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montrais par quel adroit artifice chaque touche fait vibrer une corde dont il n'entendra point le son. Alors je pourrais lui dire, comme je le dis aux lecteurs français : « Croyez que lorsque » des hommes d'un esprit supérieur ont em>>ployé des moyens si ingénieux pour arriver >> à un but inconnu, ce but doit être digne » d'eux. S'ils parlent d'une jouissance éthérée » dans la musique, croyez que le son a en effet » un pouvoir sur l'âme que vous n'avez pu >> éprouver; et que sans passer par le raison»nement, sans que les idées puissent rendre >> compte des sensations, cette harmonie, dont » vous voyez le mécanisme sans en sentir le >> pouvoir, est une grande révélation des secrets » de la nature, une mystérieuse association de >> l'âme avec le Créateur ».

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L'harmonie du langage est en effet, autant que celle des instrumens, une force inconnue, dont ceux qui n'ont vécu que dans la langue française ne peuvent avoir aucune idée. Notre langue toute égale, sourde, sans noblesse dans les consonnes, sans mélodie dans les voyelles, parle puissamment à l'esprit, comme la plus logique de toutes, la plus claire, la plus forte; mais elle n'agit point sur les sens; et c'est une jouissance sensuelle, mais une jouissance de cette partie la plus éthérée de notre être physila plus rapprochée de l'âme, que celle

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que donne la poésie italienne, espagnole, provençale ou portugaise. C'est la musique enfin, car rien ne peut rendre l'impression ravissante des sons, que les sons eux-mêmes. On se sent captivé avant de comprendre; on écoute, et le charme est dans la voix, dans l'ordre des mots, et non dans ce qu'ils renferment; on est sorti doucement de son être et du monde réel; les douleurs se calment; les soucis s'éloignent, les inquiétudes s'assou pissent, et la jouissance de la rêverie, c'est de suspendre l'existence, et de donner en quelque sorte un avant-goût du ciel.

Avec ce beau langage du Midi, nous devons encore prendre congé de sa riante imagination. La musique et la peinture se réunissent sans cesse dans la poésie romantique. Ce n'est point des idées dont ces poètes nous occupent, c'est des images; les couleurs les plus brillantes passent sans cesse sous nos yeux; ils ne se permettent point de nommer ce qu'ils ne peignent pas; la création rayonne toute entière autour de nous, et le monde se montre toujours dans cette poésie, comme on le voit auprès des plus belles cascades de Suisse, lorsque le soleil frappe leurs eaux; l'iris fait resplendir le paysage, et tous les objets de la nature brillent des couleurs du ciel. Aucune traduction ne peut donner l'idée de cette jouissance. L'auteur romantique *a pris l'image la plus grande et la plus hardie,

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il s'est à peine occupé de la faire pleinement, comprendre, pourvu qu'elle brille. Si je veux la rendre en prose française, il faut avant tout la réduire, pour qu'elle ne sorte point des proportions de tout le reste; la lier avec ce qui précède et ce qui suit, pour qu'elle ne frappe point, inattendue, et qu'elle ne jette aucune obscurité dans le style; rendre par une périphrase le mot le plus expressif, parce que notre langue, riche pour la pensée, est la plus pauvre de toutes en expressions qui fassent image; supprimer quelque épithète, ou lui donner place seulement dans un nouveau membre de la phrase, parce que nous ne permettons point que plusieurs adjectifs suivent un substantif. A chaque mot il faut changer, réformer, contraindre ; et cette imagination du Midi, si vive et si flamboyante, n'est plus alors pour nous que comme un feu d'artifice, dont on nous laisse voir l'échafaudage, tandis qu'on se refuse à mettre le feu.

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J'ai conduit mon lecteur seulement jusqu'au vestibule des littératures romantiques. Je lui ai montré de loin leurs richesses dans un sanctuaire où nous ne pouvions point encore pénétrer; c'est à lui désormais à s'y faire initier lui-même. Qu'il prenne courage; ces langues du Midi, riches de tant de trésors, ne l'arrêteront que par de légères difficultés. Elles sont

TOME IV.

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toutes sœurs, et il lui sera facile de passer de l'une à l'autre. Quelques mois d'application suffisent pour posséder l'espagnol ou l'italien; et après une courte fatigue, toutes les lectures dans ces langues seront des jouissances. Si je puis un jour achever un ouvrage semblable sur la littérature du Nord, alors j'annoncerai des beautés plus sévères, d'un genre plus éloigné de nous, et auxquelles on n'arrive que par un travail plus long et plus pénible: encore pour celles-là, cependant, les récompenses sont proportionnées aux sacrifices, et les Muses étrangères sont toujours reconnaissantes du culte que nous leur rendons.

FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER.

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