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la restitution de Nice et de la Savoie, avec Exilles et Fénestrelles, anciens domaines des rois de France au delà des Alpes; au Portugal, divers territoires du Brésil, sur lesquels Jean V élevait des prétentions; à l'Autriche enfin, la Belgique, le Milanais, la Sardaigne et le royaume de Naples. Ces conditions étaient, comme on le voit, bien différentes de celles de Gertruydemberg. Philippe V gardait l'Espagne et les Indes, Louis XIV la Flandre, l'Alsace et la Franche-Comté. Mais les temps n'étaient plus les mêmes: l'Autriche, plus que la France, menaçait alors l'indépendance de l'Europe, et la Grande-Alliance, si compacte à Gertruydemberg, était ébranlée à Utrecht.

En entendant ces propositions, qui révélaient l'alliance intime de Louis XIV et de la reine Anne, et dont les principales étaient restées secrètes, les alliés demeurèrent muets de surprise et de colère. Le plus profond silence régna d'abord dans l'assemblée. Toutefois, parmi ces hommes habitués à dissimuler, plusieurs laissèrent éclater leur émotion et leur désappointement. Les uns haussaient les épaules avec mépris, d'autres levaient les yeux au ciel, comme pour lui demander vengeance; ceux-ci maudissaient les ministres d'Angleterre, disant qu'il fallait les retrancher de leur nation par le fer, comme des membres gangrenés; ceux-là leur reprochaient de vendre à Louis XIV la liberté de l'Europe, et, les comparant aux patriciens abâtardis de la Rome impériale, ils répétaient le mot de Tibère: «O hommes

nés pour la servitude1! » Au milieu de cette agitation générale, les ministres de France et d'Angleterre écoutaient seuls avec une dignité calme et un silence glacial.

Les imprécations, cependant, ne pouvaient durer. Il ne suffisait pas de calomnier l'Angleterre, il fallait répondre. Les alliés méditèrent un mois cette réponse; ils la donnèrent enfin sur des mémoires séparés, en alléguant les récentes traditions de Ryswick, mais en réalité pour se réserver chacun le pouvoir d'imiter la Grande-Bretagne et d'abandonner la coalition dès qu'ils le jugeraient à propos. Cette conduite, très-favorable aux puissances occidentales, séparait les intérêts des alliés, et préparait la désunion de leurs gouvernements. Ils reproduisirent ensuite dans leurs Mémoires les prétentions de Gertruydemberg, comme s'il ne s'était rien passé depuis deux ans. La Hollande réclamait de nouveau, à titre de barrière, la moitié de la Flandre française, avec Lille et Tournai; la Prusse, une partie de la Franche-Comté, également à titre de barrière; l'Allemagne revendiquait Strasbourg, Landau, l'Alsace et les Evêchés; la Savoie, Briançon et le fort Barreaux, les deux portes du Dauphiné; le Portugal, une notable portion de l'Estramadure; l'Autriche, le Milanais, la Belgique, les Deux-Siciles, la Sardaigne, l'Espagne et l'Amérique, sans aucune indemnité pour Philippe V 2.

1 « O homines ad servitutem nati! » Lamberty, t. VII, p. 23. — Continuation de Rapin Thoyras.

2 Lamberty, t. VII, p. 63.

Reboulet.

Les Français demandèrent trois semaines pour répondre. Ce terme écoulé, Polignac déclara qu'il était prêt; mais les alliés l'arrêtèrent dès les premiers mots. «Ecrivez, écrivez votre réponse, lui crièrentils de toutes parts; nous voulons traiter par écrit, et non de vive voix. » A cette étrange prétention, Polignac répliqua que ses collègues et lui-même entendaient traiter verbalement. Avides d'une rupture, les ambassadeurs d'Autriche entraînèrent alors les alliés dans une salle voisine, d'où ils rapportèrent une note portant qu'à leurs demandes écrites ils voulaient une réponse écrite, et qu'ils l'attendaient1. Les Anglais objectaient vainement avec Polignac qu'on avait traité de vive voix à Nimègue et à Ryswick; que, si l'on eût voulu traiter par écrit, il eût été très-inutile d'assembler un congrès; que, dans ce cas, la poste était suffisante. Les alliés persistant, les ministres de France et d'Angleterre déclarèrent formellement qu'ils ne traiteraient point pas écrit, et les conférences restèrent interrompues.

Au moment où le congrès d'Utrecht, si difficilement réuni, était si soudainement menacé d'une prochaine dissolution, d'épouvantables catastrophes survenues à Versailles compromettaient l'alliance même de l'Angleterre, qui jusqu'à ce jour était la seule à nous tendre la main. La mort fauchait au milieu de la famille de Louis XIV, jusque-là si nombreuse et si florissante; et, comme si elle eût suivi l'ordre de

↑ Reboulet, t. III, p. 489.

la naissance, elle frappait tour à tour l'aïeul et le père, la mère et le petit-fils, abattant en moins d'une année trois générations de rois.

Le mercredi de Pâques 1, en revenant à Meudon, le Dauphin trouva sur sa route un prêtre qui portait le viatique. Cette rencontre le frappa; la petite-vérole ravageait Paris; il la redoutait; il dit le soir qu'il avait le pressentiment de cette maladie. Le lendemain, en effet, au moment où il s'habillait pour la chasse, il s'évanouit; la fièvre survint, et la petitevérole se déclara avec violence.

A cette nouvelle, Louis XIV se rend à Meudon, où le duc et la duchesse de Bourgogne étaient déjà accourus près de leur père. Le roi renvoya la duchesse, qui n'avait pas eu la petite-vérole, et prit sa place auprès de son fils. La maladie, du reste, s'annonçait bien; mais deux jours après, le mardi 14 avril, dans la soirée, en quelques heures la tête enfla, le Dauphin perdit connaissance, et il eut le délire. Louis XIV allait souper; son médecin, Fagon, n'osa troubler son repas; mais au moment où le roi quittait la table il s'approche de lui et lui apprend, dans les termes les plus ménagés, la triste situation de son fils. Louis XIV recule comme frappé de terreur, puis il s'élance vers l'appartement du Dauphin. Quelques courtisans, qui redoutent la contagion du mal, se précipitent en avant pour l'arrê*ter; le roi les écarte avec force. La princesse de Conti,

1 8 avril 1711. Saint-Simon, t. VIII, p. 147 et suiv.

qui l'a devancé, s'adosse à la porte du malade, repousse le roi de ses mains suppliantes, et le conjure de renoncer à son dessein. Accablé par la douleur, Louis XIV n'a pas la force d'écarter une femme; il se laisse tomber sur un sopha à la porte du Dauphin. Madame de Maintenon le presse vainement de quitter Meudon; il refuse, et pendant une heure entière il reste étendu, les yeux secs, mais avec un tremblement nerveux de tout le corps, entendant les derniers soupirs de son fils 1. Sur les neuf heures enfin, Fagon ouvre la porte et annonce que c'en est fait. Madame de Maintenon entraîne le roi jusqu'à sa voiture et l'emmène à Marly. La toute-puissante maîtresse du Dauphin, mademoiselle Choin, s'était enfuie dans un grenier à l'approche de Louis XIV; les cris des domestiques lui annoncent la fatale nouvelle. La duchesse de Bourbon 2, son amie, l'arrache de son grenier et la jette dans une voiture de louage, qui se trouvait là par hasard, et qui l'emporta à Paris avec sa fortune 3.

A Versailles, cependant, on ignorait les progrès de

1 V. Lettres inédites de madame de Maintenon à madame des Ursins. Lettre du 16 avril 1711, t. II, p. 166.

2 V. ce qu'en dit Saint-Simon, t. IX, p. 330.

3 Saint-Simon, t. IX, p. 174. Louis XIV lui fit donner une pension de 12,000 livres, et elle vécut encore longtemps à Paris, conservant plusieurs de ses amis de Meudon. Elle mourut en 1744. Monseigneur, né en novembre 1860, mourut le 14 avril 1711. Voici un quatrain que l'on fit courir à cette époque :

Cy gît le seigneur de Meudon,

Qui vécut sans ambition

Et mourut sans confession,

Dépêché par la Maialenon,

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