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>> rait les nommer des opéras poétiques : ils sont >> plus poétiques, en effet, que les autres com» positions de ce genre, puisque, par le seul » éclat de la poésie, ils pourraient obtenir l'effet >> que, dans les opéras simples, on n'obtient >> que par les décorations, la musique et la danse. >> Ici le poète s'abandonne aux vols les plus har>> dis de son imagination, ses représentations » touchent à peine la terre.

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>> Mais le caractère de Calderon se manifeste >> surtout lorsqu'il traite des sujets religieux; >> il ne peint l'amour qu'avec des traits vulgaiil ne lui fait parler que le langage poétique » de l'art; mais la religion est l'amour qui lui » est propre, c'est le cœur de son cœur, c'est >> seulement pour elle qu'il met en mouvement >> les touches qui pénètrent et qui ébranlent >> l'âme le plus profondément. Il semble même » n'avoir point voulu le faire dans des circon>> stances purement mondaines, sa piété le fait » pénétrer avec clarté dans les rapports les >> plus confus. Cet homme bienheureux s'était » échappé du labyrinthe et du désert du doute » dans l'asyle de la foi, d'où il contemple et il » dépeint avec une sérénité d'âme que rien ne >> peut troubler, le cours des orages du monde. » Pour lui l'existence humaine n'est plus une » énigme obscure; même ses larmes, comme » une goutte de rosée sur une fleur, à l'éclat

» du soleil, présentent l'image du ciel. Sa poésie, >> quelque sujet qu'elle traite en apparence, est >> un hymne infatigable de joie sur la magnifi>> cence de la création. Il solennise, avec un >> étonnement joyeux et toujours nouveau, les >> prodiges de la nature et de l'art humain , >> comme s'il les voyait toujours pour la pre» mière fois, dans un éclat que l'usage n'a point » terni. C'est le premier réveil d'Adam, accom-` » pagné d'une éloquence, d'une justesse d'ex>>pressions, que la connaissance des plus se>>crètes propriétés de la nature, la plus haute «< culture d'esprit, et la réflexion la plus mûre >> peuvent seules donner. Quand il réunit les » objets les plus éloignés, les plus grands et les » plus petits, les étoiles et les fleurs, le sens de >> ses métaphores est toujours le rapport des » créatures avec leur commun créateur; et cette >> ravissante harmonie, ce concert de l'univers >> est pour lui de nouveau l'image de l'amour » éternel, et qui comprend toutes choses.

>> Calderon fleurissait encore tandis que, dans >> les autres parties de l'Europe, le goût maniéré » dominait dans les arts, et la littérature incli>> nait vers cette direction prosaïque, qui est de» venue si générale dans le dix-huitième siècle. » Aussi peut-il être considéré comme placé sur >> la plus haute cîme de la poésie romantique; >> tout son éclat a été dépensé dans ses ouvrages;

» de même que, dans un feu d'artifice, on a >> coutume de réserver les couleurs les plus va» riées, les lumières les plus éclatantes, pour la » dernière explosion ».

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J'ai loyalement traduit ce morceau plein d'esprit et d'éloquence, quoiqu'il soit contraire à mon propre sentiment. Il contient ce qu'il y a de plus brillant à dire sur Calderon. J'ai voulu que le lecteur fût entraîné par un si bel éloge à étudier lui-même l'auteur qui a pu exciter un si vif enthousiasme; j'ai voulu qu'il connût le rang élevé que Calderon occupe dans la littérature. Bientôt je présenterai l'analyse de quelques-unes de ses meilleures pièces, pour que chacun puisse juger lui-même un poète auquel personne n'a le droit de refuser le nom de grand. Mais auparavant, pour faire comprendre quelle impression me fait à moi-même sa lecture, je dois rappeler ce que j'ai dit dans le dernier Chapitre, de l'asservissement de la nation au dixseptième siècle, de la corruption de la religion et du gouvernement, de la perversion du goût, de l'effet enfin qu'avait produit sur les Castillans l'ambition de Charles-Quint, et la tyrannie de Philippe II. Calderon avait vu, dans sa jeunesse, Philippe ; il avait été protégé par Philippe IV; il vécut encore seize ans sous le règne plus misérable, s'il est possible, et plus honteux, de Charles II. Il serait bien étrange, si l'influence

d'une époque si dégradante pour l'espèce humaine ne se faisait pas reconnaître dans son poète.

Calderon, en effet, quoiqu'il eût été doué par la nature d'un beau génie et de la plus brillante imagination, me paraît l'homme de son siècle, l'homme de la misérable époque de Philippe IV. Lorsqu'une nation se corrompt, lorsqu'elle perd ce qui la rendait recommandable, elle n'a plus. devant les yeux les modèles de la vraie vertu, de la vraie grandeur; et croyant les représenter, elle tombe dans l'exagération. Tel est à mes yeux le caractère de Calderon; il dépasse le but dans toutes les parties de l'art. La vérité lui est inconnue, et l'idéal qu'il se forme blesse toujours par son peu de justesse. Il y avait, dans les anciens chevaliers espagnols, une noble fierté qui tenait au sentiment d'une patrie glorieuse, dans laquelle ils étaient quelque chose; mais l'orgueil fanfaron des héros de Calderon s'enfle avec les disgraces de leur pays, et leur propre asservissement. Il y avait, dans les mœurs des chevaliers, une juste estime de soi-même qui prévenait les offenses, et qui assurait à chacun le respect de ses égaux; mais depuis que l'honneur public et particulier était sans cesse compromis par une cour lâchement corrompue, le théâtre supposa au point d'honneur une délicatesse pointilleuse, qui, sans cesse blessée, demandait

sans cesse des punitions terribles, et qui n'aurait pu exister réellement sans bouleverser la société. Le duel et l'assassinat faisaient en quelque sorte la vie du gentilhomme; et si les mœurs de la nation devinrent féroces, les mœurs dramatiques le devinrent bien plus encore. De même les mœurs des femmes s'étaient corrompues, l'intrigue avait pénétré derrière les jalousies des maisons, et les grilles des couvens où l'on enfermait les demoiselles la galanterie s'était introduite dans les ménages; elle avait séparé les maris de leurs femmes, et empoisonné l'union domestique. Mais Calderon donne aux femmes qu'il représente d'autant plus de sévérité, que la morale était plus relâchée; il peint l'amour tout entier dans l'esprit, il donne à la passion un caractère qu'elle ne peut soutenir, il perd la nature de vue, et croyant atteindre l'idéal, il ne connaît que l'exagération.

Si les mœurs, dans ce théâtre, sont constamment fausses, le langage l'est plus encore. Les Espagnols doivent à leur communication avec les Arabes, le goût des hyperboles et des images les plus hardies; mais la manière de Calderon n'est point empruntée de l'Orient; elle est tout à lui, car elle passe tout ce que se sont jamais permis ses devanciers. Si son imagination lui fournit une image brillante, il la poursuit pen

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