Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

CHAPITRE IX.

(1711.)

Entrevue de Gautier et de Torcy. - Ouvertures pacifiques de l'Angleterre.-Réponse de Louis XIV.—Négociations secrètes entre Londres et Versailles. Situation difficile du ministère tory.- Envoi de Prior à Versailles et de Ménager à Londres. Les tories exigent d'abord que l'on règle les intérêts de l'Angleterre.—Embarras de Ménager.Louis XIV consent à traiter suivant le désir des Anglais.-Difficultés relatives à Terre-Neuve, à la pêche de la morue, au Prétendant.Signature des préliminaires. Irritation de la Hollande et de l'Autriche.—Mission du député hollandais Buys à Londres.—Ses intrigues avec le comte de Gallas, ambassadeur d'Autriche, et les chefs principaux des whigs. Le comte de Gallas est renvoyé d'Angleterre. Echec et départ de Buys.- Légitimes reproches de Harley à Buys, à son audience de congé.-Procès et condamnation de Marlborough.Arrivée d'Eugène à Londres. - Froid accueil de la reine et des ministres.-Projets violents et désespérés des whigs.-Précautions blessantes des tories contre Eugène et les whigs.-Découragement et départ d'Eugène. ― Retard apporté par la Hollande à l'envoi des passe-ports des négociateurs français à Utrecht.-Mission de Strafford à La Haye, qui décide les États-Généraux. — Annonce du congrès d'Utrecht.

[ocr errors]

Dans les derniers jours de janvier 1711, l'abbé Gautier se présenta au ministère des affaires étrangères, à Versailles, et demanda M. de Torcy. Gautier se fit connaître en l'abordant : « J'arrive de Londres, lui dit-il, je n'ai pas de lettres de créance, mais si vous voulez la paix, je viens vous offrir les moyens de la conclure, sans les Hollandais, indignes de l'honneur que le roi leur a fait tant de fois de s'adresser à

192

eux pour pacifier l'Europe. Si le roi veut ouvrir de
nouvelles conférences dans les Pays-Bas, le minis-
tère anglais vous donne l'assurance qu'il y portera
les dispositions les plus pacifiques, et, qu'en cas de
refus des Hollandais, il traitera seul avec la France. »
Gautier demanda à Torcy, dans le cas où il agréerait
ses propositions, de lui remettre, pour lord Jersey,
une simple lettre de politesse, qui devait lui servir
d'introduction près des ministres. Il reviendrait
ensuite à Versailles, et servirait d'intermédiaire ver-
bal entre les deux nations, puisque les rigueurs de
la législation anglaise empêchaient de traiter par
écrit.

Une telle proposition, après les insultes de Ger-
truydemberg, combla de joie Torcy. « Demander à
un ministre de France s'il voulait traiter, dit-il dans
ses Mémoires, c'était demander à un malade attaqué
d'une longue maladie s'il voulait guérir. » Il écrivit
sur-le-champ la lettre qui lui était demandée, la
confia au discret messager, lui déclarant toutefois
que si Louis XIV négociait volontiers avec l'Angle-
terre, il ne voulait plus traiter par l'intermédiaire
des Hollandais. Gautier porta la lettre et la réponse
à Saint-James. Les tories virent avec plaisir ce mé-
contentement de Louis XIV contre la Hollande.
Cependant, afin d'observer les conventions qui inter-
disaient aux alliés de traiter les uns sans les autres.
ils avertirent les Etats-Généraux de leurs int

Ceux-ci protestèrent par de

sincère désir de sie

pour la conclure. Débarrassés dès lors de leurs engagements, les tories se tournèrent franchement vers la France. Ils prirent le rôle d'arbitres de l'Europe, que Louis XIV avait offert aux Hollandais et qu'ils n'avaient pas su remplir, et renvoyèrent à Paris Gautier, avec le poëte Prior, sceptique, ambitieux, calculateur, homme d'un esprit fécond en ruses et en expédients, aussi vigoureux qu'étincelant, également propre à toutes choses, initié à la culture des lettres, aux questions les plus délicates du commerce et des finances et aux négociations les plus compliquées.

Le hasard avait tiré Prior de l'obscurité pour l'élever à cette haute fortune. Le comte Dorset l'avait trouvé un jour, lisant Horace sur le banc d'une taverne, dans laquelle il servait comme garçon cabaretier. Vivement intéressé par sa jeunesse, son aptitude et sa modestie, il songea à lui faire donner de l'instruction, et le fit entrer au collége de Cambridge. Après de brillantes études, Prior se fit connaître par ses poésies, et devint à la fois un des premiers poëtes et des meilleurs diplomates de l'Angleterre.

1 Mars 1711.

2 La taverne de la Rasade (Rummer-Tavern), près de Charing-Cross, tenu par l'oncle de Prior et fréquentée par les écrivains et les grands seigneurs de Londres. Suivant une autre version, une contestation s'étant élevée un jour sur une ode d'Horace entre les habitués de la taverne, le comte Dorset fit venir Prior, dont il avait apprécié la sagacité, en disant : « Voilà un jeune garçon qui est en état de nous mettre sur la bonne voie. » Et il fut si charmé de la modestie et de la force de sa réponse, qu'il le fit entrer au collége de Cambridge, dont il resta fellow (sociétaire) toute sa vie.

[ocr errors][merged small]

194

Prior était déjà connu à Paris, où il avait été secrétaire d'ambassade sous Guillaume III. Pour toute lettre de créance, il apportait un billet signé des initiales de la reine, qui l'autorisait à conférer avec Torcy1.

Prior présentait en même temps deux mémoires contenant les prétentions de l'Angleterre et de ses alliés. L'Angleterre demandait pour elle Gibraltar et Port-Mahon, le monopole de la traite des noirs en Afrique, quatre villes espagnoles en Amérique, pour y rafraîchir ses nègres avant de les vendre, l'île de Terre-Neuve, la baie et les détroits d'Hudson, sur les côtes du Canada qu'elle n'avait pas encore, l'expulsion du chevalier de Saint-Georges, la reconnaissance de la reine Anne et de la dynastie protestante, la destruction du magnifique port de Dunkerque, creusé par Vauban et qui pouvait contenir trente vaisseaux de guerre. A plusieurs reprises les communes avaient retenti d'acousations contre Dunkerque. Les négociants de Londres éclataient en invectives contre ce nid de pirates qui infestaient l'océan, et répétaient qu'il fallait insister, dès l'ouverture des négociations, sur la démolition de ses murailles et la ruine de son port. Un jour, comme un des généraux de Marlborough suivait avec lui sur la carte des Pays-Bas les opérations de l'armée anglaise, et lui conseillait d'assiéger Dunkerque, le duc mit le

1 Voici ce billet: « Le sieur Prior est pleinement instruit et autorisé à communiquer à la France nos demandes préliminaires et à nous en rapporter les réponses. A. R. (Anne, reine). » Avril 1711.

« VorigeDoorgaan »