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Cornaro ; de cette princesse qui réunissait en elle l'éloquence et la pénétration des Grecs, héritage de sa mère, Hélène Paléologue, aux mâles qualités des peuples d'Occident; de cette femme faible et délicate en apparence, mais douée des sentiments les plus énergiques et les plus nobles; qui, seule, sans trésor, n'ayant plus qu'une forteresse et de rares partisans en Chypre, vient en Italie, rassemble quelques secours d'hommes et de vivres, débarque hardiment à Paphos, dont elle se rend maîtresse, traverse le pays couvert de bandes de Mameloucs et de Catalans, ravitaille le prince Louis dans Cérines, ouvre des négociations avec les Hospitaliers de Rhodes, avec les Génois, avec le sultan de Constantinople, tente de mettre dans son parti l'amiral et la flotte de Venise, envoyés pour soutenir son adversaire, et qui, se voyant trahie, délaissée, appauvrie, quand ses partisans sont battus et dispersés, la Savoie fatiguée de fournir aux dépenses de la guerre, les princes d'Europe sourds à ses prières, elle-même souffrante, sans ressources, privée de l'unique enfant à qui elle pût laisser la couronne, trouve une nouvelle énergie dans son infortune, adopte un fils du roi de Naples, se rend au Caire avec lui, comptant sur son ascendant pour changer la politique du sultan, et quand le destin fait échouer toutes ses généreuses tentatives, accablée de langueur et de soucis, vient mourir à Rome à l'âge de 49 ans, auprès du Vatican, où avaient toujours été ses plus fidèles amis, et de la basilique de Saint-Pierre, où elle repose aujourd'hui. Le portrait représente une princesse portant la couronne royale, dont le diadème retient un long voile retombant sur les épaules; son front est élevé, ses yeux noirs et brillants; sa bouche un peu serrée, son teint pâle et fatigué, offrent les caractères frappants de la dignité et de la souffrance; son port, modeste et noble à la fois, justifie bien ce que disait d'elle en 1460 le pape Pie II : Mulier quatuor et viginti annos nata videbatur, statura mediocri, lætis oculis, facie inter fuscam et pallidam, sermone blando et Græcorum more torrenti simili, vestitu Gallico, moribus qui regio sanguini convenirent (1).

Quelque temps avant sa mort, Charlotte avait donné au pape Innocent VIII un riche manuscrit, renfermant le texte grec des actes des apôtres, écrit en lettres d'or, qui est conservé à la Bibliothèque du Vatican, sous le no 1208. Il offre les armes du pon

(1) Commentarii Pii II papæ, lib. VII, p. 328, in-4°. Romæ, 1584.

tife et de la reine. Ces dernières sont écartelées de Jérusalem, de Lusignan, d'Arménie et de Chypre, et au centre, sur le tout, l'écu de Savoie de gueules à la croix d'argent.

§ XVII. JACQUES II. Septembre 1460-6 juin 1473.

Jacques le Bâtard, débarqué en Chypre au mois de septembre 1460, était maître de tout le pays, à l'exception de la forteresse de Cérines, avant la fin de l'année. Ayant besoin de se créer un trésor, pour payer les auxiliaires qu'il avait amenés d'Égypte, il leva de fortes impositions sur les partisans de sa sœur Charlotte, ou confisqua leurs propriétés. Il enleva aussi les chaudières des bains publics, établissements qui appartenaient peutêtre au domaine de la couronne (1), et fit frapper monnaie avec le métal: Depuis, le roi Jacques, dit le P. Lusignan, se trouvant en grande nécessité d'argent, print tous les chauderons d'airain qui estoient aux baings publics, et fit battre d'iceux plusieurs sortes de monnoye (2).

Les deux pièces au nom de Jacques publiées par M. Münter, et attribuées par ce savant au prince, deuxième du nom, sans doute à cause du type, dont nous ne pouvons juger, sont peutêtre de cette fabrication. Elles représentent :

N° 1.+IAC (OBVS) SEI... X. Jacobus Dei gratia rex, avec le lion, comme sur les monnaies de Jacques Ier et de Jean II. R. (IER....); la croix potencée de Jérusalem.

N° 2. IACO (BVS) EI G.... REX; dans le champ, le lion des Lusignans.

*. (+....CIP..... ERMENE); Jerusalem, Cipri et Ermenie; la croix de Jérusalem.

« J'ai prouvé, dit l'auteur des Recherches (3), que Münter se trompe, et que cette monnaie est de Pierre. » Ceci renvoie à la page 406 de la Notice sur les Lusignans de Chypre, où M. Buchon cite un passage de M. Münter, relatif à une monnaie au nom de Pierre (4), sur laquelle le numismatiste danois proposait de lire HERM OU ARM OU ERM, lettres initiales du nom d'Arménie ;

(1) Il est parlé quelquefois dans les historiens de l'île de Chypre de bains appartenant aux rois. Voy. Phil. de Navarre, Assises de Jérusalem, t. 1, p. 546.

(2) Et. Lusignan, Histoire de Cypre, fo 171.

(3) Page 413.

(4) C'est la monnaie dont nous parlons plus haut, règne de Pierre Ier,

n° 4.

lettres qu'on ne peut lire ainsi, et qui font certainement partie de la légende du revers, par la grâce de Dieu, ainsi que l'a prouvé incontestablement M. Buchon. Mais il ne s'agit au fond de cette discussion, à part l'incident relatif à la lecture de la légende du revers, que de savoir auquel des deux Pierre cette monnaie appartient, soit à Pierre II, comme il serait très-possible, soit à Pierre Ier, comme le pense M. Buchon. Les légendes du droit portent lisiblement le nom de PIERRE; il n'est nullement question des rois Jacques, et les deux monnaies que nous venons de décrire plus haut, d'après M. Münter, portant les lettres IAC. et IACO, l'un des deux princes du nom de Jacques s'y trouve suffisamment désigné pour qu'on n'ait pas à s'occuper de les attribuer aux Pierre.

Quelques lettres grecques employées dans les légendes des monnaies du roi Jacques le Bâtard, attestent l'influence, chaque jour plus sensible, que les habitudes et la langue des Grecs prenaient sur la société latine de l'île de Chypre, depuis le règne de Jean II et la domination d'Hélène Paléologue sa femme. Les Grecs, contrairement aux usages et aux lois établis en Chypre à la suite de la conquète franque, avaient été admis dans les rangs de la noblesse; ils avaient été appelés aux hautes dignités de la cour et du gouvernement, et leur race, se renouvelant sans cesse avec les mêmes idées, les mêmes mœurs, le même langage, dans les populations des campagnes de l'île, tendait partout à supplanter la bourgeoisie et même la noblesse latine que n'entretenaient plus depuis longtemps les émigrations d'Europe, et dont l'esprit s'altérait chaque jour davantage. Déjà beaucoup de familles, françaises d'origine, avaient abandonné l'usage de la langue de leurs pères, et avaient adopté l'idiome grec, dans lequel est écrit la chronique la plus importante du règne de Jacques II.

S XVIII. JACQUES III et CATHERINE CORNARO. 1473-1489.

Les Aragonais, les Napolitains et les anciens partisans chypriotes de Jacques le Bâtard firent frapper monnaie en Chypre, lors de leur soulèvement contre les Vénitiens, peu après la naissance de Jacques III: Et quoniam in erario nichil pecuniarum erat, dit Coriolan Cepio, qui naviguait alors avec la flotte de Mocenigo dans les mers d'Orient, tyranni multa vasa regis argentea conflant, satellitibus suis stipendium daturi, nummum

percutiunt (1). Il est à regretter que l'historien dalmate ne dise pas sous quel nom le parti napolitain émit ces monnaies. Ce fut peut-être sous celui de Jacques le Bâtard, qu'il avait soutenu, ou de don Alonzo d'Aragon, fils du roi de Naples et enfant adoptif de Charlotte de Lusignan, dont il voulait faire un roi de Chypre; peut-être ne mit-il sur ses espèces que des emblèmes et des titres généraux, qu'on pût rapporter cependant au royaume revendiqué par les princes de Naples, conjecture qui nous fait attribuer à ces circonstances la fabrication de la pièce de bronze anonyme sur laquelle on lit: IERUSALEMRX (voyez ci-dessus, § xv, no 2); dans tous les cas, il est peu probable qu'il y ait inscrit le nom du fils de Catherine Cornaro, retenu lui et sa mère sous l'entière dépendance des Vénitiens (2).

Ceux-ci frappaient monnaie au nom de la reine et de son fils, dont ils convoitaient la succession. M. de Saulcy possède une pièce de bronze de ce règne éphémère où on lit: + IACOBVS ET CATA...... Dans le champ se trouve le lion à dextre, et au revers, la croix potencée de Jérusalem, cantonnée de quatre croisettes, type ordinaire des monnaies chypriotes depuis le règne de Jacques Ier.

Cette pièce est de l'année 1473 ou 1474, dates de la naissance et de la mort de Jacques III. On ne sait si les Vénitiens, délivrés du fils de Jacques II, laissèrent paraître encore le nom de sa mère sur les espèces monétaires de l'île qu'ils gouvernaient en maîtres, ou si dès lors ils commencèrent à frapper des besants chypriotes avec le lion de Saint-Marc (3). Ils l'auraient pu librement, et sans qu'on dût s'en étonner; car, dès l'année 1473, seize ans avant l'abdication de Catherine Cornaro, ils se glorifiaient de la conquête de Chypre, en inscrivant cet insultant, mais trop véridique témoignage, sur le tombeau du doge Nicolas Thronò : Quo felicissimo duce, florentissima Venetorum respublica Cyprum imperio adscivit (4).

(1) Coriolani Cepionis, de Petri Mocenici gestis, libri tres. Basileæ, 1544, in-12, p. 77.

(2) Voy. le Précis historique, ann. 1473.

(3) Voyez le double besant de 1570, publié par M. Buchon, qui était en même temps une médaille commémorative de la victoire de Lépante. Recherches, pl. VIII, no 1. (4) Marin Sanuto le jeune, Vite d' duchi di Venezia, ap. Muratori, Script. rer. italic., t. XXII, col. 1198.

L. DE MAS LATRIE.

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DE L'APPARITION

ET DE LA DISPERSION

DES BOHÉMIENS

EN EUROPE.

Le travail que je publie aujourd'hui n'est qu'un fragment d'un ouvrage que je prépare depuis plusieurs années, et dans lequel je veux étudier les Bohémiens (1) sous toutes les faces et à tous les points de vue, en accordant néanmoins une attention particulière à ceux qui ont habité et qui habitent encore la France.

D'autres ont léjà traité avant moi cette partie de mon sujet. Grellmann (2), le premier qui se soit occupé sérieusement de l'histoire des Bohémiens, est encore à présent, de tous les auteurs, celui qui parle le plus complétement de leur apparition dans les divers pays d'Europe (3). Cet historien a consulté la plupart des textes dont je me suis emparé; mais il s'est borné à y prendre des dates et parfois quelques lignes. Après avoir rassemblé ces documents, j'ai pensé qu'il y avait un parti plus important et plus intéressant à en tirer. Grellmann a simplement juxtaposé les faits épars venus à sa connaissance : j'ai rapproché ces faits et ceux que j'ai pu leur adjoindre, et j'en ai cherché le lien et la signification. Grellmann a su et dit à

(1) Roms, Cingari, Cygani, Zigeuner, Gypsies, Gitanos, Égyptiens, Sarrasins, etc. tels sont les noms les plus répandus de ces vagabonds dans les divers pays de l'Europe. Je donnerai ailleurs une liste complète de ces noms, dans laquelle j'indiquerai la raison de chacun. Quant à présent, ils ne font rien à l'affaire.

(2) Grellmann: Historischer Versuch über die Zigeuner, imprimé pour la première fois à Dessau, 1782, in-8°. Trad. sur la 2o édit. par M. J., sous le titre d'Histoire des Bohémiens, Paris, 1810, in-8°. C'est à cette traduction que se rapporteront nos renvois.

(3) Grell. 2° partie, ch. L

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