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mande en Alsace, avec ordre de passer le Rhin et de s'approcher de Francfort, comptant, par la présence de ses armées et les efforts de sa diplomatie, empêcher les électeurs de choisir un prince autrichien 1. Affaiblis par le départ de ces troupes, Marlborough et Villars restèrent plusieurs mois sur la défensive. A la fin, Marlborough, impatient d'agir, attaqua les lignes de Villars, les emporta à la baïonnette et vint mettre le siége devant Bouchain 2. Cette ville, alors assez forte, était défendu par un brave officier, M. de Ravignan, qui avait ordre de tenir jusqu'à la dernière extrémité, mais de sauver la garnison. Ravignan arrêta deux mois les ennemis, puis, se voyant accablé par le nombre, eutama des négociations avec un colonel hollandais, qui lui promit la libre sortie de ses soldats.

Sur sa parole, Ravignan livra une porte aux ennemis, mais, à peine entré, Marlborough désavoue le colonel et retient les Français prisonniers Ravignan, qui n'avait pas de capitulation, accusa vainement la mauvaise foi des vainqueurs. La garnison fut menée prisonnière à Tournai. Toutefois les succès de Marlborough pendant cette campagne se bornèrent à la prise de nos lignes et de Bouchain, et ces faibles avantages ne compensaient pas les prodigieuses dépenses de l'Angleterre. Le seul siége de Bouchain avait coûté près de 200 millions *. A son retour à

1 Juin 1711.

2 Août 1711.

• Septembre 1711.

* 7 millions de livres sterling (175 millions de francs),

Londres, Marlborough reçut un accueil glacial des nouveaux ministres, qui lui reprochèrent d'avoir employé une aussi forte armée « à la prise d'un colombier. >>

En Allemagne, l'élection de l'empereur suspendait les hostilités. Le maréchal d'Harcourt passait le Rhin, s'avançait jusqu'à Francfort; mais Eugène couvrait la ville, et, malgré les efforts de la France, les électeurs appelèrent à l'Empire l'archiduc Charles, déjà roi d'Espagne, de Bohême et de Hongrie. Il fut proclamé à Francfort sous le nom impérial de Charles VI. Après cette élection, les Français repassèrent le Rhin et la campagne s'écoula sans engagement.

En Italie comme en Allemagne, la mort de l'Em pereur arrêta les armées. A cette nouvelle, le duc de Savoie s'enferma une journée entière dans ses appartements, sous prétexte de pleurer son allié, mais plutôt, comme le dit madame de Maintenon, qui le juge d'après elle-même, pour réfléchir au parti qu'il devait prendre'. Après avoir longtemps hésité entre l'Autriche et la France, Victor-Amédée s'allia à Charles VI, passa les Alpes et s'avança jusqu'à Chambéry. Mais cette expédition demeura stérile. Berwick gardait la Savoie; Victor-Amédée ne put reprendre aucune de ses villes, et à l'automne, comme les neiges commençaient à tomber, il craignit d'être enfermé

1 << Il nous est revenu que le duc de Savoie a paru très-affligé de la mort de l'Empereur et qu'il s'est enfermé tout un jour, inaccessible à ses plus intimes confidents. On croit ici que c'est pour pleurer son allié, et moi pour réfléchir au parti qu'il doit prendre. » Lettre de madame de Maintenon au duc de Noailles, 14 mai 1711.

au milieu des Alpes, et repassa précipitamment dans le Piémont.

En Espagne, après les victoires de Vendôme, l'archiduc ne conservait plus que Tarragone et Barcelone. Deux armées françaises, celle du duc de Noailles, en Roussillon, celle de Vendôme, en Catalogne, devaient facilement enlever ces deux villes. Toutes les circonstances étaient favorables : l'Angleterre envoyait à Barcelone le tory d'Argile, avec ordre d'éviter une action, et elle ne fournissait plus à Charles VI que des subsides insuffisants. Le compétiteur de Philippe V abandonnait lui-même la Péninsule pour aller recevoir à Francfort la couronne impériale. Il était facile à Noailles et à Vendôme, en réunissant leurs forces, de terminer enfin la conquête de l'Espagne. Malheureusement la discorde éclata parmi eux: ils se séparèrent et ne surent vaincre.

A l'autre frontière de la Péninsule, en Estramadure, où la guerre continuait entre le Portugal et l'Espagne, avec des alternatives de revers et de succès, les armées se bornèrent à ravager les campagnes comme les années précédentes, sans tirer un coup de canon. Le nouveau roi de Portugal', Jean V, prince voluptueux, despote et partant populaire, lassé d'une guerre infructueuse qui épuisait ses troupes et son trésor, avait ordonné à ses généraux d'éviter une bataille. Il désespérait du triomphe de

1 Monté sur le trône en 1706.

III.

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l'archiduc, deux fois chassé de la Castille, embarqué maintenant pour Francfort, et il songeait à se rapprocher de Louis XIV. Une célèbre expédition maritime, dirigée dans le cours de cette même année contre le Brésil, la plus florissante de ses colonies', achevait de dégoûter Jean V de la coalition et faisait durement expier au Portugal l'abandon de l'alliance française.

En 1710, un intrépide capitaine de vaisseau nommé Duclerc, naviguant dans les mers du Sud, avait débarqué mille soldats devant Rio-Janeiro, et, avec cette poignée d'hommes, donné l'assaut à la capitale du Brésil. Duclerc arriva jusqu'à la place d'armes, puis, accablé par le nombre, se réfugia dans un magasin. Après avoir perdu la moitié de ses compagnons, il fut obligé de se rendre aux Portugais 2, qui, déshonorant leur facile victoire, égorgèrent le capitaine et jetèrent ses soldats dans des prisons infectes, où la plupart moururent de faim et de misère. Louis XIV connaissait ce désastre, mais la lutte continentale absorbant toutes ses ressources, il n'avait pu encore en tirer vengeance, quand un auxiliaire inattendu, l'émule et le successeur de Jean Bart, Duguay-Trouin vint lui en fournir les moyens.

Duguay-Trouin était né sur les bords de l'Océan3, à Saint-Malo, ville féconde en marins, en navigateurs

1 Les mines d'or du Brésil rapportaient alors 25 millions par an au Portugal.

2 Récit d'un témoin oculaire. (Archives de la Marine. Campagne de M. Duguay-Trouin, années 1711 et 1712, liasse I, no 15.)

3 Né en 1673, il avait alors trente-huit ans.

et en corsaires. Issu d'une vieille famille, enrichie par la course et les consulats, il devait à la mer sa réputation et sa fortune. Après avoir passé les premières années de sa jeunesse dans la licence et les plaisirs, comme Duguesclin, il était à dix-huit ans sur un corsaire, et dès cette première campagne il assistait à un abordage, dans lequel il voyait écraser entre deux navires un matelot dont la cervelle rejaillissait sur ses vêtements. Depuis ce jour, il n'avait plus quitté la mer. Il avait perdu deux frères à ses côtés, et il était tombé plusieurs fois couvert de son sang.

Pris par les Anglais, enfermé à Plymouth dans une chambre grillée, il semblait voué à une éternelle captivité, lorsqu'une jeune Anglaise s'éprit du vaillant capitaine et lui ouvrit les portes de sa prison. Il traversa l'Océan sur une barque, et revint en France, où il recommença la course et fit éprouver aux alliés des pertes énormes. Il enleva aux seuls Anglais seize vaisseaux de ligne et trois cents bâtiments marchands. Louis XIV, en récompense, lui envoya le brevet de capitaine avec une épée d'honneur. Duguay-Trouin n'était pas seulement un capitaine de corsaire, propre à l'abordage; il avait les rares et précieuses qualités qui font les chefs d'escadre et les généraux d'armée ; il réunissait en lui les traits des trois plus grands capi

1 « Notre maître d'équipage, à côté duquel j'étois, voulut y sauter le premier (à l'abordage): il tomba par malheur entre les deux vaisseaux, qui, venant à se joindre dans le même instant, écrasèrent à mes yeux tous ses membres et firent rejaillir une partie de sa cervelle jusque sur mes habits.» Mémoires de Duguay-Trouin, p. 673.

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