Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

CHAPITRE XVII.

(1711-1715.)

Dernière persécution des protestants.

Odieux caractère de cette per

sécution. Accusation et supplice du chef camisard Saint-Julien.

Edits de mai 1711, de mars 1712,

de septembre 1713, — de mars 1715, contre les huguenots. Leur résignation. Assemblées dans le désert. Dispersion de ces assemblées. Arrestations. Diverses condamnations des femmes et des hommes. - Prisons réservées aux protestantes. Le vieux château de Carcassonne. tour de Constance, à Aigues-Mortes. Galères protestantes. Ri

[ocr errors]

La

Secret et épou

Vaines réclaSon appel à l'opinion

gueurs exercées contre les galériens huguenots. vantable règlement de Louis XIV contre les galériens protestants. Visite du prince de Beauvau à la tour de Constance. mations de Basnage au congrès d'Utrecht. publique. Les plaintes des protestants, cruellement opprimés dans le royaume de France. Incarcération de Fréret à Paris. Nombreux et violents écrits contre Louis XIV et Letellier. - Impopularité de Louis XIV à sa mort.

[blocks in formation]

Il semble que nous ayons achevé le récit des persécutions religieuses, et que ce long martyrologe soit épuisé. Il n'en est rien pourtant, et après tant de violences nous avons d'autres violences à raconter. Letellier, qui frappe les jansénistes, frappe aussi les protestants, et ce sombre tableau demande encore quelques traits. Cette dernière persécution fut la plus odieuse. On s'explique celle des jansénistes: ils luttaient, ils disputaient aux jésuites leurs écoles et leurs chaires, leurs confessionnaux et le gouverne

1 Ce chapitre a été lu par l'auteur à l'Académie des sciences morales et politiques, dans la séance du 10 octobre 1857.

ment de l'Eglise. Le cardinal de Noailles, leur appui secret, avait cruellement offensé le confesseur en faisant condamner son livre; ici rien de pareil. Les protestants vivent loin de la cour, au milieu de leurs familles, de leurs manufactures ou de leurs terres; ils ensemencent leurs champs, relèvent leurs maisons, s'appliquant à réparer les maux d'une guerre qui a ravagé quatre provinces et dévoré cent mille Français 1, et l'on cherche en vain les motifs de cette seconde persécution, moins cruelle, mais plus odieuse que celle qui accompagne la révocation de l'édit de Nantes. N'en trouvant pas, on reste épouvanté du fanatisme de cet homme, « capable, dit un ecclésiastique, de tout incendier pour ce qu'il appelait la cause de Dieu 2.

La persécution s'annonça par un supplice, qui suivit la violation la plus scandaleuse et la plus manifeste du droit des gens. Après la déroute et l'extermination de ses compagnons d'armes, un des derniers Camisards, nommé Saint-Julien, s'était réfugié à Genève. C'était l'un de ces hommes intrépides et infatigables, qui, exposant chaque jour leur vie, passaient au milieu des sentinelles royales, du Languedoc en Suisse et de Suisse en Languedoc, pour porter aux insurgés des lettres et des fonds venus de la Hollande ou de l'Angleterre. Confiant dans la neutra

1 L'abbé Millot, l'éditeur des Mémoires du duc de Noailles.

2 V. Courte histoire des troubles des Cévennes, t. ler, p. 89.-Voltaire dit que, suivant les historiens contemporains des deux partis, cent mille hommes périrent et dix mille furent exécutés. (OEuvres complètes, t. XXVII, p. 492, édition Beuchot.)

1

lité du territoire helvétique, Saint-Julien se proposait de passer de Genève dans les Pays-Bas. Mais l'implacable ennemi des protestants, l'intendant du Languedoc, Bâville, qui n'avait pu le saisir en France et suivait depuis longtemps sa trace à l'étranger, résolut de le surprendre au moment où il quitterait Genève et de l'envoyer à la mort. Averti par les nombreux agents qu'il entretenait en Suisse que Saint-Julien devait traverser le lac Léman à son départ, Bâville lui dressa un piége pour l'arrêter au passage. Par ses ordres, un lieutenant d'infanterie, nommé d'Arquier, prépara à Versoix, ville française alors 1, située près de Genève, et sur les bords même du lac, un bateau et une escorte, et se tint prêt à saisir le Camisard. Le jour venu, comme Saint-Julien traversait le lac, dont les eaux appartenaient au canton de Berne, le lieutenant d'Arquier sort de Versoix sur le bateau préparé d'avance, s'élance à la poursuite du fugitif, le saisit au milieu du lac, le ramène sur les terres de France et l'envoie chargé de chaînes à Bâville. Cette capture combla de joie l'intendant, et, comme s'il eût craint de laisser évader sa victime, il fit instruire sur-le-champ son procès. Le malheureux Saint-Julien fut conduit à Montpellier, jugé, condamné et rompu vif*.

Quelques semaines après son supplice parut l'édit

1 Cette ville appartient à la Suisse depuis les traités de 1815. Elle fut agrandie par le duc de Choiseul sous Louis XV. On sait que M. de Choiseul voulait faire de Versoix la rivale victorieuse de Genève.

2 Avril 1711. Brueys, Histoire du fanatisme de notre temps, t. IV. Court, Hist. des troubles des Cévennes, t. III, p. 393-94.

du 17 mai 1711, avec lequel commençait la persécution générale des réformés du royaume. Cet édit leur défendait d'aliéner leurs meubles et leurs immeubles pendant trois ans, sous peine de confiscation. Le roi voulait les empêcher de réaliser leur fortune et de s'enfuir, comme on prévoyait qu'ils le voudraient faire. Un nouvel édit du 8 mars 1712 enjoignait aux médecins d'avertir les protestants de se confesser le second jour de toute maladie qui pouvait avoir trait à la mort, et si le troisième le malade ne présentait pas un billet de confession, de sortir de sa demeure et de le laisser sans secours. Si, par devoir ou par sympathie, le médecin donnait de nouveaux soins au malheureux voué à la mort, il était passible, la première fois, d'une amende de trois cents livres; la seconde fois, d'une interdiction de trois mois; la troisième, il était privé de sa profession 1.

Un nouvel édit, du 8 mars 1712, dépassa les deux autres. Il commençait par un mensonge: l'édit, partant de ce principe qu'il n'y avait plus de huguenots en France, «< attendu que le séjour que ceux de la religion prétendue réformée ont fait dans le royaume était une preuve plus que suffisante qu'ils avaient embrassé la religion catholique, sans quoi ils n'y auraient été ni soufferts, ni tolérés 2, » déclarait que tous ceux qui, à partir de ce jour, mourraient sans sacrements, seraient considérés comme relaps, c'està-dire que procès serait intenté à leur mémoire, que

1 Isambert, Anc. lois françaises, t. XX, p. 573.

2 Id., Ibid., t. XX, p. 640.

leur bien serait confisqué, leur corps traîné sur la claie et privé de sépulture, comme celui des criminels de lèse-majesté. Cet édit entraîna des scènes révoltantes en vertu de la loi, dès qu'un protestant tombait malade, les prêtres envahissaient sa maison, apportaient le viatique, suivis d'huissiers et de recors, et, au milieu des parents en larmes, des voisins curieux ou ennemis, fatiguaient de leurs obsessions et de leurs menaces des vieillards, des femmes, des jeunes filles'. Si le malade repoussait le prêtre, sa famille était ruinée et sa mémoire publiquement flétrie. Quelquefois, surtout dans le Midi, le peuple s'attroupait devant la maison de l'hérétique et demandait son corps à grands cris. On amenait la claie aux applaudissements de la foule. On y plaçait le mort nu, à peine refroidi, devant les obscènes railleries des assistants; puis, après l'avoir traîné dans le ruisseau, à travers les rues et les carrefours, pendu par les pieds à un gibet pendant vingt-quatre heures, on le jetait à la voirie. Quand l'instruction devait être longue, par une cruelle précaution, on faisait embaumer le cadavre; d'autres fois on lui donnait une sépulture provisoire, puis on le déterrait, la condamnation rendue, et l'ignoble peine avait son cours 3.

Rulhière, Eclaircissements historiques sur la révocation de l'édit de Nantes, t. V, p. 245. Sismondi, Histoire des Français, t. XXV, p. 335-337.

2 Voy., dans M. Coquerel, Histoire des Églises du désert, t. Ier, p. 476, plusieurs applications de cet édit, notamment sur le corps de la comtesse de Monjou, à Bagnols, t. ler, p. 275.

3 Sur la procédure de la claie, voy. Nouveau commentaire de l'ordennance criminelle du mois d'août 1670, par M. J. (Jousse), conseiller au

« VorigeDoorgaan »