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de M. de Noailles et lui expliqua qu'il ne s'était déterminé à recevoir la bulle qu'après avoir examiné les théologiens les plus rigoureux. « Oh bien! moi, répartit ironiquement l'archevêque, c'est bien différent, je ne la repousse qu'après avoir consulté les casuistes les plus relâchés 1. »

L'opinion accusa ouvertement les acceptants d'avoir moins écouté leur conscience qu'envisagé leur fortune. Un scandale, arrivé sur ces entrefaites, ne justifia que trop ces accusations, par les révélations inattendues d'un des complices de Letellier. Parmi les acceptants se trouvait l'évêque de Soissons, Brulart de Sillery, prélat d'une haute naissance 2, érudit, spirituel, membre de deux académies, mais insupportable par son pédantisme et sa hauteur, et dévoré par l'ambition la plus profonde. Il aspirait depuis longtemps à l'archevêché de Reims, et pour l'obtenir il s'était livré corps et âme aux jésuites. Dans l'assemblée du clergé il s'était montré l'un des plus chauds partisans de la bulle; mais ses habiles maîtres, qui le voyaient si désireux de les servir, le compromirent sans l'acheter. Soit chagrin, soit fatigue, Sillery tomba malade. Il était jeune encore, d'une santé robuste; la maladie cependant devint grave, et au bout de quelques jours, égaré par le délire, le malheureux évêque se mit à déplorer son ambition et à crier qu'il avait adopté la bulle contre

1 Janvier 1714. Histoire du livre des Réflexions morales, t. 1er, p. 135. 2 Il était petit-fils du secrétaire d'Etat Sillery et La Rochefoucauld par sa mère.

sa conscience. Ses collègues essayèrent de le calmer; ils durent le faire administrer à huis clos, dans la crainte d'une rétractation publique. Il mourut en proie à ce désespoir furieux, au milieu de hurlements épouvantables. Sa famille s'efforça d'assoupir le bruit d'une telle fin, en écartant de son lit les domestiques et les médecins. Le petit nombre de personnes qui l'avait entendu avait été trop frappé de ses remords pour se taire. Les détails de cet événement se répandirent à Versailles et à Paris, malgré les dénégations obstinées des intéressés, et le roi, auquel il importait tant de connaître les circonstances de cette mort, fut le seul à les ignorer 1.

Dans le Parlement de Paris, tout rempli de jansénistes, la lutte n'était plus possible, Louis XIV ayant bâillonné les conseillers par la suppression des remontrances; mais, pour être moins déclarée, l'opposition à la bulle n'en fut pas moins certaine. Le jour du vote, plus de cent membres refusèrent de s'asseoir et restèrent collés à la porte, comme de simples spectateurs. L'avocat général Joly de Fleury, qui portait la parole, conclut en quelques mots à l'acceptation, mais avec cette clause restrictive: «< Sous la réserve expresse des lois et maximes du royaume. » C'était une protestation contre la force que le Parlement devait plus tard revendiquer. Suivant quelques contemporains, les magistrats rendirent même un arrêt secret contre la constitution et l'inscrivirent

1 Saint-Simon, t. XI, p. 334-337. — Mémoires de Duclos, p. 477. Novembre 1714.

sur leurs registres. Le Parlement acceptait la bulle avec la tristesse, mais aussi la haine de l'impuissance1. Contrairement à l'usage, l'arrêt d'enregistrement ne fut point vendu dans les rues. On craignit un soulèvement du peuple de Paris, si profondément attaché à l'archevêque 2.

A l'Université de Paris, dans la Sorbonne, la résistance fut déclarée. Ici les théologiens rencontraient des théologiens, et la lutte eut le caractère passionné des luttes intestines. Le syndic ou président de la Faculté de théologie, Lerouge, ambitieux et brutal, ne contint les docteurs que par le nom même de Louis XIV. A la moindre objection, il criait au greffier: «Ecrivez le nom de Monsieur, qui résiste au roi 3!» Faisant du refus de la bulle un crime de lèsemajesté, il appelait ennemi du roi ceux qui résistaient, et les menaçait de destitution. Il annonçait que la cour ferait emprisonner tous les opposants, et répétait sans cesse ces impudentes et ridicules paroles, adressées à une assemblée délibérante: « Nous ne sommes pas ici pour délibérer, mais pour obéir 4 ! »

En dépit de ces violences, après quatre séances tumultueuses, sur deux cent cinquante docteurs, cent vingt-huit seulement votèrent à la dernière assemblée. Après avoir recueilli les suffrages, Lerouge leva

1 Février 1714. Picot, Mémoires ecclésiastiques, t. Ier, p. 90. 2 Journal de l'abbé Dorsanne, édition in-4, t. ler, p. 103-106. 3 « Scribe, adversatur regi! » On sait que les délibérations avaient lieu en latin.

Obtemperandum regi, non deliberandum. »

brusquement la séance et déclara la session finie 1.

Letellier récompensa généreusement les transfuges. Il fit donner à Lerouge une pension de quinze cents livres, à Rohan la grande aumônerie, avec l'abbaye de Saint-Waast, à Polignac la magnifique abbaye d'Anchin, à Bissy le chapeau de cardinal, avec l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et plusieurs bénéfices qui valaient cent cinquante mille livres de rente. Il frappait en même temps ses adversaires. Les évêques jansénistes furent renvoyés dans leurs diocèses, avec défense d'en sortir. On chassa de la Sorbonne neuf docteurs, dont quatre furent exilés dans les provinces, sans égard pour leur âge ou leurs services. A Reims, dans la Faculté de théologie, six ecclésiastiques repoussaient la bulle; l'archevêque les enferma dans le séminaire, avec interdiction des sacrements et défense de communiquer avec personne. Mais l'événement démentait singulièrement les prévisions du confesseur. Les évêques et les docteurs ne cédaient qu'à l'interdiction et à l'exil. Cette bulle, qui devait pacifier l'Eglise, la divisait.

Le roi fut douloureusement surpris de ces résistances 4. Il se montra particulièrement irrité contre

1 10 mars 1714. Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 147.

2 Ibid., p. 358.

3 Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 165.

4 Louis XIV s'entretenait sans cesse de cette affaire : « Si l'on pouvait, s'écria-t-il un jour, ramener les huit évêques à l'opinion des quarante, on éviterait le schisme; mais cela ne sera pas facile. La belle, maligne et spirituelle duchesse de Bourbon, fille de madame de Montespan et de Louis XIV, était présente: « Ah! sire, répondit-elle en

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III.

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l'archevêque de Paris, que Letellier accusait d'exciter à la révolte. Ce dernier pressait Louis XIV de déposer M. de Noailles de son siége, suivant la rigueur des lois ecclésiastiques. Trop scrupuleux pour décider lui-même, le roi s'arrêta à l'idée d'un concile national qui jugerait l'archevêque; et comme le pape, depuis la fameuse assemblée de 1682, redoutait les conciles de France, disant « qu'il ne voulait point se livrer à une centaine d'ours qui le dévoreraient tout vivant, » Louis XIV envoya à Rome M. Amelot, négociateur adroit et conciliant, pour décider Clément XI. La déposition du cardinal parut certaine; tous les courtisans s'enfuirent de l'archevêché; madame de Maintenon elle-même renia son ami2.

En attendant la réponse du pontife, le gouvernement sévit. Les dénonciations arrivaient de toutes les provinces à Letellier, comme au grand inquisiteur du royaume. Une terreur véritable, organisée par Letellier et les trois jésuites Doucin, Lallemand et Tournemine, pesa sur les consciences et les familles. On dénonçait ses rivaux et ses ennemis, ceux qui

riant, que ne dites-vous plutôt aux quarante de se réunir à l'avis des huit, ils ne vous refuseraient certainement pas. » Mémoires de Duclos, p. 477.

1 Mémoires secrets sur la constitution Unigenitus, t. Ier, p. 300. « Un concile national, dit Saint-Simon, était la bête de Rome. » T. XI, p. 332.

2 a Plus d'espérance d'accommodement; l'affaire de M. le cardinal de Noailles n'en souffre pas. On ira à Rome, pour concerter avec le pape les moyens de réduire ce prélat à la soumission. Voilà encore un ami qu'il faut sacrifier. » 26 septembre 1714. Lettres de madame de Maintenon, édition Auger, t. II, p. 263.

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