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qu'il a intitulé Dragontea; ce dernier, rendu odieux aux Espagnols par ses victoires, est représenté dans Lope de Vega comme le ministre et l'instrument du diable. Aucun de ces longs poëmes n'a mérité, même aux yeux des Espagnols, d'être égalé, je ne dirai pas aux classiques italiens, mais à l'Araucana. Lope cependant, qui voulait s'essayer dans tous les genres, a composé encore une Arcadie, à l'imitation de Sannazar; des églogues, des romances, des poésies sacrées, des sonnets, des épîtres, des poésies burlesques, parmi lesquelles un poëme épique burlesque, intitulé la Gatomachie (ou Guerre des Chats ); deux romans en prose, et une collection de Nouvelles. L'inconcevable fertilité d'invention de Lope de Vega avait soutenu son théâtre, malgré le peu de soin et le peu de temps qu'il donnait à la correction de ses drames; mais ses autres poésies, produites par un travail si précipité, ne sont que de rudes ébauches, que bien peu de gens ont eu le courage de lire.

On pourrait ajouter encore aux œuvres de cet homme prodigieux, celles de son école. Son exemple encourageait les poètes dramatiques qu'on voyait naître de toutes parts en Espagne, et travailler avec la même imagination vagabonde, le même manque de correction, et la même rapidité; nous les passerons en revue,

lorsque nous nous occuperons des ouvrages de Calderon, le plus grand, le plus célèbre de ses élèves et de ses rivaux. Un seul ne peut être séparé de Lope; c'est Juan Perez de Montalvan son disciple le plus chéri, son ami, son biographe, et son imitateur. Ce jeune homme, plein de talent et de feu, dont l'admiration pour Lope était sans bornes, ne prit jamais que lui pour modèle; aussi serait-il difficile de caractériser le théâtre de Montalvan, par opposition à celui de son maître. D'ailleurs, je n'ai lu de lui que des comédies sacrées, entre autres la Vie de Saint-Antoine de Padoue; et ces drames bizarres, qui font naître dans le coeur tant de sentimens pénibles, ne méritent pas un plus long examen. Juan Perez de Montalvan travaillait avec la même rapidité que son maître; dans sa courte vie (1603- 1639), il a composé plus de cent pièces de théâtre; comme son maître aussi, il partageait son temps entre la poésie et les travaux de l'inquisition dont il était notaire. Ses ouvrages contiennent, presque à chaque ligne, des traces du zèle qui l'avait engagé à entrer dans ce terrible tribunal.

CHAPITRE XXXII.

Poésie lyrique espagnole, à la fin du seizième et au commencement du dix-septième siècle. Gongora et son école, Quevedo, Villegas, etc.

La poésie espagnole avait eu, comme la na

tion à laquelle elle appartenait, quelque chose de chevaleresque dans son origine. Ses premiers poètes avaient été des guerriers amoureux, qui chantaient tour à tour leur belle et leurs exploits, et qui conservaient dans leurs vers ce caractère de loyauté, de franchise quelquefois rude, d'indépendance, de liberté orageuse, d'amour passionné et de jalousie, dont leur vie se composait. Deux choses plaisaient dans ces chants, le monde poétique dans lequel la chevalerie nous transporte ; et la vérité, ce rapport intime des paroles avec le coeur, qui ne laisse soupçonner aucune imitation de sentimens empruntés, aucun dessein de faire effet. Mais la nation espagnole éprouva un changement fatal lorsqu'elle fut soumise à la maison d'Autriche, et la poésie dut changer avec elle, ou plutôt elle dut ressentir, dans la génération suivante, les effets de ce changement. Charles-Quint brisa

TOME IV.

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les libertés des Espagnols, il anéantit leurs droits et leurs priviléges, il les arracha de leur pays pour les faire combattre, non plus pour leur patrie, mais pour les intérêts politiques, pour · la vanité de leur roi; il détruisit en eux la vraie grandeur, pour ne laisser plus à sa place que l'orgueil et la pompe. Philippe son fils, qui se crut espagnol, et qu'on considéra comme tel, ne prit point cependant le caractère de la nation, mais celui de ses moines, tel que la sévérité de la règle, et l'impétuosité du sang dans le midi, devait le développer dans les convens. Cette coupable violence faite à la nature leur a donné un caractère impérieux et servile en même temps, faux et cependant opiniâtre, cruel et voluptueux. Les Espagnols ne doivent aucun de ces vices à la nature; ils sont l'effet de la discipline cruelle des couvens, de la soumission de la pensée, de l'asservissement de la volonté, de la concentration de toutes les passions dans une seule qui est divinisée.

Philippe II, avec beaucoup moins de talens, beaucoup moins de vertus, beaucoup moins de noblesse, ressembla au cardinal Ximenes, bien plus qu'à la nation espagnole, qui, toute entière, s'était révoltée contre ce moine orgueilleux et • cruel, mais qui avait fini par succomber à sa violence et à ses artifices. Philippe I, à une ambition démesurée, à une perfidie sans pu

deur, à une insouciance féroce pour les malheurs de l'humanité, la guerre, la famine, les fléaux de tout genre qu'il attirait sur ses Etats; joignit une religion de sang, qui lui fit considérer comme une expiation de ses autres crimes, les crimes nouveaux de l'inquisition. Ses sujets, élevés avec lui par les moines, avaient déjà changé de caractère ; ils étaient devenus de dignes instrumens de sa sombre politique et de sa superstition. Ils se distinguèrent dans les guerres de France, d'Italie, d'Allemagne, autant par leur perfidie que par leur fanatisme féroce. La littérature,qui suit toujours, mais souvent à demi-siècle de distance, les changemens que la politique opère dans les nations, prit un caractère beaucoup moins naturel, beaucoup moins vrai, et moins profond; l'exagération prit la place de la pensée, et le fanatisme celle de la piété. Les deux règnes de Philippe ш et de Philippеiv furent toujours plus dégradans pour la nation espagnole. Leur vaste monarchie, épuisée par ses efforts gigantesques, ne continuait ses guerres éternelles que pour éprouver de constans revers. Le roi, perdu dans les vices et la mollesse, ne renonçait point, dans l'asile impénétrable de son palais, à son ambition effrénée, ou à sa perfidie. Les ministres mettaient toutes les grâces à l'enchère; la noblesse était avilie sous le joug des favoris et des parvenus; les peuples étaient ruinés par des ex

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