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tune de ces Indes, où tant de ses compatriotes avaient amassé des trésors.

Au moment où le Camoëns débarqua à Lisbonne, une peste terrible venait de dévaster le Portugal; et au milieu des douleurs et de l'effroi, personne ne songeait à la poésie, ou ne prenait intérêt au poëme, dernière espérance et seule richesse du malheureux voyageur. Le roi Sébastien, à peine sorti de l'enfance, n'écoutait d'autres leçons que celles des prêtres, qui l'entraînèrent quelques années plus tard dans sa malheureuse expédition d'Afrique. Il accepta cependant la dédicace du poëme épique du Camoëns, mais il lui assigna, pour toute récompense, une pension si misérable (de quinze mille rés, faisant moins de cent francs), que le Camoëns fut exposé aux plus cruels besoins. Il manquait souvent de pain; et un esclave, qu'il avait ramené des Indes, mendiait la nuit dans les rues, pour fournir une chétive nourriture au poète qui faisait déjà la gloire de toutes les Espagnes. Un dernier malheur attendait cependant encorele Camoëns. Le roi Sébastien avait conduit toute la noblesse de Portugal dans son expédition chevaleresque contre Maroc. Il y périt à la fatale bataille d'Alcocer-Quivir, ou Alcaçar la grande, en 1578; avec lui s'éteignit la maison royale, dont il ne restait plus qu'un vieux cardinal, qui mourut après un règne de deux

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arfs, pendant lequel il avait vu l'Europe disputer d'avance sa succession. La gloire de la nation portugaise était éclipsée, son indépendance succombait, l'avenir ne présentait plus que misère et qu'opprobre. Le Camoëns, qui avait supporté avec courage tant de malheurs personnels, se trouva sans force pour résister à ceux de sa nation. Il fut atteint d'une cruelle maladie, causée par tant de chagrins. Peu avant de mourir il écrivait : « Qui jamais entendit » dire que sur l'étroit théâtre d'un lit misé»rable, la fortune voulût représenter de si >> grandes calamités; et moi, comme si elles ne >> suffisaient pas déjà, je me joins encore à elles; >> car vouloir résister à tant de maux me pa>> raîtrait une espèce d'impudence (1) ». Il passa les derniers jours de sa vie dans la société de quelques moines; on croit qu'il mourut dans un hôpital, en 1579. Ce fut seulement seize ans après sa mort, qu'on lui éleva un monument. La première édition de sa Lusiade avait paru en 1572.

(1) Quem ouvio dizer que em tao pequeno teatro, como o de hum pobre leito, quisesse a fortuna representar tao grandes desventuras? E eu, como se ellas naõ bastassem, me ponho ainda da sua parte. Porque procurar resistir a tantos males, pareceria especie de desavergonhamento.

Le poëme sur lequel est fondée la réputation européenne du Camoëns, et que nous nommons communément la Lusiade, est intitulé, en portugais, as Lusiadas, les Lusitaniennes les choses de la Lusitanie; et, en effet, c'est un poëme tout national, que le Camoëns a voulu écrire ; c'est la gloire de ses compatriotes qu'il a entrepris de chanter. S'il a pris pour cadre de ce poëme le récit des conquêtes des Portugais dans les Indes, il a su y entremêler toutes les grandes actions de ses compatriotes dans les autres parties du monde; tout ce que l'histoire ou les fables nationales contiennent de glorieux pour eux, C'est par erreur qu'on a dit que le héros du Camoëns était Vasco de Gama, qu'on a considéré comme des épisodes tout ce qui ne se rapportait pas à l'expédition de ce grand amiral. Il n'y a dans la Lusiade du Camoëns de protagoniste que la patrie, et d'épisodes que ce qui ne se rapporte pas immédiatement à sa gloire. L'exposition de la Lusiade annonce clairement ce plan patriotique. « Je chanterai, dit>> il, les armes et les hommes signalés, qui, partis >> des rivages occidentaux de la Lusitanie, tra» versèrent des mers qui n'avaient encore jamais » été sillonnées, et parvinrent aux royaumes >> cachés au-delà de Taprobana. Leurs efforts » dans les périls, dans les combats, dépassé» rent ce que promettent les forces humaines;

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» c'est ainsi que parmi les nations les plus éloi» gnées ils fondèrent un nouvel empire qu'ils » élevèrent à une grandeur glorieuse. Je chan» terai encore la mémoire de ces rois, qui, » étendant les limites de la foi, et celles de >> leur domination, dévastèrent les champs in>> fidèles de l'Afrique et de l'Asie. Je dirai quels >> furent les hommes qui, par des œuvres va» leureuses, se sont affranchis de la loi com>> mune de la mort. Je répandrai leur gloire en » tous lieux, si le génie et l'art me secondent » dans un si noble dessein (1) ».

A l'époque où le Camoëns embouchait ainsi la trompette, il n'existait proprement aucun poëme épique dans aucune langue romane. Le

(1) As armas e os Baroes assinalados

Que da occidental praja Lusitana
Por mares nunca d'antes navegados,
Passáram aínda além da Taprobana :
Que em perigos e guerras esforçados
Mais do que promettia a força humana,
Entre gente remota edificáram
Novo reino que tanto sublimáram.

E tambem as memorias gloriosas
D'aquelles reis que foram dilatando
A fé, o imperio, e as terras viciosas
De Africa e de Asia andaram devastando:
E aquelles que por obras valerosas
Se vao da lei da morte libertando,
Cantando espalharei por
toda parte,

Se a tanto me ajudar o engenho, e arte.

Trissin, avait, il est vrai, essayé de chanter l'Italie délivrée des Goths, mais il avait échoué dans son entreprise; plusieurs Espagnols avaient intitulé poëmes épiques, des histoires rimées, d'événemens modernes, qu'ils n'avaient su relever par aucune poésie. Arioste, avec la foule des romanciers, avait donné aux fables de la chevalerie le plus riant coloris; mais Arioste, et tous ceux du milieu desquels il s'était élevé, n'avaient point eu la prétention d'écrire des poëmes épiques : le Tasse, enfin, ne publia sa Jérusalem qu'en 1580, un an après la mort du Camoëns. D'ailleurs, la Lusiade ayant été composée presque en entier dans les Indes, Camoëns ne pouvait connaître que ce qui avait été écrit avant l'année 1553, époque de son embarquement. Cependant il paraît que le poète portugais avait beaucoup étudié les Italiens ses contemporains, et qu'il avait recherché avec eux les mêmes modèles dans l'antiquité; car il y a entre lui et toute l'école italienne des rapports frappans et bien plus immédiats que tous ceux que nous avons pu observer entre les poètes espagnols et les italiens. Il a fait choix du mètre de l'Arioste, le ïambe héroïque, rimé en octaves, de préférence à celui du Trissin, le verso sciolto ou iambe non rimé. Il s'est aussi rapproché de l'Arioste, plutôt que du Trissin ou de tous les Espagnols, lorsqu'il a considéré

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