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glaça le vainqueur; il ne voulut pas descendre au Retiro, palais ordinaire des rois ; il traversa la ville à cheval, et, arrivé à la porte de Guadalajara, il revint à celle d'Alcala, par laquelle il sortit, en répétant avec tristesse : « Madrid n'est qu'un désert. » Il établit son armée sur les bords du Mançanarez, et se logea lui-même au Pardo, maison d'été des rois d'Espagne, à trois lieues de leur capitale.

Quelques gentilshommes ruinés ou compromis reconnurent seuls la royauté nouvelle; les autres se renfermèrent ou s'enfuirent. Le marquis de Mansera, sollicité par Stanhope, répondit qu'il avait beaucoup de respect pour M. l'archiduc d'Autriche, mais qu'il ne reconnaissait qu'un Dieu et qu'un roi, qui était Philippe V'.

Malgré l'éloignement de l'ennemi, les scènes de la première invasion se renouvelèrent et la vengeance des Castillans éclata dans toute son horreur. Tandis que le soleil, l'ivrognerie et la débauche décimaient peu à peu l'armée, les médecins espagnols empoisonnaient les malades 2, et les Madrilènes assassinaient les alliés en plein jour, dans les maisons et dans les rues. Celui qui avait tué un Anglais ou un Allemand s'en vantait aussitôt comme d'une belle action, tant la haine était violente et les passions déchaînées !

Plus terribles encore, les paysans brûlaient leurs

1 Mémoires de Noailles, p. 228.

2 Saint-Philippe, t. 11, p. 300-379 et 385.

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fourrages et leurs grains, jusqu'aux semailles, et, par un effroyable calcul, affamaient Madrid pour le soulever 1. En attendant la réorganisation de l'armée quelques officiers commençaient la petite guerre, la guerilla, dont le nom réveille dans nos cœurs de si cruels souvenirs. Deux des plus célèbres d'entre eux, Bracamonte et Vallejo, harcelaient nuit et jour les ennemis et les assiégeaient dans leur camp. Merveilleusement instruit par les rapports des paysans, transformés en autant d'espions, Vallejo battait des régiments entiers aux portes mêmes de Madrid. Il faillit prendre un jour l'archiduc, qui chassait dans les bois du Pardo. Un des gardes du château, prévenu à temps et craignant, si l'entreprise réussissait, d'être massacré avec ses compagnons par les soldats du prince, l'avertit et le sauva 2. Pour nourrir ses troupes, Charles III dut frapper Madrid de réquisitions de vivres et de chevaux, et laisser piller et maltraiter les paysans. Il comprenait les périls de la situation qu'il avait subie, mais il complait sur l'armée portugaise d'Estramadure, qui devait le joindre et l'aider à se maintenir en Castille3.

Tandis que son rival perdait un temps si précieux à Madrid, Philippe V écrivait à Louis XIV pour lui exposer sa détresse et implorer ses secours. Les conférences de Gertruydemberg étaient rompues; le roi avait perdu l'espoir de satisfaire des ennemis insa

1 Saint-Philippe, p. 384.

Saint-Philippe, t. II, p. 389.

Archives de la Guerre, vol. 2253.

tiables; il enjoignit au duc de Noailles d'envahir la Catalogne avec l'armée du Roussillon, forte de vingt mille soldats. En attendant d'autres renforts, il envoya aux Espagnols un homme qui valait une armée, le duc de Vendôme. Louis XIV le rappela d'Anet, où depuis deux ans il vivait disgracié. Vendôme était vieilli, cassé par la guerre 1, dégradé par le vin, défiguré par la débauche, mais il conservait le coup d'œil et l'ardeur de sa jeunesse, et il allait faire sa plus belle campagne.

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Vendôme partit sur-le-champ pour Valladolid, où il trouva l'armée espagnole moins faible qu'il ne l'avait pensé : elle comptait encore huit mille fantassins et cinq mille chevaux. Il s'occupa sur-lechamp de l'équiper, de l'augmenter et de l'instruire, Il fit exercer les volontaires qui accouraient des provinces, acheta des vivres, des munitions, des tentes pour la campagne d'hiver qu'il projetait; il travailla sept heures par jour, et, en six semaines, il enrégimenta vingt-cinq mille hommes de troupes espagnoles. Il vint alors camper à Almaraz, où se trouvait un pont sur le Tage. Maître de cette rivière, il fermait aux Portugais la route de Madrid.

A Madrid, pendant ce temps, Charles III usait len

1 Vendôme n'avait que cinquante-six ans; il servait depuis l'âge de douze ans.

2 20 septembre 1710.

3 « Les siècles à venir auront peine à croire combien de difficultés furent aplanies en cinquante jours» dit à ce propos Saint-Philippe avec admiration. T. II, p. 390.

Archives de la Guerre, vol. 2253, no 110. Lettre de Vendôme au roi. 30 septembre 1710.

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tement son armée. Depuis son entrée en Castille, il avait perdu dix mille hommes et il était alors assailli et menacé de toutes parts: les Madrilènes égorgeaient ses soldats, les guérillas l'affamaient; devant lui, Vendôme barrait la route aux Portugais; derrière, les garnisons de Philippe V, négligées par Stanhope, se répandaient dans la campagne et occupaient les passages de l'Aragon; le duc de Noailles, enfin, se préparait à passer les Pyrénées et menaçait Barcelone où l'archiduc avait laissé la reine Isabelle, pour laquelle il avait la plus tendre affection '. Le prince envoyait vainement message sur message aux Portugais pour presser leur marche; les paysans pendaient ses courriers, et il se trouvait à l'entrée de l'hiver, sans argent, sans vivres, sans nouvelles, aux portes d'une capitale ennemie, au milieu de populations furieuses, ne sachant où porter ses pas.

Après cinquante jours d'attente, l'archiduc prit un parti décisif. Il abandonna Madrid, transporta le siége du gouvernement à Tolède, et s'avança sur le Tage à la rencontre des Portugais 2. Les Madrilènes saluérent son départ par des cris de joie et par les bruyantes volées de toutes leurs cloches; Charles, irrité, voulait revenir pour piller leur ville; Stanhope et Stahremberg l'arrêtèrent. Comme il arrivait à Tolède, un déserteur, envoyé par sa femme, accourut l'avertir que le duc de Noailles avait franchi les Pyré

1. Leur mariage étoit et fut toujours depuis extrêmement uni, chose si rare parmi les princes. » Saint-Simon, t. X, p. 114.

29 novembre 1710,

nées 1. Cette nouvelle épouvanta Charles III. Noailles pouvait s'unir à ces garnisons de Philippe V négligées par Stanhope, occuper les montagnes de l'Aragon et l'y accabler à son retour; le prince, craignant de tomber vivant au pouvoir des Français, confia son armée à Stahremberg, et, prenant avec lui deux mille chevaux, se retira secrètement à Saragosse. Il traversa ensuite l'Aragon, et il arriva heureusement à Barcelone.

Le roi était sauvé, restait l'armée. Stahremberg renonça à joindre les Portugais. Le temps de la guerre offensive était passé : il fallait maintenant revenir en Catalogne, faire une retraite de deux cents lieues au milieu des plaines nues de la Castille, des montagnes de l'Aragon, des villages déserts, des populations implacables et devant une armée supérieure en nombre: Stahremberg avait au plus vingt mille soldats, et Vendôme vingt-cinq mille. Pour dissimuler son départ, Stahremberg éleva des retranchements à Tolède, comme pour y passer l'hiver, comptant ainsi retenir Vendôme à Almaraz et s'échapper vers le nord, à marches forcées. Mais Vendôme savait que l'ennemi n'avait pas de magasins, qu'il ne pouvait donc hiverner à Tolède, et il se rapprocha pour le suivre. Confiant dans sa ruse, Stahremberg achève ses préparatifs de départ. Le 22 novembre, au soir, il fait sauter deux couvents qui renfermaient ses

1 11 novembre 1710. Saint-Philippe (t. II, p. 400) prétend que l'archiduc reçut ce déserteur à Madrid, mais cela est bien peu probable; il n'eut pas alors marché sur Tolède.

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