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<< pauvres étaient confiées à un procureur de charité, élu par « l'assemblée des habitants pour deux ou trois ans. Une tré«sorière s'occupait des meubles et des ustensiles appartenant « aux pauvres. Ailleurs, le curé et les marguilliers faisaient << fonctions de trésorier: ils ne rendaient pas toujours leurs « comptes. Dans les circonstances graves, la communauté fai«sait faire des distributions aux pauvres sur ses revenus; « mais il arriva, au moins une fois, que les cultivateurs qui << formaient la majorité ne consentirent à voter des fonds en «< faveur des indigents, qu'à condition d'en recevoir autant « pour eux-mêmes (1). »

Je n'insiste pas davantage sur ces utiles institutions; aussi bien ai-je peut-être dépassé déjà les limites d'un simple commentaire du cahier de Tremont. Je le laisse donc, bien qu'à regret, pour en venir au cahier de Neuville-sur-Orne, sur le compte duquel je vous promets d'être plus bref.

II

Le cahier de Neuville-sur-Orne ne ressemble guère à celui de Tremont; tout y est différent : l'esprit général, le style, les idées, les doléances mêmes. Il n'y a de commun aux deux compositions qu'une orthographe passablement fantaisiste.

A Neuville nous ne trouvons plus la confiance naïve, le style simple et rustique, les désirs modestes, les plaintes contenues des gens de Tremont. Tout au contraire, l'expression est pompeuse et recherchée, les doléances sont empreintes d'une méfiance exagérée pour les actes du gouvernement, les plaintes sont inspirées par la haine profonde et tenace des ordres privilégiés.

Certes, il n'est pas possible, comme à Tremont, d'attribuer la rédaction de ce cahier au curé, au maître d'école ou à un simple paysan. Le curé, assurément, n'était pas assez imbu de l'esprit philosophique, pour se montrer aussi âpre dans ses revendications; le maître d'école était l'homme du curé et ne

(1) Babeau, op. cit., p. 310-311.

faisait rien sans lui; quant au paysan, alors même qu'il se sent libre et indépendant, il reste toujours craintif et obséquieux. On doit, ce me semble, chercher ailleurs l'auteur de ces vigoureuses remontrances.

Avant 1789, il existait, non seulement dans les villes, mais encore dans les bourgs et les villages, une quantité considérable d'hommes de loi et de praticiens.

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C'est une chose épouvantable, disait déjà un auteur du << XVIe siècle, que de voir aujourd'hui le nombre des procureurs «<et de solliciteurs. Les rois et les parlements essayèrent à << plusieurs reprises d'en limiter le nombre. Une ordonnance « de 1566 porte : « Pour ce qu'il y a un nombre effrené de << notaires et de tabellions à la grande foule et oppression du peuple, sera le dit nombre resequé et restreint. >> Au "XVIIe siècle, dans un bourg de 3.000 âmes, on comptait, outre «<le bailli, le prévôt, le lieutenant et le procureur fiscal, 6 no«<taires, 4 sergents, 12 procureurs et 4 greffiers. En Auvergne << on compte par chatellenie jusqu'à 12 notaires nommés par « le seigneur. Une petite paroisse du Nivernais renfermait, en « 1789, 6 procureurs et 6 notaires. « Comme ils sont peu occu«< pés, disait-on, le prix de leurs actes n'en est que plus con« sidérable. » En revanche, le prix de leurs charges étaient « des plus minimes. Une étude de notaire dans un bourg se << vendit, en 1730, avec les 19 liasses qu'elle renfermait, << moyennant la somme de 24 livres, qui furent payées en « 4 écus de 6 livres.

« Ces hommes de loi formaient une sorte de classe moyenne, (( qui tenait le milieu entre le clergé, la noblesse et les habi«<tants. Ils étaient lettrés, ils s'occupaient des affaires des «paysans; ils avaient leur confiance; ils portaient la parole en <«<leur nom. Ils se recrutaient le plus souvent parmi les plus <<< riches et les plus intelligents d'entre eux; s'ils vivaient à <«<leurs dépens, ils leur rendaient aussi des services; en fai<«<sant valoir leurs intérêts, ils leur parlaient aussi de leurs « droits; ils les leur firent souvent connaître.

« Le roi et les seigneurs avaient intérêt à augmenter le « nombre des offices, parce qu'ils en tiraient des revenus;

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« l'administration s'y opposait parfois. Un subdélégué donnait << ainsi son avis sur l'opportunité de la création d'une charge «d'huissier dans un village : « Je m'en suis rendu compte, et « l'on m'assure que cela ne fera qu'un fripon de plus dans la paroisse.» Néanmoins, le nombre des hommes de loi était « considérable en 1789; on est surpris du nombre d'avocats au << Parlement que l'on rencontre dans les petites localités et << dans les assemblées électorales et administratives. Leur « influence contribua à faire inscrire dans les cahiers les plaintes qui furent émises contre les vices et les abus des « justices seigneuriales (1). »

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Mais ils ne bornèrent pas leur influence à résoudre des questions de métier, et, si l'on en croit M. Taine, dans bien des provinces, ils prirent la direction du mouvement électoral.

« C'est l'homme de loi, le petit procureur de campagne, « l'avocat envieux et théoricien qui a conduit le paysan. Celui<«< ci insiste pour que, dans le cahier, on couche par écrit et << tout au long ses griefs locaux et personnels, sa réclamation << contre les impôts et redevances, sa requête pour délivrer «< ses chiens du billot, sa volonté d'avoir un fusil contre les loups. L'autre, qui suggère et dirige, enveloppe le tout dans «<les Droits de l'homme et dans la circulaire de Sieyès. « Depuis deux mois, écrit un commandant du midi, les juges «< inférieurs, les avocats dont toutes les villes et campagnes « fourmillent, en vue de se faire élire aux Etats généraux, se << sont mis après les gens du Tiers Etat, sous prétexte de les " soutenir el d'éclairer leur ignorance... Ils se sont efforcés « de leur persuader qu'aux Etats généraux ils seraient les <«< maîtres à eux-seuls de régler toutes les affaires du royau« me; que le Tiers, en choisissant ses députés parmi les gens

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« de robe, aurait le droit et la force de primer, d'abolir la noblesse, de détruire tous ses droits et privilèges, qu'elle

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<< ne serait plus héréditaire, que tous les citoyens, en la méri<«< tant, auraient le droit d'y prétendre; que, si le peuple les

(1) Babeau, Le Village sous l'ancien régime, p. 206-208.

« députait, ils feraient accorder au Tiers Etat tout ce qu'il << voudrait; parce que les curés, gens du Tiers, étant convenus « de se détacher du haut clergé, et de s'unir à eux, la noblesse « et le clergé, unis ensemble, ne feraient qu'une voix contre « deux du Tiers... Si le Tiers avait choisi de sages bourgeois «< ou négociants, ils se seraient unis sans difficulté aux deux « autres ordres. Mais les assemblées de bailliages et de séné«< chaussées ont été farcies de gens de robe qui absorbaient <«<les opinions et voulaient primer sur tout le monde, el cha« cun, de son côté, intriguait pour se faire nommer député. «En Touraine, écrit l'intendant, l'avis de la plupart des votants «< a été commandé ou mendié. Les affidés mettaient, au mo<«<ment du scrutin, des billets tout écrits dans la main des << votants, et leur avaient fait trouver aux auberges, tous les « écrits et avis propres à exalter leurs têtes et à déterminer «<leur choix pour des gens du palais. »>

« Dans la sénéchaussée de Lectoure, une quantité de «< paroisses et de communautés n'ont point été assignées ni «< averties pour envoyer leurs cahiers et leurs députés à l'as« semblée de la sénéchaussée. Pour celles qui ont été averties, « les avocats, procureurs et notaires des petites villes voi«sines ont fait leurs doléances de leur chef, sans assembler «< la communauté... Sur un seul brouillon, ils faisaient pour « toutes des copies pareilles qu'ils vendaient bien cher aux «< conseils de chaque paroisse de campagne (1). »

Ou je me trompe fort, on c'est un brouillon de ce genre, légèrement modifié suivant les convenances locales, que les habitants de Neuville ont adressé à l'assemblée électorale du bailliage de Bar.

Doléances du tiers Etat de la paroiss

de Neuville-sur-Orne, présentée le 20 mars 1789 (2).

Depuis longtemps les vrais Citoyens voyent avec douleur s'acroitre les meaux de l'état. La Convocation des trois ordres du Royaume pour

(1) Taine, L'Ancien régime, p. 518-519. (2) Arch. de la commune de Neuville. ment le style et l'orthographe.

Je respecte scrupuleuse

en découvrir la source et y remédier, démontre quils sont arrivés à leur Comble. L'Eloignement de la Capital et du Gouvernement ne permet pas atout le monde de connoitre ny sa marche ny ses abus. L'on ne peut, du fond des Campagnes, que soupçonner les Causes funestes qui ont donné lieu à ces meaux. Un Cri confus annonce que l'ancienne Splandeur de la france ne doit son Espèce d'anéantissement qu'a L'iniquité qui s'est souvent introduite dans le ministère qu'a L'ambition démesurée de tout les grands: q'ua la facilité de grêver le trésor public de pensions aussy ruineuse que peu méritées au choix que lon faits pour confier les places les plus importantes de l'état que l'on accorde plutôt à la recommandation des femmes qu'au mérite des hommes que l'on y appele aux abandons de Droits arbitraires que l'on fait aux traitans et qui en usent pour dévorer et létat et les Citoyens : au Luxe enfin, souree intarissable de tous les vices, et principalement de la Dépravation des mœurs, origine incontestable de tous ces désordres.

En effet si l'on compare, l'état présent de la france, avec ces heureux tems ou un ordre invariable régnoit dans les finances ou les grands n'avoient d'autre ambition que d'aquérir de la gloire, d'augmenter celle de l'état et de faire le Bonheur de leurs Vasseaux : ou l'intégrité des Juges netoit pas encore altérée par l'appas du gain : ou le mérite seul ouvroit la voye aux dignités et aux places: ou chaque Citoyen se renfermoit dans les bornes de la modestie qui convient à son Etat par ce que la Cour et les grands ne s'écartoient point de celle que la raison leur prescrit: il sera facile de se convaincre que tous les meaux sur lesquels il faut pleurer aujourd'huy ne sont malheureusement que trop vrays et que lamertume des douleurs communes tire sa cause des abus dont on vient de donner une foible idée.

Dans ces perplexités le roy désirant connoitre les peines de son peuple annonce qui veut essuyer ses larmes puisquil luy demande d'indiquer a sa justice les moyens d'en tarir la source. Puissent ses intentions paterneles et les sollicitudes de son digne Sully ne point trahir ses Espérances !

Le tiers Etat de Neuville sur orne usera donc de la Liberté qui luy est accordée par le meilleur des princes, et en soumettant ses réclamations aux lumières de l'assemblée qui rédigera les Doléances de la province du Barrois il croit pouvoir demander:

Que cette province soit maintenue dans tous ses privilèges, et notament dans celuy d'être un pays d'etat. Sy ce privilège étably par une foulle de titres et par une possession incontestable luy étoit refusé, ses meaux seroient a leur comble; mais comme il est devenu le partage de tant d'autres qui navoient pour y prétendre, que la Bonté du roy, il seroit injuste de craindre quelle en fut privée.

Que ses Etats soient composés suivant ses anciens usages, et suivant le sistème adopté pour les Etats généraux; c'est-à-dire que les mem

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