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son confesseur, Louis XIV écrivit au pape en le priant de rédiger la bulle 1.

A Rome régnait le pape Clément XI 2, pontife éclairé, doux, ami de la France, mais craintif, faible jusqu'aux larmes et faux comme les faibles. Malgré les sollicitations de Letellier, il résista longtemps. Il savait, par l'exemple de ses prédécesseurs, que les bulles, loin de détruire le jansénisme, lui avaient donné une force nouvelle. Lui-même avait lancé contre les Réflexions un premier anathème resté sans effet. I comprenait que Letellier demandait une arme pour frapper M. de Noailles et tous les ennemis des jésuites, un inépuisable pot au noir, pour parler comme Saint-Simon, pour barbouiller qui l'on voudroit 3. La France, soulevée déjà par la destruction de Port-Royal, verrait avec colère le pape servir les vengeances d'un confesseur exécré. Les cardinaux craignaient comme le pontife : « Prenez garde, lui répétaient les plus âgés, on vous demande une torche qui peut embraser tout un royaume.» Mais Letellier affirmait impudemment que la bulle passerait en France sans obstacle. Clément XI déféra le livre à une commission.

Cette commission, destinée à juger un livre français, se composa de neuf prélats, dont huit étaient Italiens et dont trois seulement entendaient l'origi

1 Décembre 1711. Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 30.

2 Francois Albani, élu pape le 23 décembre 1700.

3 Saint-Simon, t. IX et XIII, p. 157.

nal1. Ces prélats, tous dévoués aux jésuites, étaient présidés par le cardinal Fabroni, violent et orgueilleux ultramontain, qui gouvernait le pape et ne parlait qu'avec mépris du clergé de France 2. Malgré ces précautions, les commissaires montrèrent des scrupules. L'un d'eux s'écria, à propos d'une phrase de Quesnel: <«<Mais c'est la propre doctrine de saint Thomas!» Ils répétaient qu'ils allaient condamner les divines paroles de l'Ecriture; mais Louis XIV, l'ambassadeur de France et Letellier insistèrent. Le confesseur écrivait qu'il avait trouvé dans Quesnel plus de cent propositions hérétiques. Il prodiguait l'argent et les promesses; il pressait tour à tour le pape et Fabroni, les jésuites et les commissaires, et, après dix-huit mois de retards, Clément XI donna la célèbre constitution Unigenitus, malgré les cardinaux et malgré lui-même 5. Contrairement à l'usage, il publia la bulle sans la communiquer aux cardinaux,

1 Ils firent plusieurs contre-sens. Voy. à ce sujet le curieux ouvrage intitulé: La Vérité de l'histoire ecclésiastique, par M. S. (Silvy, le dernier propriétaire de Port-Royal), ancien magistrat. 1814, in-8, p. 54.

2 Mémoires secrets sur la constitution UNIGENITUS, de Bourgoing de Villefore, t. Ier, p. 324.

3 « Questo è la medesima dottrina di san Tomaso. » Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 49.-Comme on objectait à Letellier qu'il allait faire condamner saint Paul, saint Augustin et saint Thomas: « Saint Paul et saint Augustin, répondit-il, étaient des têtes chaudes que l'on mettrait aujourd'hui à la Bastille. A l'égard de saint Thomas, vous pouvez penser quel cas je fais d'un jacobin, quand je m'embarrasse peu d'un apôtre. » Mémoires de Duclos, p. 474.

* Suivant Lemontey (t. II, p. 28-29), la bulle coûta des sommes énormes: l'avocat Barbier dit 4 millions,

5 Septembre 1713,

qui furent réduits à la détester en silence'. Fabroni fit enfermer les imprimeurs, tirer les épreuves, et, suivi du P. d'Aubenton, assistant général des jésuites à Rome, et son plus fidèle auxiliaire, il se rendit près du pape et lui lut une des épreuves. Clément XI voulait la garder pour y faire des corrections, Fabroni s'y refusa avec emportement, traita le pape « de faible et de petit garçon; » puis, le laissant éperdu, courut faire afficher la bulle dans tous les lieux publics 2, et l'envoya sur-le-champ en France par un courrier secret. Dans cette bulle nouvelle, le pape condamnait cent et une propositions de Quesnel 3, en le qualifiant d'Antechrist, et, pour éviter toute équivoque, citait textuellement les propositions condamnées.

A son arrivée en France, la bulle essuya d'abord une bordée de sarcasmes et de chansons". Elle rencontra ensuite une opposition sérieuse et universelle. Jansénistes et gallicans, libertins et libres penseurs, «tout ce qui n'étoit pas esclave des jésuites, c'est-à-dire tous les honnêtes gens de tous les états", »> maudirent cette machination nouvelle de Letellier, et accusèrent aigrement la cour de Rome d'avoir vendu ses anathèmes à l'orgueil du confesseur. Les prélats les plus réservés de la cour, le cardinal de

1 Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 51.

2 Saint-Simon, t. XI, p. 77-79.

3 Voy., sur ce nombre de cent et un, le piquant aveu fait par le pape lui-même à M. Amelot, ambassadeur de France à Rome. Saint-Simon, t. XIII, p. 294.

Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 77. "Saint-Simon.

Rohan1 et l'évêque de Meaux Bissy' déclarèrent qu'une telle constitution ne pouvait être reçue. Un nombre prodigieux de curés et de supérieurs refusèrent de la publier dans leurs églises. Du fond de la Hollande, le vieux Quesnel écrivit pour défendre son œuvre et sa personne. Le protestant Basnage luimême prit la parole en faveur des jansénistes, et appela à la liberté les évêques de France. De toutes les provinces arrivaient des protestations 3. En quelques mois, vingt-six ouvrages parurent contre la bulle.

Sans nul souci de ces clameurs, Letellier travailla à faire accepter sa constitution par les corps qui recevaient en France les actes pontificaux: l'assemblée du clergé, les Universités et les Parlements. Pour obtenir cette réception, promise à Rome et si ardemment désirée, il ne recula devant aucun

1 Armand Gaston de Rohan, né en juin 1674, cardinal en 1712, mort en 1749. Saint-Simon, dans le brillant portrait qu'il a tracé de ce personnage, l'appelle le « fils de l'amour..., l'heureux fils de la belle Soubise. » V. t, XI, p. 12-15.

2 Henry de Thiard, cardinal de Bissy, né en 1657, occupa le siége de Meaux après Bossuet, et mourut en 1737. « Le cardinal de Rissy est laid, dit Madame dans sa correspondance; il a la mine d'un paysan bien lourd; il est fier, méchant et faux, plus dissimulé qu'on ne sauroit l'imaginer, flatteur jusqu'à la fadeur... Il ressemble au Tartufe comme deux gouttes d'eau, il en a toutes les manières. » Voy. t. Jer, p. 214.- « Bissy, dont l'âme étoit forcenée d'ambition, sous le pharisaïque extérieur d'un plat séminariste de Saint-Sulpice, dit Saint-Simon, t. XI, p. 2. — Suivant le Journal de l'abbé Ledieu, que vient de publier récemment la librairie Didier, Bossuet disait de Bissy, alors évêque de Toul: « Oui, oui, M. de Toul est un fripon, un petit fripon. »

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3 Ces protestations, recueillies sous le titre de Cri de la foi, formèrent trois gros volumes in-12 de 600 pages chacun. (Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 80 et 211-224.)

moyen 1. Après avoir choisi à son gré les évêques qui devaient composer l'assemblée 2, il gagna les principaux: Bissy par la perspective du cardinalat, Rohan par celle de la grande aumônerie, Polignac, criblé de dettes, à prix d'argent. Il conquit les prélats de cour, avides d'ajouter à leurs évêchés de riches abbayes, en montrant la feuille des bénéfices. Il épouvanta les timides en les menaçant de l'autorité du pape et de la vengeance du roi, et, pour joindre le fait à la menace, il fit conduire à la Bastille plusieurs curés qui avaient parlé contre la bulle 3.

En dépit de ces menées, et malgré la servitude de l'épiscopat, la constitution ne passa point sans obstacle à l'assemblée du clergé. Le cardinal de Noailles était naturellement hostile à un acte dirigé contre lui-même; il refusa d'accepter la bulle, en disant qu'il n'était pas assez éclairé sur la question. Sept évêques se rangèrent de son côté; quarante acceptèrent. Au sortir de la séance, le cardinal de Rohan, voulant faire excuser son vote, s'approcha

1 Pour éclairer les sceptiques sur le rôle de Letellier dans cette affaire, citons plusieurs lettres du confesseur, extraites des archives du Vatican, et tirées du livre de M. Silvy, p. 31. Le 27 mai 1713, Letellier écrit au P. d'Aubenton à Rome : « Nous suons sang et eau, monseigneur le cardinal de Rohan, M. l'évêque de Meaux (Bissy) et moi, pour justifier la censure de plusieurs propositions, et nous espérons réussir malgré N. (Noailles), qui a un parti parmi les évêques. » Le 28 octobre 1713: « Il semble que vous doutiez de mon zèle pour la bulle. Il faudroit un volume pour marquer tout ce que j'ai fait pour la faire recevoir comme il convient. Vous pouvez compter, ajoute-t-il, que c'est N. N. (madame de Maintenon) qui a mis tous les évêques en faveur de la bulle, en procurant à M. l'évêque de Meaux la confiance du roi. »

2 Octobre 1713. Saint-Simon, t. XI, p. 85.

3 Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 77.

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