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et Ernest fait paraître les gardes, avec ordre de l'arrêter. Heureusement la maison de Frédéric avait deux issues; il s'échappe, et arrive bientôt au parc, où Laure l'attendait déjà. Celle-ci, de son côté, est surprise par Flérida, qui ne s'en fiant point entièrement à Ernest, a voulu s'assurer que les amans ne se réuniraient pas. Frédéric appelle, et elle force Laure à répondre. Malgré tous les artifices de Laure, qui veut encore dissimuler, la duchesse voit clairement et leur amour, et leur projet de s'enfuir ensemble. Elle balance quelque temps sur ce qu'elle doit faire; elle cède tour à tour à la jalousie et à l'amour; mais enfin elle prend généreusement son parti, elle marie Laure a Frédéric, et elle donne elle-même la main aut duc de Mantoue."

J'ai cru que je ferais mieux connaître le talent de Calderon et cette invention fertile qu'il manifeste dans les pièces d'intrigue, en donnant cette longue analyse d'une seule comédie, qu'en en effleurant plusieurs. Cependant rien ne me paraît plus difficile que de donner une juste idée de ce théâtre; la poésie, qui en fait tour à tour le charme et le défaut, par ses couleurs brillantes et par son exagération, ne peut absolument point se traduire; les sentimens sont tellement empreints d'un caractère étranger, qu'avec quelqu'exactitude-qu'on les rende, ils

ne frapperont jamais qu'un Espagnol par leur vérité; les plaisanteries sont toutes nationales. Dans les deux genres, l'héroïque et le comique, l'émotion ou la gaîté naissent presque uniquement de la complication de l'intrigue, d'un imbroglio, qui, même dans l'original, demande une attention constante pour le bien saisir, et qui devient nécessairement confus dans un extrait où beaucoup de fils intermédiaires nous manquent. Chaque pièce espagnole contient toujours de quoi fournir amplement d'événemens trois ou quatre comédies françaises, et l'activité avec laquelle l'auteur lui-même s'engage dans ce labyrinthe, ne lui laisse pas lè temps de développer les situations, et de tirer du cœur de ses personnages tout ce que la passion devait y mettre.

Les pièces de Calderon ne sont point divisées en comédies et en tragédies; elles portent toutes le même titre, la Gran Comedia, qui probablement leur était donné par les acteurs pour attirer le public par une affiche pompeuse, et qui leur est resté. Elles appartiennent toutes à un même genre, car ce sont les mêmes passions et les mêmes caractères, qui, d'après le hasard de l'intrigue, amènent tantôt des événemens funestes, tantôt des accidens heureux, et qui tournent à la tragédie ou à la comédie, sans qu'on puisse le prévoir d'après le titre ou les

premières scènes. Ainsi, ni le rang des personnages, ni l'exposition, ni les premiers événemens ne nous auraient point préparé à recevoir des émotions d'une tout autre nature du Prince constant et du Secret à haute voix. Le Prince constant, ou plutôt le prince inébranlable, le Regulus espagnol, est un des drames les plus touchans de Calderon; traduit par M. Schlegel, il est à présent joué avec succès sur les théâtres d'Allemagne : je crois devoir le choisir pour en donner une analyse complète.

Les Portugais, après avoir chassé les Maures de toute la côte occidentale d'Espagne, passèrent en Afrique, pour y poursuivre encore les ennemis de leur foi; ils entreprirent la conquête des royaumes de Fez et de Maroc; la même ardeur leur fit chercher ensuite la route des Indes, et planter les étendards de Portugal sur la côte de Guinée, dans le royaume de Congo, à Mozambique, à Diu, à Goa et à Macao. Le roi Jean 1er avait conquis Ceuta; à sa mort, il laissa plusieurs fils, qui tous voulaient se distinguer contre les Infidèles. Édouard, qui lui succéda, envoya, en 1438, deux, de ses frères avec une flotte, tenter la conquête de Tanger; l'un était Ferdinand, le héros de Calderon, le Prince constant par excellence; l'autre, ce Henri, qui s'est illustré depuis par ses longs efforts pour découvrir les mers de Guinée et la

route des Indes. Leur expédition est le sujet de cette tragédie.

La scène s'ouvre dans les jardins du roi de Fez; les femmes de Phénicie, princesse maure, engagent des esclaves chrétiens à chanter pour charmer les ennuis de leur maîtresse. « Com>>ment, répondent ils, une musique, dont tous >> les accompagnemens sont les fers et les chaînes >> qui nous retiennent, peut-elle lui être agréa¬ »ble? » Ils chantent cependant jusqu'à ce que Phénicie paraisse entourée de ses femmes. Cellesci lui adressent les complimens les plus flatteurs sur sa beauté, dans ce style oriental que la langue espagnole ose conserver, et que son exagération rendrait ridicule dans la nôtre. Phénicie repousse tristement ces hommages, elle parle de sa douleur, elle l'attribue à un sentiment qu'elle ne peut vaincre, et que de tristes pressentimens semblent entourer. Son discours est aussi tout en tableaux, tout en images brillantes. Il faut regarder la tragédie de Calderon, non comme une imitation de la nature, mais comme une image de cette nature dans le monde poétique, aussi bien que l'opéra en est une image dans le monde musical; il faut admettre une convention tacite des spectateurs qui se prêtent à entendre un langage hors de la nature, pour jouir de l'union des beaux-arts à une action réelle.

TOME IV.

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Phénicie aime Muley Cheik, cousin du roi de Fez, son amiral et son général; mais son père veut la marier à Tarudant, prince de Maroc; elle a à peine reçu cette nouvelle, que Muley revient d'une croisière, et annonce au roi l'approche d'une flotte portugaise, qui, commandée par deux infants, et portant quatorze mille soldats, vient attaquer Tanger. Son discours, qui doit servir d'exposition à l'action principale, a deux cent dix vers de longueur; tout l'éclat de la poésie dont il est parsemé, ne suffirait point pour faire écouter en France une aussi mortelle harangue. Muley cependant reçoit ordre de s'opposer au débarquement des Portugais avec la cavalerie de la côte.

Ce débarquement est le sujet de la scène suivante; on le voit s'effectuer auprès de Tanger, au son des clairons et des trompettes. Au milieu de cette pompe militaire, chacun des héros chrétiens qui abordent au rivage, manifeste son caractère, ses espérances, ses craintes, et la manière dont il est affecté par les tristes présages qui se sont offerts à eux pendant leur navigation. Tandis que Fernand s'efforce de dissiper dans le cœur de ses chevaliers toute crainte superstitieuse, il est attaqué par Muley Cheik, mais il remporte une facile victoire sur cette cavalerie rassemblée à la hâte. Muley lui-même tombe entre ses mains, et Fernand, non moins

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