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dant une page entière, et ne l'abandonne pas qu'il ne vous en ait fatigué. Il enchaîne les comparaisons aux comparaisons, et tout en chargeant un objet des couleurs les plus éclatantes, il ne laisse plus apercevoir sa forme sous les traits multipliés qu'il lui prête. Il donne à la douleur un langage tellement poétique, il lui fait rechercher des images si inattendues, et justifier avec tant de soin ces images qu'elle a cherchées hors d'elle, qu'on cesse de plaindre celui qui se distrait si bien de sa peine pour faire de l'esprit. La recherche et les antithèses qu'on a reprochées aux Italiens, sous le nom de concetti, sont même dans Marini, même dans les écrivains les plus manièrés, bien simples encore à côté du tortillement continuel de Calderon. On le voit atteint de cette maladie de l'esprit qui a fait époque dans chaque littérature, après la fin de celle du bon goût, qui commença à Rome avec Lucain, qui signala en Italie les seicentisti, en France l'hôtel de Rambouillet, en Angleterre le règne de Charles II, et que tous les siècles se sont accordés à condamner comme mauvais goût. Les exemples se présenteraient en foule dans les extraits que nous parcourrons bientôt; nous les éviterons alors pour ne pas suspendre l'intérêt; il vaut donc mieux en détacher quelqu'un pour en

donner ici l'idée. En voici un pour la comédie; c'est Alexandre, duc de Parme, qui parle et qui raconte comment il est devenu rival de don César, son secrétaire et son ami.

« J'entrai, dit-il, avec galanterie dans l'ap» partement de ma sœur, et j'y vis auprès d'elle » dona Anna, au milieu de ses dames. J'y vis » dans un jardin d'amour la rose belle et bril>> lante, qui préside au milieu des fleurs com» munes; mais, que dis-je? si je le considère » bien, je vis au milieu de plusieurs roses une » étoile, ou au milieu de nombreuses étoiles, le » brillant Lucifer; ou si j'examine mieux en» core sa divinité, je vis au milieu de plusieurs >> Lucifers un clair soleil, prêtant à ses planètes » sa lumière brillante; enfin je vis un ciel pré>> paré pour beaucoup de soleils, et sa beauté » dépassait tellement toutes les autres, qu'au >> milieu d'une infinité de cieux, il n'y avait » qu'un seul jour. Elle parlait, et mes yeux » étaient occupés d'elle autant que mes oreilles >> attentives; car, miraculeuse en toute chose, » dans sa beauté on voyait sa prudence, et l'é>> clat de sa figure dans sa discrétion. Elle prit >> congé si la soirée fut courte, qu'amour le » dise, car j'aurais voulu que chaque instant >> eût duré un siècle, et eût-il duré un siècle, >> il ne m'aurait paru qu'un instant, Je l'accom» pagnai avec courtoisie, et qu'il suffise de te

>> dire que comme amant je meurs, que comme >> absent, je souffre (1).

Ce langage poétique si l'on veut, mais si prodigieusement faux, devient plus déplacé encore lorsqu'il exprime les grandes passions ou les grandes douleurs. Dans une tragédie, pleine d'ailleurs de grandes beautés, et sur laquelle nous reviendrons, Aimer après la Mort

(1) Nadie fié su secreto. Jorn. 1, t. 1, p. 273.

Entré galan al quarto de mi hermana,

Y con ella y sus damas ví a dona Ana :
Ví, en un jardin de amores,
Que presidia entre comunes flores
La rosa hermosa y bella;

Mal digo, que si bien lo considero,
Yo ví entre muchas rosas una estrella,
entre muchas estrellas un Lucero ;
Y si mejor en su Deidad reparo,
Prestando a los demas sus arreboles,
Entre muchos Luceros ví un sol claro,
Y al fin ví un cielo para muchos soles.
Y tanto su beldad los excedia,
Que en muchos cielos huvo solo un dia.
Hablando estuvé, en ella divertidos
Los ojos, quanto atentos los oidos;
Porque mostraba, en todo milagrosa
Cuerda belleza en discrecion hermosa.
Despidió se en efecto; si fue breve
La tarde, amor lo diga, que quisiera,
Que un siglo intero cada instante fuera;
Y aun no fuera bastante,

Pues aunque fuera siglo, fuera instante.
La salí acompañando cortesmente,
Y aquí basta decirte

Que muero amante y que padezco ausente.

Amar despues de la Muerte ), ou plutôt la révolte des Maures dans l'Alpujarra; don Alvaro Tuzani, un des Maures révoltés, accourant au secours de sa belle, la trouve poignardée par un soldat espagnol, à la prise de Galera : elle respirait encore, elle le reconnaît.

« CLARA. Ta voix seule, objet de mon amour, >> pouvait me prêter un nouveau souffle, pou>> vait rendre ma mort heureuse; laisse, laisse, » que je t'embrasse, que je meure entre tes » bras, et que....... (Elle meurt).

>> DON ALVARO. O combien, combien il est >> ignorant celui qui dit que l'amour sait de » deux vies en faire une seule ; si de tels mira>>cles étaient véritables, tu ne mourrais point, » ou je ne vivrais point, car en cet instant, ou » moi, en mourant, òu toi, en vivant, nous > nous retrouverions égaux. O cieux! qui voyez » mes peines; montagnes, qui voyez mes maux; >> vents, qui entendez les rigueurs que j'é>> prouve; flammes, qui voyez mes martyres ; >> comment tous pouvez-vous permettre que » meilleure lumière s'éteigne, que la meilleure »fleur se fane, que le meilleur souffle vous » manque? Hommes, qui connaissez l'amour >> avertissez-moi dans cette détresse, dites-moi » dans cette infortune ce que doit faire un >> amant, qui, venant pour voir sa dame, la >> nuit qui doit rendre heureux un amour

la

» vieilli par tant de jours, la trouve baignée » dans son sang, lys entouré de l'émail le plus » redoutable, or éprouvé au feu de l'examen le » plus rigoureux? Que doit faire un malheu→ >> reux, qui, au lieu du lit nuptial, ne trouve » qu'un tombeau ( tumulo au lieu de talamo), » où l'image adorée qu'il suivait comme une >> divinité est arrivée comme un cadavre ? >> Mais non, ne me répondez pas, vous ne pou» vez me donner aucun conseil, car si dans de »tels événemens un homme n'agit pas d'après » sa douleur, il agira mal d'après des conseils. >> O montagne inexpugnable de l'Alpujarra! O >> théâtre de l'exploit le plus lâche, de la vic>>toire la plus honteuse, de la gloire la plus >> infâme! jamais, jamais tes montagnes; jamais, » jamais tes vallées n'avaient vu sur leur som>> met, n'avaient vu à leur base une beauté plus >> malheureuse! Mais que servirait de me plain» dre, si les plaintes, dès qu'elles sont des >> plaintes, ne sont que le jouet des airs (1) ».

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