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des premiers âges, il prêchait aux deux partis la tolérance', au risque de se rendre suspect à tous les deux. C'était, si l'on peut ainsi parler, le L'Hospital de l'Eglise.

Suivant l'esprit de charité qui lui était propre, l'archevêque essaya de sauver Port-Royal des Champs. Il y envoya d'abord un de ses prêtres pour amener les sœurs à recevoir la bulle. Les religieuses tombèrent à ses genoux, le supplièrent de les défendre près du cardinal; mais, le prenant à témoin de leurs scrupules: « Devous-nous, lui disaient-elles, livrer nos âmes? > M. de Noailles alla lui-même les visiter, et il épuisa sa douce éloquence à les convaincre. Il reconnut du moins l'injustice du procès qui leur était intenté. Quelques jours auparavant, l'abbesse de Paris avait donné un bal dans son parloir: « Il n'est pas juste, avoua l'archevêque, que Port-Royal de Paris donne un bal et que Port-Royal des Champs paye les violons.» Cependant le procès suivit son cours.

Sentant que leur perte était certaine à Paris, les religieuses déclinèrent la compétence de l'officialité. L'affaire se plaida au milieu d'une assistance nombreuse et passionnée. On retenait et on s'arrachait les places comme pour une fête; une foule d'élite se pressait trois heures à l'avance aux portes du tribu

1 Le cardinal de Noailles avait déjà montré la douceur de son caractère dans les affaires des protestants, pour lesquels il avait demandé la tolérance la plus absolue. Voy. Henri Martin, Histoire de France (édition 1848), t. XVI, p. 456. Fléchier avait tenu, dans les mêmes circonstauces, un langage tout différent.

2 Clémencet, t. IX.

nal. Elle écouta dans un religieux silence et avec une visible approbation l'avocat de Port-Royal des Champs. Elle interrompit, au contraire, celui des religieuses de Paris par des murmures, des exclamations, des bruits perfides et concertés. Ces bruits devinrent si violents que l'avocat de Port-Royal de Paris fut plusieurs fois obligé de s'interrompre pour réclamer le silence. Les plaidoiries remplirent huit audiences, après lesquelles les juges délibérèrent huit jours entiers. Ils proclamèrent enfin leur compétence, et condamnèrent les religieuses des Champs'. Entraîné par son clergé, le cardinal de Noailles rendit une ordonnance qui leur interdisait les sacrements. Le ministère alla plus loin encore: il fit conduire à la Bastille l'avocat Lenoir de Saint-Claude, l'agent et le conseil des sœurs des Champs, leur enlevant ainsi leur plus fidèle et leur plus précieux défenseur; et, comme s'il n'y avait plus eu pour elles de justice, on refusa de recevoir la plainte d'un de leurs domestiques, qui avait été frappé et meurtri par les gens de Port-Royal de Paris 2.

Les religieuses des Champs tentèrent un dernier effort, et, dans la naïveté de leurs âmes, elles implorèrent cette cour de Rome, que leur résistance avait si profondément blessée. Le pape répondit par une bulle terrible, où il prononçait la suppression de leur monastère, adjugeait ses biens à la maison de Paris, et

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1 Juillet 1707. Clémencet, t. IX, p. 200. Histoire abrégée de PortRoyal, p. 39 et 40.

2 Novembre 1707. Histoire abrégée de Port-Royal, p. 43.

III.

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ordonnait la dispersion des sœurs dans d'autres abbayes, quand l'archevêque le jugerait à propos, afin, disait le pontife avec colère, que ce nid d'erreurs fut arraché jusqu'en ses fondements1. M. de Noailles tenait ainsi dans ses mains l'arrêt de Port-Royal; mais il hésita à s'en servir. Cette proscription de femmes accablées par l'âge et les maladies lui semblait une violence lâche et inutile. Le temps vidait peu à peu le monastère. Il voulait laisser faire la mort.

Mais le confesseur du roi, le P. Letellier, qui avait, comme tous les jésuites, la haine de Port-Royal, tenait à Versailles un autre langage. Vieux 2, austère, désintéressé, mais robuste, haineux, insatiable de domination et de vengeance, il cachait sous une feinte humilité l'orgueil qui gonflait son cœur. Le jour de sa présentation à Versailles, Louis XIV lui ayant demandé s'il était parent du chancelier Le Tellier, père de Louvois : « Sire, avait répondu le confesseur en s'inclinant jusqu'à terre, et avec une voix doucereuse qui fit frémir les spectateurs, je ne suis que le fils d'un pauvre paysan qui n'a ni parents ni amis 3.»> Son visage et ses manières contrastaient avec la belle

1 « Ut nidus, in quo error prava suscepit incrementa, penitus evellatur ac eradicetur. » Septembre 1708. Clémencet, t. IX, p. 324. Histoire abrégée de Port-Royal, p. 45.

2 Né en 1643, il avait, en 1709, soixante-sept ans, presque l'âge de Louis XIV, né en 1638.

3 Saint-Simon, t. VII, p. 27. Il avait remplacé le P. Lachaise, confesseur depuis 1675, homme d'une liberté de parole et d'une hardiesse de conduite rares chez un jésuite, qui lisait le P. Quesnel, et qui disait que les dévots n'étaient bons à rien. Voy. à ce sujet une curieuse lettre de madame de Maintenon adressée au cardinal de Noailles, édition Auger, t. II, p. 305.

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figure et les façons patriciennes du cardinal. Il avait la démarche, le regard, le visage d'un inquisiteur.

Il eût fait peur au coin d'un bois,» dit SaintSimon 2. Jaloux de toute influence rivale, il enviait à l'archevêque ses relations et ses alliances avec madame de Maintenon. Il lui reprochait sa raideur à l'égard de son ordre, une fière réponse qu'il avait faite autrefois à Bourdaloue : « Je veux bien être l'ami des jésuites, mais je ne serai jamais leur valet *. » Letellier nourrissait enfin contre le cardinal une rancune personnelle. A la fin du XVIII° siècle, on avait reproché aux jésuites de laisser aux Chinois le culte païen de leurs ancêtres, pour faciliter leur conversion. En réponse à ces attaques, Letellier avait publié un livre où il s'efforçait d'établir que le culte des ancêtres était civil et nullement religieux; mais, sous le pontificat de M. de Noailles, la Sorbonne avait condamné à la fois, et les missionnaires de la Chine, et le livre de leur défenseur 6.

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Letellier imputait au cardinal cette double condamnation, qui l'atteignait comme jésuite et comme

1 Voy. à la Bibliothèque impériale les nombreux portraits du cardinal de Noailles. Deux surtout, qui le représentent dans sa jeunesse, lui donnent la plus charmante et la plus gracieuse figure.

2 Saint-Simon en a tracé un effroyable portrait, t. VII, p. 27. Nous avons trouvé de lui aux estampes de la Bibliothèque plusieurs portraits. Il a le visage long, fin, doucereux, le nez pointu; quelques traits du second Pitt.

3 On sait que le duc de Noailles, neveu de l'archevêque, avait épousé une nièce de madame de Maintenon.

Histoire du livre des réflexions morales, t. Ier, p. 14.

15 Défense des nouveaux chrétiens.

6 Histoire du livre des Réflexions morales.

auteur, et il saisit avec empressement l'occasion qui lui était offerte de se venger. Il représenta à Louis XIV qu'il fallait presser M. de Noailles d'exécuter la bulle du pape; qu'il prolongeait à dessein l'existence de Port-Royal pour le sauver; et il obligea le cardinal à fermer l'abbaye ou à se perdre'.

M. de Noailles eut la faiblesse de céder. Il publia le fatal décret qui supprimait Port-Royal des Champs et le réunissait à Port-Royal de Paris 2. Aussitôt Louis XIV lança deux arrêts du conseil qui enjoignaient aux religieuses des Champs de remettre à l'abbesse de Paris les titres et les papiers de leur maison, puis ordonnait au lieutenant de police d'Argenson, magistrat de mœurs suspectes, mais intelligent, adroit et résolu, d'entrer de gré ou de force à Port-Royal, et d'envoyer chacune des religieuses dans un couvent orthodoxe, hors du diocèse de Paris *.

D'Argenson partit de Paris le 28 octobre 1709, jour de Saint-Simon et Saint-Jude, avec des voitures et trois cents archers et cavaliers de la maréchaussée, comme pour saisir des voleurs. L'enlèvement devait avoir lieu le jour même; mais la pluie tombant par torrents, d'Argenson le remit au lendemain, et il alla coucher dans les environs pour cacher aux sœurs son arrivée. Ses hommes passèrent la nuit sur la colline

1 Saint-Simon, t. VII, p. 420, et t. XIII, p. 154.

22 juillet 1709. Clémencet, t. IX, p. 414.

3 Marc-René de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson,« cet inquisiteur suprême, dit Saint-Simon, et qui avoit tant enchéri en ce genre sur La Reynie. » T. V, p. 309.

Arrêts du 8 et du 26 octobre 1709.

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