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CHAPITRE XIII

(1712-1713.)

Continuation du congrès d'Utrecht.

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Révolution opérée par la victoire de Denain. Insulte des laquais de Ménager par ceux de Rechteren. Réparation exigée par Louis XIV. Conséquence de cette affaire. - Négociations directes entre l'Angleterre et la France. -Voyage de Bolingbroke à Paris. Concessions de la reine Anne à Louis XIV.— Découragement des alliés. -- Rapprochement du Piémont, du Portugal et de la Prusse.-Mission de Peterborough à Turin.- Hésitations et demandes exagérées du duc de Savoie. Trêves avec le Piémont, le Portugal et la Prusse. Ouvertures pacifiques de la Hollande. Réparation faite à Ménager par les Etats-Généraux. - Négociations entre la Hollande et la France. - Sérieuses difficultés touchant la Belgique et le tarif de 1699. Loyale intervention de l'Angleterre. Menaces de Strafford aux Etats-Généraux.-Signature des traités d'Utrecht. Conséquences de ces traités.

A Utrecht, cependant, depuis la journée de Denain, la physionomie du congrès était changée. Les négociations demeuraient interrompues; mais les ambassadeurs de la Grande-Alliance montraient une plus grande modération dans leur conduite et leur langage. Les ministres de Savoie fréquentaient ouvertement les nôtres, ceux de Portugal et de Prusse les imitaient avec une certaine réserve; seuls, les Hollandais, les Allemands et les Autrichiens témoignaient le même éloignement pour la France. Les

Etats-Généraux imputaient aigrement à l'Angleterre le massacre de leur infanterie à Denain et les revers de la campagne. Heinsius et Zinzendorf s'efforçaient de rabaisser auprès des divers ministres les succès de Villars. Leurs émissaires allaient partout répétant que l'armée du prince Eugène était toujours supérieure en nombre; qu'il allait envahir la Picardie, écraser les Français et pousser cette fois jusqu'à Paris. Les Hollandais, sur le territoire desquels se tenait le congrès, s'efforçaient par tous les moyens de clore les conférences. Ils allaient jusqu'à dire aux Français qu'ils pouvaient retourner dans leur pays; sur quoi l'abbé de Polignac leur fit cette réponse péremptoire: «< Non, Messieurs, nous ne sortirons pas d'ici, et nous traiterons de vous, chez vous et sans

vous. >>

Une sotte et ridicule affaire, qui survint sur ces entrefaites, servit les rancunes de la Hollande et ralentit de nouveau la reprise des négociations. Le jour où l'on apprit à Utrecht la victoire de Denain', comme le comte de Rechteren, député des Provinces-Unies, et zélé partisan de la guerre, passait en voiture devant l'hôtel de Ménager, ses laquais prétendirent que ceux de Ménager leur avaient fait des grimaces, pour insulter à la défaite de leur nation. Sur les plaintes de Rechteren, Ménager lui fit dire qu'il entendait ne laisser insulter personne par ses domestiques, et qu'il était prêt à les punir, si l'ambassa

27 juillet 1712.

deur hollandais les reconnaissait. Rechteren avoua qu'il n'avait pas distingué les coupables, mais que ses gens sauraient bien les trouver eux-mêmes, si Ménager consentait à les laisser entrer dans son hôtel. Le ministre de Louis XIV invoqua le principe du droit des gens, et, comme ses domestiques niaient l'accusation, il refusa de soumettre sa demeure à une investigation de laquais.

A quelque temps de là, Rechteren rencontra Ménager sur la belle promenade du Mail à Utrecht, où il causait avec son collègue, et lui renouvela sa demande. Ménager répondit, non sans raison, que s'il ouvrait son hôtel aux Hollandais, ceux-ci ne manqueraient pas d'y trouver des coupables, et qu'il ne pouvait livrer les accusés aux accusateurs. Rechteren alors s'emporta: «Je suis revêtu comme vous, dit-il, d'un caractère souverain, et je ne souffrirai pas une insulte. Le maître et les valets se feront justice1. » Puis, se tournant vers ses gens, il leur dit en hollandais qu'ils pouvaient vider eux-mêmes leur querelle. La promenade continuait. Tout à coup arrivent les domestiques de l'ambassadeur français, les habits en désordre, le visage couvert de sang; ils se plaignent d'avoir été assaillis à l'improviste, couverts de meurtrissures et menacés de coups de couteau. Au lieu de déplorer ces violences, Rechteren approuve la con

1 Dans les nombreux Mémoires de Rechteren et de Ménager, déposés aux Archives de La Haye, et relatifs à cette affaire, nous devons dire que Rechteren nie cette réponse, rapportée dans tous les documents fran

duite de ses gens, s'écriant qu'il les aurait chassés s'ils avaient agi différemment1. Ménager garde le silence. Sa voiture suivait à quelques pas; il salue ses collègues et s'éloigne. Il écrit ensuite à Louis XIV pour lui exposer les faits et lui demander des instructions, Le roi lui ordonna de cesser tout rapport avec les Hollandais jusqu'à ce qu'il eût obtenu la plus éclatante réparation. Les États-Généraux essayèrent d'assoupir l'affaire, en alléguant l'état d'ivresse de leur député; la reine Anne employa elle-même ses bons offices auprès de Louis XIV; le roi refusa tout accommodement, et les conférences demeurèrent encore une fois interrompues. Ce nouveau grief vint s'ajouter aux nombreuses raisons qui empêchaient déjà la reprise des conférences 2.

Sans s'inquiéter de cette complication, les ministres de France et d'Angleterre continuaient à traiter directement par l'intermédiaire de Gautier et de Prior. Les deux cabinets réglaient ensemble les droits des alliés, bien résolus, si ces derniers refusaient plus tard de les accepter, à signer seuls la paix à Utrecht. Pour accélérer les négociations, la reine envoya en France un de ses propres ministres, lord Bolingbroke, avec mission de renouveler la trêve, près d'expirer, et d'aplanir les derniers obstacles. Bolingbroke fut reçu en France avec un enthousiasme mêlé de res

'Rechteren avoue lui-même ces paroles, et il les explique en disant qu'il valait mieux laisser vider cette affaire entre valets qu'entre maitres, et surtout entre souverains.

2 Cerisier, t. IX, p. 418.

pect. Dès son arrivée, la marquise de Croissy, mère du ministre des affaires étrangères, lui offrit chez elle un logement pour toute la durée de son séjour. C'était l'été. La cour était à Fontainebleau; Torcy vint prendre chez sa mère l'illustre voyageur et le présenta lui-même au roi. Louis XIV accueillit Bolingbroke avec la grâce qu'il savait montrer quand il voulait plaire. Il lui fit préparer un magnifique appartement dans le château et lui prodigua les attentions les plus délicates et les plus flatteuses. Lorsque le ministre d'Angleterre prit congé, il lui fit remettre par M. de Torcy un diamant d'un grand prix que le Dauphin portait à son chapeau, et que le roi lui-même avait fait monter en bague 2. Paris imita la cour, et salua dans Bolingbroke, non-seulement l'envoyé d'une grande nation désormais amie, mais pour ainsi dire un bienfaiteur de l'humanité. A son entrée à l'Opéra, tous les spectateurs se levèrent comme devant le roi.

Pendant son séjour en France, Bolingbroke décida Louis XIV à céder au duc de Savoie la Sicile et la Sardaigne, qu'il avait réservées jusque-là pour son fidèle allié l'électeur de Bavière. L'Angleterre nous garantit en échange la possession de Strasbourg. Bolingbroke avait d'abord promis à l'Empire cette vieille métropole gerinanique; mais la conduite des ambassadeurs allemands à Utrecht, où ils changeaient, di

1 Août 1712.

Extraits de Dangeau, publiés par Lemontey, p. 231. 24 août

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