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enceinte, des marais immenses et faire vingt lieues avant de gagner les Cévennes1. Suivant le propre témoignage d'un ecclésiastique contemporain, on regardait les captives comme des personnes ensevelies 2. Leur seule vue était le ciel sur leur tête, à travers la plate-forme, et au fond des murs, à travers leurs meurtrières étroites et grillées, la ville, les Inarais d'Aigues-Mortes, et, dans le lointain, la mer. Combien les heures devaient sembler longues et cruelles aux malheureuses enfermées dans ce tombeau, sans nouvelles et sans espoir! On frémit quand on pense aux générations de martyres qui ont vécu dans cette chambre, et on déteste ces persécutions religieuses, si tranquillement inhumaines et si constamment implacables3.

Les protestants condamnés aux galères étaient envoyés à Dunkerque ou à Rochefort, à Toulon ou à Marseille. On ne croirait pas, s'il n'était attesté par

1 M. Nap. Peyrat, t. II, p. 320.

2 Louvreleuil, Hist. du fanatisme renouvelé, t. IV, p. 155.

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J'ai vu, écrit un digne fils des vieux huguenots, le président de la Convention, Boissy d'Anglas; j'ai vu, écrit-il à ses enfants, cette tour de Constance. Elle ne peut que vous inspirer un vif intérêt: la bisaïeule de votre mère y ayant été enfermée étant grosse, comme accusée d'avoir été au prêche, y donna le jour à une fille de laquelle vous descendez. J'avoue que je n'ai rien vu d'aussi propre à inspirer de longs souvenirs,» ajoute l'homme qui a vu de près la plus horrible des morts. Voy. Essai sur M. de Malesherbes, 1re partie, p. 381, cité par M. CoqueII, p. 441. La tour de Constance existe encore.

rel,

↳ De nombreuses condamnations aux galères furent prononcées en 1712 et 1713. Nous avons les noms de vingt-neuf des galériens condamnés à cette époque. Ces condamnations avaient quelquefois lieu par fournées, suivant le mot de la terreur: « J'ai condamné ce matin soixante-seize malheureux aux galères, écrit Bâville en post-scriptum.-Voy. Lettre de Baville, citée par M. Coquerel, t. Ier, p. 500.

a

les récits les plus authentiques, le raffinement de barbarie déployé contre les galériens huguenots. On les conduisait au bagne, accouplés à des voleurs et des assassins, attachés au cou, aux mains, aux pieds, menés en montre, suivant l'expression de Jurieu, pour épouvanter leurs coreligionnaires. On réservait pour eux les plus lourdes chaînes ; quelques-unes pesaient jusqu'à cinquante livres. S'ils tombaient de fatigue, on les relevait à coups de bâton. Leurs conducteurs volaient sur leur nourriture et ne leur donnaient qu'un pain grossier, juste ce qu'il fallait pour vivre. A leur arrivée au bagne, on les enfermait dans les prisons les plus infectes, souvent sur le rivage où ils couchaient la nuit, sans couvertures et chargés encore de leurs chaînes. On leur mettait alors la casaque et le bonnet rouge, avec une chemise de toile épaisse comme le doigt et des bas de drap. Le travail des galères était d'une extrême dureté; les forçats étaient attachés deux à deux sur le banc du navire, sans pouvoir aller plus loin que la longueur de leur chaîne, mangeant et dormant à leur place. On les occupait à remuer de longues et lourdes rames qui faisaient mouvoir la galère. Contre la pluie et le soleil, le froid si piquant des nuits sur la mer, ils n'avaient d'autre abri qu'une légère toile, qu'on étendait au-dessus de leur tête, quand le temps le permettait 1. Une fois en marche, on repliait la toile

C'est à ces faits que faisaient allusion les galériens protestants dans une requête adressée à la margrave de Bareuth, sœur du grand Frédéric, lors de son voyage en France: « Ils peuvent dire, comme ils le dé

qui gênait les rames. Le long des bancs s'élevait une galerie où se promenaient les surveillants, le nerf de bœuf à la main. Ceux-ci, dépassant les instructions de leurs chefs, accablaient de coups les malheureux qui ne ramaient pas assez vite. A l'heure des offices, au moment de l'élévation de l'hostie, ils forçaient le galérien huguenot, qui ne croyait pas à la présence réelle, à ôter son bonnet. S'il refusait, on l'étendait nu sur le dos ; quatre hommes lui tenaient les mains et les pieds, tandis que le bourreau, armé d'une corde goudronnée, raidie par l'eau de mer, frappait de toutes ses forces. Le corps du patient rebondissait sous la corde, les chairs se déchiraient, son dos ne formait qu'une plaie vive et saignante, qu'on lavait avec du sel et du vinaigre. Quelques-uns recevaient jusqu'à cent cinquante coups de bâton; s'ils s'évanouissaient, on les portait à l'hôpital, et à peine guéris, on achevait leur supplice1.

Ces galériens cependant appartenaient aux premières et aux plus honorables familles de France. Nous retrouvons parmi eux des négociants, des fils de pasteurs, des magistrats, des gentilshommes, un de Marolles, un Caumont. On imagine ce que devaient souffrir de pareils hommes dans cet enfer. Leur seule

claraient à la margrave, avec plus de fondement que Jacob, que le jour les hâle, que la nuit les consume, que le sommeil fuit loin de leurs yeux. » V. M. Coquerel, t. II, p. 413.

Sismondi,

1 Court, Hist. des troubles des Cévennes, t. Jer, p. 19. t. XXVI, p. 391.-Voy. les passages de Benoît, de Louis de Marolles, de l'amiral Baudin, cités par M. Weiss dans son excellente Histoire des réfugiés protestants, t. ler, p. 93,

consolation était la prière, puis de mystérieuses correspondances avec leur femme, leurs parents ou leurs amis persécutés ou proscrits eux-mêmes. On quêtait pour eux en France et à l'étranger, comme pour les prisonniers des corsaires barbaresques. Le consistoire de Middelbourg, en Hollande, avait voté en leur faveur deux mille livres par an. A Amsterdam existait une commission spéciale et permanente pour ce qui concernait les galères de France. »> L'Église française de Londres leur adressait de temps en temps des secours recueillis parmi les réfugiés d'Angleterre. Elle conserve dans ses archives les lettres que les forçats huguenots répondaient, au mépris des plus durs châtiments, pour remercier « ceux qui se souvenaient des pauvres captifs. L'une d'elles, écrite sur un carré de papier couvert de poussière et rongé par le temps, mais remarquable par la résignation chrétienne et ferme qui l'a dictée, est digne des premiers confesseurs de l'Église 1.

Mais ce qu'il y avait de plus horrible, c'est qu'une fois enchaînés sur les galères, les protestants n'en sortaient plus. On les condamnait à des peines temporaires; mais à l'expiration de leur temps, on les retenait jusqu'à la mort. Une instruction ministérielle postérieure nous révèle l'authenticité de cet épouvantable règlement. « Le feu roi, écrit le comte de Saint-Florentin, ministre de Louis XV, à M. de Choiseul, auquel le duc de Bedford, ambassadeur d'An

M. Weiss l'a publiée pour la première fois. Voy. t. ler, p. 363,

gleterre, avait demandé la grâce de plusieurs forçats protestants, le feu roi' avait si fort à cœur l'exécution des déclarations qu'il avait données sur le fait de la religion, que par un règlement particulier concernant le détail des galères, et qui est dans vos bureaux, il décida qu'aucun homme, condamné pour cause de religion, ne pourrait jamais sortir des galères. Et si Sa Majesté s'est écartée des dispositions tant de ce règlement que des édits, ce n'a été que fort rarement et pour des considérations très-importantes, et en faveur de quelques particuliers seulement. » C'est ainsi qu'à la paix d'Utrecht, sur les instances de la reine Anne, Louis XIV promit de relâcher cent trente-six protestants retenus au bagne; mais il fit en sorte que quelques-uns à peine sortirent et que la plupart y étaient encore en 1715.

Ce machiavélisme infernal nous explique comment dés galériens condamnés à quatre ans, à dix ans de fers, se trouvent encore détenus vingt ans après. On relâchait un voleur et un faussaire, jamais un protestant. Et de même pour les prisons. Les malheureux enfermés dans les forteresses y demeuraient jusqu'à la mort. Lorsque, en 1768, le charitable et généreux

C'est-à-dire Louis XIV. Cette lettre inédite, dont nous devons encore la communication à M. Haag, porte la date du 16 janvier 1763, et provient des archives de l'empire (secrétariat de la maison du roi). Il ne faudrait pas croire que ce règlement ne fût pas appliqué. Nous trouvons dans Dangeau, édition Lemontey, t. III, année 1697, une note ainsi conçue : Le roi a résolu d'ôter de dessus ses galères beaucoup de ceux qui y ont fait leur temps, quoique la coutume fût depuis longtemps éta blie d'y laisser également ceux qui y sont condamnés pour toute leur vie et ceux qui y étaient condamnés pour un certain nombre d'années; » V. encore M. Coquerel, t. II, p. 412.

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