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de l'argent? Il est vrai que nous n'en avons pas, répondit Eugène, mais il y en a encore en Allemagne. -Pauvre Allemagne ! s'écria Villars, on ne vous demande pas votre avis pour entrer en danse, mais il faut bien que vous suiviez ensuite 1. » Au sortir des conférences, les généraux et les officiers des deux nations se réunissaient et cherchaient dans le jeu, comme sous la tente, des distractions aux longues soirées d'hiver 2.

Après de nombreux pourparlers, Louis XIV accepta la restauration pure et simple des Électeurs, à condition toutefois que Landau resterait à la France avec ses fortifications; la paix semblait donc assurée, lorsque Eugène réclama le maintien de tous les priviléges de la Catalogne, en déclarant que l'honneur de ses maîtres y était intéressé. Villars repartit avec raison que Charles VI était avant tout empereur d'Allemagne, qu'il valait mieux sacrifier la Catalogne que ruiner l'Empire, et les négociations demeurèrent encore une fois interrompues. Ajoutons que de misérables intrigues, de basses jalousies arrêtaient les grands intérêts des nations. En France, les ennemis de Villars, au nombre desquels nous regrettons d'avoir à nommer M. de Torcy, s'efforçaient de lui ravir la gloire du traité; ils s'autorisaient de la longueur des conférences pour insinuer que les généraux des deux nations imaginaient mille pré

1 Mémoires de Villars, p. 228.

2 « Néanmoins, pour ne pas perdre l'habitude de batailler, nous jouiions au piquet tous les soirs. » Ibid,

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textes pour amener une rupture et prolonger une guerre qui servait leurs intérêts en perpétuant la nécessité de leurs services 1.

En Autriche, les courtisans, détenteurs des domaines confisqués sur la Bavière, entrevoyaient avec dépit la restauration de l'Électeur, qui les obligerait à les restituer. Après soixante-treize jours de négociations, les deux généraux se quittèrent sans résultat. Eugène revint à Stuttgard, Villars à Strasbourg 2.

L'épuisement de leur pays les rapprocha de nouveau, cette fois pour finir. Louis XIV et Charles VI firent des concessions réciproques, et, après huit jours, la paix fut définitivement conclue 3. L'Empereur se contenta d'une vague promesse de Louis XIV d'intervenir en faveur des Catalans. La France reconnut la liberté du Rhin, rendit Kehl, Brisach et Fribourg sur la rive allemande, démolit Huningue sur la rive française, mais elle obtint le rétablissement des Électeurs et garda Landau. Eugène se

1 La meilleure réfutation que l'on puisse opposer à ces incriminations indignes de l'histoire se trouve dans les Mémoires de Villars, qui rapporte textuellement les conversations qu'il avait à ce sujet avec le prince Eugène : « On veut croire dans le monde entier (lui disait le prince Eugène) que nous voulons tous deux la continuation de la guerre, et je vous assure que la paix ne seroit jamais faite si d'autres que nous la négocioient c'est que nous traitons en gens d'honneur, et d'une manière bien éloignée de toutes les finesses que plusieurs estiment nécessaires dans les négociations. Pour moi, j'ai toujours pensé, et je sais que vous pensez de même, qu'il n'y a pas de meilleure finesse que de n'en pas avoir. Mémoires de Villars, p. 230.

26 février 1714. Mémoires de Villars, p. 232.

3 On commença à relire le traité le 6 mars 1714, à six heures du soir, et la lecture ne fut terminée qu'à sept heures du matin. Eugène et Villars le signèrent alors, et se séparèrent immédiatement,

sentit vaincu comme à Denain. « Quand je songe, dit-il à Villars, qu'avec l'abandon des Catalans vous avez obtenu le rétablissement total des Électeurs, la paix entière de Ryswick et Landau fortifiée, je trouve, monsieur le maréchal, que, depuis deux ans, vous m'avez assez maltraité. L'amitié qui est entre nous ne m'empêche pas de le sentir vivement, et je vous assure que je ne serai pas bien reçu à Vienne. » Et comme Villars lui faisait observer qu'il ne le serait pas mieux à Versailles : « Je vous le répète monsieur le maréchal, continua Eugène, si j'avais pu m'imaginer que l'on pût porter si loin les intérêts de votre maître, j'aurais mieux aimé avoir les bras cassés que de me charger de la négociation'. »>

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L'Autriche avait traité à Rastadt, au nom de l'Allemagne, pour éviter les lenteurs de la diète germanique2; la paix conclue, elle convoqua les députés de l'Empire à Bade, sur les frontières de la Suisse3, pour leur soumettre le traité. Eugène et Villars s'y rendirent en même temps. Eugène déclara aux plénipotentiaires allemands que Charles VI les remerciait des sacrifices qu'ils avaient faits pour sa cause, et qu'il ne leur demandait plus maintenant que la ratification des conditions arrêtées à Rastadt. La délibération ne fut pas sérieuse. Les princes allemands étaient habitués à considérer comme des ordres les volontés de l'Autriche; leurs plénipotentiaires ne furent ad

1 L'Empereur traitait au nom de l'Autriche et de l'Empire, sauf la ratification de la diète.

227 février 1714. Mémoires de Villars, p. 232.

3 10 juin 1714.

mis qu'à collationner les copies du traité, on n'écouta point leurs observations et ils subirent une paix déjà faite. Toutefois, comme les articles avaient été écrits en français à Rastadt et que, d'après les traditions de la chancellerie allemande, les actes du Saint-Empire devaient être rédigés en latin, les députés s'occupèrent à faire une traduction, et, après quelques changements de mots, la paix fut définitivement conclue entre l'Empire, l'Autriche et la France 1.

L'Autriche et l'Allemagne expiaient cruellement leur obstination à prolonger la guerre. L'Empereur perdait la Sicile; l'Allemagne, Strasbourg et Landau, vainement offerts par Louis XIV en 1712. Le traité d'Utrecht était non moins funeste à l'Autriche qu'à la Hollande. En créant deux royautés nouvelles, la Prusse et le Piémont, il enlevait à la maison de Habsbourg cette prépondérance sur l'Allemagne et sur l'Italie qu'elle exerçait depuis trois siècles. La Prusse recevait avec la Gueldre, qui la fortifiait sur le Rhin, la principauté de Neuchâtel qui l'établissait en Suisse; elle ralliait autour d'elle les États protestants du Nord et saisissait le rôle et l'épée de GustaveAdolphe. Augmenté de la Sicile et de plusieurs territoires enclavés dans les États de l'Autriche, le Piémont menaçait cette puissance dans ses possessions lombardes et dans la suzeraineté de la Péninsule. En Allemagne, l'Autriche allait désormais rencontrer à

1 7 septembre 1714. Le traité de paix fut lu le 10, dans la grande salle de Bade, toutes les portes ouvertes, et devant tous les ambassadeurs réunis. Villars et Eugène se séparèrent le lendemain 11.

chaque pas les armées et les diplomates de la Russie, et en Italie les influences du Piémont.

Après la signature de la paix, Villars quitta Bade et revint à Paris. En récompense de ce traité, plus glorieux qu'une victoire, Louis XIV lui donna l'ancien logement du Dauphin à Versailles, avec les grandes entrées, c'est-à-dire la faveur de voir le roi quand il le voudrait 1. Philippe V lui envoya la Toison d'or, et l'Académie l'admit dans son sein. Louis XIV trouva pour le retour de Villars des paroles qui rappelaient le poétique souvenir des Valois : « Voilà donc votre rameau d'olivier, monsieur le maréchal, lui dit-il, il couronne tous vos lauriers 2!» Lauriers teints de sang, véritables cyprès! Les frontières de France, la Belgique, l'Allemagne, la Hongrie, l'Italie, l'Espagne restaient dévastées, toutes les armées de l'Europe renouvelées, un million d'hommes étaient morts, la civilisation avait été arrêtée quatorze

1 Outre les grandes entrées, le roi lui accorda la survivance du gouvernement de Provence pour son fils. Villars cependant n'estimait pas que ces récompenses fussent proportionnées aux services qu'il avait rendus. Jaloux, non sans cause, de se voir primé dans le maréchalat par le duc de Villeroy, il sollicita à plusieurs reprises l'épée de connétable et l'entrée au Conseil. Louis XIV lui refusa obstinément ces faveurs, comme autrefois à Turenne, tout en lui donnant des indices irrécusables du chagrin qu'il éprouvait de ne pouvoir le satisfaire. « Il ne me restera donc plus, disait Villars, que d'aller chercher une partie de piquet chez les fainéants de la cour, puisque Votre Majesté ne daigne pas me donner entrée dans ses Conseils.» Voy. Mémoires de Villars, p. 235. 2 Un jour, à la chasse, Louis XIV, suivant sa coutume, avait manqué plusieurs pièces de gibier, Villars survient et en abat quatre successivement sous les yeux du roi. « Partout où vous êtes nos armes sont heureuses,» lui dit le roi avec le plus gracieux à-propos, en se tournant vers lui.

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