ne pas trop se commettre avec son fils Blaise Pascal à l'endroit de la pesanteur de l'air, l'avertissant qu'il aurait affaire à un rude adversaire (1). Il avait donné à cet enfant une éducation un peu systématique, qui ne fut pas sans influence sur la tournure de son esprit. Ses deux filles avaient aussi reçu une instruction trèsforte. L'aînée s'appelait Gilberte; Marguerite Périer, sa fille, dans ses Mémoires inédits sur sa famille (2), nous parle ainsi de sa mère : « Elle était née le 7 janvier 1620, à Clermont. Mon grandpère s'étant retiré à Paris en 1630 pour y élever ses enfants, « ma mère, qui était l'aînée, avait dix ans ; elle se maria à vingt « et un ans (quand M. Pascal le père était intendant en Normandie), et elle resta à Rouen. Quand elle fut ici (à Clermont), elle se mit dans le grand monde comme toutes les de personnes

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« son âge et de sa condition. Elle avait tout ce qu'il fallait pour

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y être agréablement, étant belle et bien faite. Elle avait beau

« coup d'esprit. Elle avait été élevée par mon grand-père, qui dès sa plus tendre jeunesse avait pris plaisir à lui apprendre

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« les mathématiques, la philosophie et l'histoire. En 1646, ma mère étant allée à Rouen chez mon grand-père, trouva toute sa

(1) Édition de Pascal, de Bossut, t. IV, p. 177.

(2) Bibliothèque royale, supplément français, no 1487.

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famille à Dieu, qui lui fit la grâce et à mon père d'entrer dans « les mêmes sentiments. Elle quitta donc le monde et tous les << agréments qu'elle y pouvait avoir, à l'âge de vingt-six ans, et elle a toujours vécu dans cette séparation jusqu'à sa mort. »

Ne croyez pas que ce portrait soit embelli; l'austère Marguerite ne flatte personne, et si une janséniste comme elle remarque que sa mère était belle, il faut que celle-ci l'ait été beaucoup.

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Nous savons de divers endroits que c'est Gilberte qui, pendant la fuite de son père accusé d'avoir pris part à une sédition, placée toute jeune à la tête de la maison et de la famille, ayant reçu l'invitation de laisser jouer la comédie à sa petite sœur Jacqueline sur le théâtre de M. le cardinal, fit cette réponse à la Corneille « M. le cardinal ne nous fait pas assez de plaisir pour que nous prenions soin de lui en faire. » Les écrits et surtout les manuscrits jansénistes sont pleins de lettres de Gilberte devenue madame Périer; mais ce qui la recommande à la postérité est la vie si connue de son frère Pascal. Cette vie est admirable; elle fait aimer Pascal, et c'est sa sœur qui lui a rendu ce pieux office. Elle s'efface le plus qu'elle peut, et ne laisse paraître que son frère. Elle l'aimait tendrement et s'affligeait, sans oser le lui dire, de ses froideurs apparentes. Malheureusement je soupçonne cette biographie d'avoir été revue par Messieurs de Port-Royal, et il y a une lacune assez étendue.

Jacqueline est une personne plus étonnante encore que Gilberte. Elle avait dû recevoir du ciel quelque chose d'extraornaire, car elle était l'idole d'une famille où l'on se connaissait et où l'on était très-difficile en fait d'esprit. Jusqu'ici on ne sait guère d'elle que ce qui s'en trouve incidemment dans la vie de Pascal par madame Périer, et dans la notice qui lui est consacrée au nécrologe de Port-Royal. Bossut (1) cite les vers qu'enfant elle récita à Richelieu pour lui demander la grâce de son père. Elle remporta toute jeune à Rouen le prix de poésie; et plus tard, retirée du monde à Port-Royal, elle faisait encore des vers dans les grandes circonstances, par exemple, pour célébrer le miracle opéré par la sainte Épine sur les yeux malades de sa nièce, Marguerite Périer. Le Recueil de plusieurs pièces pour servir à l'histoire de Port-Royal en a conservé quelques fragments poétiques et quelques lettres. D'autres morceaux en prose sont

(1) Discours sur la vie et les écrits de Pascal.

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