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nube. Après des avantages mêlés de revers, les Français occupaient encore, sur la rive allemande du Rhin, Brisach, Kehl et Philipsbourg. L'Allemagne, livrée à elle-même, eût assurément accepté les propositions de Louis XIV; mais l'Autriche, qui pesait sur ses conseils, décida la diète germanique à les rejeter. La diète, convoquée à Francfort, vota cent mille hommes et quatre millions de thalers 1 pour subvenir aux frais de la campagne, et au printemps de 1713 la guerre recommença sur le Rhin entre l'Allemagne, l'Autriche et la France. Les deux rivaux de Denain, Eugène et Villars, s'y retrouvaient face à face, avec les vétérans des premières campagnes et les débris des armées qui luttaient ensemble depuis douze ans.

Avec son audace ordinaire, Villars attaque le premier. Sans laisser à l'ennemi le temps de se reconnaître, il publie qu'il va passer le Rhin. Il se dirige en effet sur Rastadt avec une partie de sa cavalerie, et prend toutes ses mesures pour faire croire à l'ennemi que tous ses efforts doivent se porter sur ce point, puis il revient précipitamment sur ses pas, se met à la tête de son infanterie, qu'il forme en brigades, pour accélérer la marche, fait seize lieues en vingt heures et arrive à quelque distance de Landau, place importante, prise et reprise deux fois pendant la guerre, et dont il voulait s'assurer la conquête avant d'aller plus avant. Cette manœuvre hardie

1 Environ 16 millions. 31 mai 1713.

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exigeait surtout une grande célérité, et comme quelques soldats succombaient à la fatigue: «Mes amis, leur dit-il, ce n'est que par la vigilance et de telles peines que l'on attrape les ennemis. Pourvu, lui répondirent-ils, que vous soyez content et que nous les attrapions, ne vous embarrassez pas de notre peine, nous avons bon pied et bon courage'. » Le succès dépassa ses espérances. Eugène, convaincu qu'il aurait à tenir tête au maréchal, avait dégarni ses forteresses du Rhin et l'attendait de pied ferme à Rastadt, au moment même où les habitants de Spire voyaient de loin nos colonnes se développer dans la plaine. Telle était leur illusion qu'ils prenaient les Français pour des troupes amies, et croyaient qu'une armée impériale avait franchi le Rhin à Philipsbourg. Ils furent bientôt désabusés. Villars, pour récompenser ses soldats de l'activité qu'ils avaient déployée et les exciter à mieux faire encore à l'avenir, leur abandonna les caves du pays, remplies de vins généreux, et, désormais à l'abri de toute surprise, il leur laissa deux jours de repos. Ce délai passé, la discipline se rétablit aussitôt dans les rangs, et cette armée, tout à l'heure débandée et pillarde, se rapprocha de Landau dans le meilleur ordre, et se prépara à investir la place 2.

Landau avait de bonnes fortifications, réparées par Vauban, et renfermait douze mille hommes des meilleures troupes de l'Empire, commandées par le duc

1 Mémoires de Villars, p. 218.

2 25 juin 1713.

Alexandre de Wurtemberg, un des généraux les plus estimés de l'Allemagne. Le siége dura deux mois, et, dans l'intervalle, les assiégés tentèrent à plusieurs reprises d'entrer en pourparlers avec Villars, afin d'obtenir une capitulation honorable; ils consentaient à livrer la place, mais à la condition d'en sortir avec les honneurs de la guerre. Le maréchal était sourd à toute proposition, et voulait que toute la garnison restât prisonnière; et comme les parlementaires alléguaient que leur général ne consentirait jamais à subir une telle humiliation : « Reportez votre capitulation, répliqua-t-il; bien des compliments à M. le prince de Wurtemberg. Vous lui direz que je considère trop son mérite pour ne pas priver quelque temps l'Empereur de ses services et de ceux des braves gens qui défendent Landau. » Il persista, et les événements lui donnèrent bientôt raison: la ville se rendit aux conditions fixées par le vainqueur 1.

Eugène, cependant, était demeuré immobile sur la rive allemande, derrière les lignes d'Ettlingen, dans le pays de Bade. En dépit de ses prières et de ses ordres, les princes germaniques n'envoyèrent pas leurs contingents; le général des armées impériales n'avait pas assez de monde pour franchir le Rhin, et il dut sacrifier Landau.

Villars, informé de ces circonstances, résolut de les mettre à profit, de prendre l'offensive, de pénétrer sans plus tarder dans le centre de l'Allemagne,

1 Août 1713.

et de marcher droit sur Fribourg en Brisgau. Toutefois, avant de réaliser ce projet, il eut soin de fortifier Landau et d'y laisser des forces assez imposantes pour tenir les Impériaux en respect dans le cas où ils voudraient tenter une diversion de ce côté; puis il revint à Strasbourg pour s'occuper exclusivement des moyens de porter la guerre sur l'autre rive du Rhin. Il avait à lutter contre des difficultés très-sérieuses. Indépendamment de l'énorme quantité d'approvisionnements qu'il avait à réunir pour subvenir à la nourriture de deux cents bataillons et de plus de trois cents escadrons rassemblés dans un rayon très-circonscrit, il lui fallait encore des chariots pour transporter les vivres et les munitions, et des bateaux pour traverser le fleuve. Pour comble d'embarras, les Suisses alléguaient des capitulations qui les autorisaient à ne pas servir au delà du Rhin. Villars ne crut pas devoir insister, malgré les instructions contraires du ministère; il lui répugnait de sévir contre des soldats que les éventualités de la guerre pourraient appeler à lutter contre leurs compatriotes. Quant aux autres obstacles, il en triompha rapidement, grâce à l'admirable discipline qui régnait dans son armée et à la stricte économie qu'il avait su introduire dans son administration. C'est un fait remarquable que, dans un pays occupé militairement depuis plus de trois mois, il ne se trouva pas un paysan qui eût à se plaindre des calamités inséparables de la guerre, et qui fût contraint de quitter sa demeure.

Tout en veillant au rassemblement de son matériel,

à

Villars recourait sans cesse à de nouvelles feintes, dans le but d'entretenir dans l'esprit de son adversaire l'incertitude la plus complète sur le parti auquel il s'était arrêté. Il avait, en conséquence, fait faire à ses troupes une suite de marches et de contre-marches de Mayence à Huningue; il avait placé des ponts portatifs sur le Rhin en différents endroits, donnant penser par ces mouvements que tous ses efforts étaient dirigés contre les lignes d'Ettlingen et contre Rastadt, déjà menacées une première fois. Cependant quarante bataillons, commandés par le comte du Bourg, un de ses meilleurs lieutenants, étaient partis secrètement pour Fribourg, et, le 17 septembre, au sortir d'un bal qu'il avait donné à Strasbourg, et pendant lequel il avait distribué ses derniers ordres, le maréchal jetait le masque, quittait la ville et traversait le Rhin. Il lance aussitôt en avant ses cavaliers, qui rançonnent l'Empire jusqu'au Danube, remonte la rive allemande du Rhin et vient camper, après trois jours de marche, sous les murs de Fribourg avec une armée de cent trente mille hommes. Un mouvement aussi rapide, exécuté en vue des armées et des lignes autrichiennes, au milieu de l'Allemagne ravagée et désormais ouverte, présageait à Villars les résultats les plus heureux. En montrant aux populations de l'Empire l'impuissance de l'Empereur, il devait croire que le jour n'était pas éloigné où les États allemands se décideraient à abandonner la cause de l'Autriche 1.

1 « Il étoit important, en effet, dit Villars, que ces peuples, las de la

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