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Déjà, comme on a pu le remarquer, les nouveaux jurés avaient fait insérer dans la déclaration de 1692, à la suite de leur titre de jurés de la communauté des maîtres à danser et joueurs d'instrumens, les mots et des haultbois. Ce qui avait amené la mention spéciale de ces instrumentistes était une sentence rendue le 29 avril 1689 par le prévôt de Paris, qui, sur l'intervention des hautbois de la musique du roi, avait défendu à la communauté de troubler un nommé Pierre Ribeauville et autres hautboïstes dans le jeu de leurs instruments, avait donné mainlevée d'une saisie pratiquée sur eux, et leur avait permis de jouer comme bon leur sembleroit, sans être tenus de se faire recevoir maitres (2). La déclaration de 1692 ayant, comme de raison, soumis ces instrumentistes aux conditions de la maîtrise, les jurés, encouragés par cette victoire, et intéressés d'ailleurs à multiplier le nombre de leurs tributaires, voulurent en exciper contre les instruments de toute espèce.

Parmi ceux que le goût de la musique avait mis à la mode depuis la fin du seizième siècle, était le clavecin, né, comme on le sait, de l'épinette dont il est le développement, et qui avait été en usage dès le commencement de ce siècle, ainsi qu'on le voit

(1) Voy. la livraison précédente.

(2) Voy. la mention de cette sentence, Requête des organistes au parlement, itée plus loin.

dans Rabelais (1). Insensiblement, l'étude de cet instrument était entrée dans l'éducation des gens du monde, et la noblesse, qui laissait le violon et les autres instruments aux musiciens de profession, l'avait adopté. Les ressources qu'il présente pour la composition en avaient fait aussi l'instrument des compositeurs. Il était égale. ment devenu celui des maîtres de chant, comme le meilleur guide de la voix. L'esprit qui avait présidé à la formation de la communauté était bien certainement de soumettre à sa juridiction tous les instruments, et rien ne pouvait justifier un privilége en faveur du clavecin. S'appuyant sur l'article 8 des statuts de 1658, qui défendait le jeu de toute espèce d'instrument sans lettres de maitrise, les jurés engagèrent un procès au Châtelet avec plusieurs professeurs de clavecin et avec les organistes de la chapelle du roi, qui refusaient de se soumettre à la maîtrise. Le 16 juin 1693, ils obtinrent une sentence favorable, par laquelle il fut fait défense à tout particulier d'enseigner à jouer du clavecin, sans avoir au préalable pris des lettres de maîtrise dans la communauté (2). Mais les professeurs de clavecin ayant porté la question devant le Parlement, elle y reçut une solution bien différente.

Il n'est point sans intérêt pour l'histoire de la musique de connaître les divers arguments présentés par les deux parties, soit pour, soit contre la liberté de l'art. Voici le résumé des moyens que présentèrent en faveur de leur franchise les professeurs de clavecin (3):

« Et d'abord, disaient-ils, s'ils avaient été condamnés au Chà◄ telet, c'était faute d'avoir été entendus, leur avocat n'ayant pu « fournir aucun fait, aucune preuve à l'appui de leur droit, le << lieutenant de police n'ayant voulu rien entendre, ni admettre

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«< aucune distinction entre les parties plaidantes, disant que puisqu'il s'agissait d'instruments de musique, ils ne devaient for« mer tous qu'un seul corps. ·

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(1) Au reguard des instrumens de musicque il apprint jouer du luc, de l'espinette, de la harpe, de la flutte d'alemant et à neuf trouz, de la viole et de la sacqueboutte. Gargantua, l. 1, ch. 23. Comment Gargantua feut institué par Ponocrates en telle discipline qu'il ne perdoit heure du jour.

(2) Voy. l'arrêt de 1695 cité plus loin.

(3) Requête des organistes au parlement, et Factum en faveur des organistes. Ces documents imprimés sont conservés en l'étude de Me Dessaignes, notaire à Paris, carton Dépôt des organistes, première liasse, pièces 6 et S.

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Dans la déclaration de 1692, ajoutaient-ils, le roi qualifie la profession des ménétriers d'art et métier. Or, les compositeurs de musique ne sont point gens de métier; leur profession constitue une science. Si jouer du clavecin est un art, c'est un art libéral.

« Les termes d'instrumens tant hauts que bas dont se sert la déclaration de 1692 ne peuvent s'appliquer qu'aux violes et violons. Il y a en effet des dessus et des basses de violes. Quoique les clavecins renferment en eux toutes les parties de la musique, ces termes ne peuvent leur être appliqués. En effet, on ne lit pas dans la déclaration : instrumens hauts et bas, mais instrumens tant hauts que bas, dénominations qui s'excluent, et qui, par conséquent, ne peuvent concerner les clavecins, qui renferment toutes les parties de l'harmonie.

« Si le roi avait voulu comprendre les clavecins dans la communauté des ménétriers, ils eussent été mentionnés nommément comme les hautbois, dans la déclaration. Celle-ci ne parle que de maîtres à danser, joueurs d'instrumens, termes qui sont unis et expriment une seule et même personne et une seule et même profession.

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Depuis plusieurs siècles que la communauté existe, jamais ou n'y a compris les clavecins ; l'on ne trouve aucune mention de ces instruments dans les statuts de 1658.

«L'article 3 de ces statuts défend aux maîtres de la communauté d'enseigner le jeu des instruments à d'autres qu'à des apprentis demeurant chez eux en cette qualité ; ce qui exclut le droit d'enseigner en ville. Une pareille défense ne peut concerner les professeurs de clavecin, dont précisément l'occupation est d'enseigner en ville. »

A ces arguments, les jurés de la communauté répondaient (1): « que dans les anciennes lettres patentes, la profession de ménétrier est désignée par les mots : art et science. Pour se maintenir dans les avantages d'une profession libérale, il faudrait que les compositeurs de musique n'allassent pas servilement donner des leçons en ville comme ils le font, ni exercer leur art moyennant un modeste salaire.

(1) Réponse à la requête des organistes, et factum pour les jurés de la communauté, etc. Ces documents sont conservés dans l'étude de Me Dessaignes, carton Depôt des organistes, première liasse, pièces 7 et 12.

Il doit être tenu un catalogue par noms, surnoms, demeure et date d'admission à la maîtrise, de tous les membres de la communauté, tant dans la capitale que dans les provinces. Ce catalogue est vérifié chaque année pour les maîtres de Paris, à l'aide du brevet de maîtrise que chaque maitre est tenu de représenter au roi des violons, et pour les provinces, à l'aide des états des maîtres exerçant que doivent envoyer tous les ans les lieutenants du roi des violons. Il doit aussi être tenu trois listes particulières des vingt-quatre violons de la chambre, des membres des académies de danse et de musique, et des musiciens privilégiés de la cour (1).

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Dans ses projets de restauration, Guignon n'avait point oublié les pieuses intentions des fondateurs de la communauté et de son hospice. Depuis longtemps ces intentions avaient été négligées; l'ancien hospice n'était plus qu'une maison particulière à l'usage du corps. Aussi le règlement de 1658 ne parle-t-il plus de la collecte de l'Aumosne de Saint-Julien prescrite par l'article 2 des statuts de 1407. Guignon veille avec un soin particulier à l'entretien des ménétriers pauvres et infirmes. « Afin, dit-il, d'attirer • la bénédiction du ciel sur la communauté et remplir les pieuses intentions des anciens ménestriers fondateurs de la chapelle et - hôpital Saint-Julien, il sera préalablement réservé sur le prix de chaque réception à la maîtrise une somme qui sera distribuée « aux maîtres pauvres hors d'état d'exercer, soit par vieillesse, « soit par infirmité, ainsi qu'aux pauvres veuves de maîtres...... Et supposant que les besoins actuels des pauvres maîtres et ⚫ veuves de maître n'absorbassent pas la masse desdites sommes ré« servées pour leur soulagement, le reste sera employé à rétablir l'an« cien hôpital de Saint-Julien des ménestriers, et à le garnir de lits et « ustensiles nécessaires aux malades et infirmes qui y seront reçus, « et toujours au choix et par délibération de la communauté (2). »

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Tel fut le règlement que Guignon promulgua en 1747. Comme on le voit, il projetait de réorganiser la corporation sur une échelle grandiose et d'une manière complète. Il rétablissait sa suprématie universelle, rendait tributaires de ses lois les instrumentistes de toute espèce, relevait l'honneur de la maîtrise musicale, réorganisait l'administration, et surtout créait des ressources nouvelles pour faire face aux nombreuses dettes de la

(1) Art. 5, 7, 14 à 20 et art. 23, ch. 2, § 1, 4 et 5. (2) Art. 26.

communauté. Sans aucun doute, si les circonstances eussent permis l'exécution pleine et entière de ces statuts, ils eussent ouvert à la corporation un avenir nouveau; mais cette exécution était une chose que le temps et les idées nouvelles ne permettaient plus. Toutefois, au mois de juillet 1747, Guignon, par son crédit à la cour, obtint de Louis XV des lettres patentes portant confirmation des nouveaux statuts. Dans ces lettres, le roi, rappelant les lettres de provision accordées à diverses dates de l'office de roi des violons, et voulant, dit-il, a donner en parti«< culier au sieur Guignon de nouvelles marques de la satisfaction qu'il ressent de ses services, approuve, confirme et autorise le règlement, pour être gardé, observé et exécuté tant dans la ville de Paris que dans les autres villes du royaume, et en même «tems maintient la communauté dans ses anciens droits de fondatrice, patronne et administratrice de la chapelle et de l'hospice « de Saint-Julien (1). »

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Mais ces lettres patentes furent loin d'obtenir force de loi. En inscrivant derechef sur ses rôles les organistes et professeurs de clavecin, si rebelles à la domination des ménétriers, Guignon n'avait point prévu la résistance que lui opposeraient tous les artistes sans distinction, et notamment les compositeurs et professeurs d'instruments d'harmonie, parmi lesquels il y avait des hommes tels que Landrin, Calvières et Daquin, tenant, alors, le sceptre de l'orgue. Aussi, à la première nouvelle du nouveau règlement, le 14 août 1747, les organistes de la chapelle du roi et des diverses églises de Paris, faisant profession d'enseigner le clavecin, au nombre de vingt et un, et à la tète desquels étaient les artistes que nous venons de nommer, firent opposition au greffe à l'enregistrement, soit des statuts, soit des lettres patentes.

Les choses en restèrent là jusqu'au 22 octobre 1749, que Guignon fit assigner les opposants au parlement. Dans une requête datée du 22 janvier 1750, ceux-ci proposèrent leurs moyens de défense. A cette même date, et dans le courant des mois de février, mars, avril et mai, trente-trois organistes et professeurs de clavecin de Paris et des provinces se joignirent comme auxiliaires aux premiers opposants, et l'affaire fut engagée.

Ce procès, qui renouvelait, pour la troisième fois, le débat du clavecin et du violon, eut pour la corporation le résultat le plus

(1) Voy. ces lettres Archives du royaume, sect administ., vol. secrétariat, E. 3433. f. 323.

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