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attribuant la qualité de fils de France, par la plus scandaleuse des usurpations. Tous ces édits froissèrent cruellement l'opinion. Les premiers insultaient la pairie et les princes, le dernier était un outrage à la nation 1. Cette France, qui avait tant combattu, tant souffert pour Louis XIV, vit avec colère qu'elle était léguée à un bâtard. Les plus timides prédirent une réaction violente à la mort du roi. L'académicien Valincour, ami du comte de Toulouse, lui dit à propos du dernier de ces édits : « Voilà, monseigneur, une couronne de roses; mais je crains bien qu'elle ne devienne une couronne d'épines quand les fleurs seront tombées. »

Poursuivant son but avec l'obstination des femmes, madame de Maintenon travailla à consolider ces établissements par un testament, qui assurerait au duc du Maine la personne du Dauphin, l'autorité militaire et le souverain pouvoir à la mort du roi. Mais il fallait décider Louis XIV à faire ce testament. Il répugnait, comme tous les vieillards, à cette pensée, qui semble appeler la mort. Il savait que l'autorité des rois de France, si grande pendant leur vie, descendait avec eux dans la tombe; que le Parlement de Paris avait annulé les dernières volontés de son père et de son grand-père, et il s'indignait à l'idée de

mariages inouïs, monstrueux, multipliés, pour n'en faire qu'une seule et même famille. » Voy. Saint-Simon, t.[XIII, p. 168-169.

1 « Le gros du monde de tous états étoit irrité d'une grandeur inouïe en tout genre, et jusqu'au peuple ne s'en cachoit pas en les voyant passer ou en entendant parler. » Voy. Saint-Simon, t. XII, p. 328.

2 Voy. Mémoires de Duclos, p. 469.

faire un acte inutile et d'être désobéi après sa mort. Aussi, malgré les prières et les instances réitérées de madame de Maintenon, Louis XIV résista-t-il avec désespoir. Les rares courtisans qui l'entouraient encore crurent remarquer, sans les comprendre, ses impatiences et son humeur. Il était clair qu'il luttait. Mais les amis du duc du Maine, qui travaillaient aussi pour eux-mêmes, redoublèrent d'efforts: Letellier dans le confessionnal, Fagon à son chevet, le chancelier Voysin, Villeroy, madame de Maintenon, dans l'effusion des entretiens intimes. Si l'on en croit Saint-Simon, ils employèrent, pour dompter ce vieillard octogénaire, une violence indirecte et odieuse. Ils se firent un visage taciturne et glacé. Par leurs ordres, Versailles, déjà si sombre, s'assombrit encore. Les derniers sourires disparurent, les derniers entretiens cessèrent. Quand le roi paraissait, le silence s'établissait à son approche. S'il interrogeait, les assistants répondaient par monosyllabes; s'il se taisait, tous restaient muets. Les jours s'écoulaient ainsi dans la tristesse et dans le deuil. Plusieurs fois Louis XIV s'irrita de cette conspiration du silence, le silence seul répondit1. Accablé à la fin par cette muette tyrannie, après six mois de luttes vaines, le roi écrivit son testament. Il laissait la régence au duc d'Orléans, mais il lui adjoignait un conseil composé des partisans de madame de Maintenon, où le duc du Maine avait la majorité

1 Saint-Simon, t. XI, p. 256-57.

presque absolue. C'étaient le duc du Maine, le comte de Toulouse, les maréchaux de Villeroy, d'Harcourt, Villars, d'Huxelles, Tallard, les ministres Desmarets, Torcy, Pontchartrain, Voysin, amis personnels de la marquise et du bâtard. Par le même acte, Louis XIV confiait au duc du Maine la tutelle, la garde et la surintendance de l'éducation du Dau phin, avec le commandement suprême de la maison du roi, c'est-à-dire le palais et l'armée. Le duc d'Orléans n'avait plus que le vain titre de régent 1. Madame de Maintenon l'emportait. Dès ce moment elle mit tout en œuvre pour distraire le roi des sombres préoccupations des derniers temps. La trame qu'elle avait ourdie avait produit l'effet désiré; elle était désormais inutile; aussi les opéras et les bals, le jeu et les comédies de Molière reparurent une fois encore à Versailles et se succédèrent presque sans interruption.

Ces efforts incessants pour égayer le roi ne l'empêchèrent pas de protester contre la pression dont il avait été l'objet. Il résulte clairement de ses plaintes amères et multipliées qu'il ne conservait aucune illusion sur la validité de l'acte qui lui avait été extorqué. Le 27 août 1714, ayant mandé à Versailles le premier président du Parlement, M. de Mesmes, et le procureur général d'Aguesseau: «Messieurs, leur dit-il, en leur remettant un large papier couvert de sept cachets aux armes de France, voilà

Isambert, Anciennes lois françaises, t. XX, p. 623.

mon testament; il n'y a que moi au monde qui sache ce qu'il contient. Je vous le donne en garde. Je ne puis donner au Parlement une plus grande preuve de confiance. L'exemple des rois mes prédécesseurs ne me laisse pas ignorer ce que celui-ci pourra devenir; mais on l'a voulu, j'ai donc acheté mon repos. Le voilà; emportez-le. Il deviendra ce qu'il pourra; au moins j'aurai la paix et n'en entendrai plus parler. » Les magistrats stupéfaits saluèrent et sortirent 1.

Ce fut à peu près dans les mêmes termes que, le lendemain, le roi exprima son ressentiment en présence de madame de Maintenon à la reine d'Angleterre 2, qui venait lui rendre visite. « J'ai acheté mon repos, dit-il à la reine : j'ai fait mon testament; j'en connais l'impuissance. Nous pouvons tout ce que nous voulons pendant notre vie, nous autres rois; après, nous sommes moins que des particuliers. Il n'y a qu'à voir le testament de mon père et celui de tant de rois. Mais malgré cela on l'a voulu, on ne m'a donné ni paix ni trêve qu'il ne fût fait. Eh bien! madame, le voilà fait, il deviendra ce qu'il pourra; mais au moins on ne me tourmentera plus3.

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Les membres du Parlement firent creuser une

1 26 août 1714. Saint-Simon, t. XI, p. 260-261. — Mémoires de Duclos.

2 Veuve de Jacques II, retirée alors à Saint-Germain. 3 Saint-Simon, t. XI, p. 261. Mémoires de Duclos. - Madame, dans sa correspondance, confirme ces témoignages: « Le feu roi n'a jamais pensé que son testament pût être exécuté. Il a dit à plusieurs personnes : On m'a fait écrire mon testament et plusieurs choses, je l'ai fait pour

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« avoir du repos; mais je sais bien que cela ne subsistera pas. » Lettres de Madame, t. Ier, p. 272.

brèche dans la tour du Palais et renfermèrent le précieux dépôt sous des grilles de fer, une porte de fer et de triples clefs, comme pour le mettre à l'abri d'un coup de main. Précautions dérisoires et menteuses! Les plus dangereux ennemis du testament étaient, non dans la rue, mais dans la grand'chambre. Louis XIV ne s'y trompait pas, et il exhorta le duc du Maine à veiller lui-même à sa fortune. «Quelque chose que je fasse de mon vivant, lui dit-il, songez que vous pouvez n'être rien après ma mort. » Le duc du Maine et madame de Maintenon le savaient comme lui, et ils travaillaient à assurer l'acceptation du testament, arraché par tant d'efforts. Ils avaient le conseil de régence, les ministres, les maréchaux et les vieux généraux du règne, les grands officiers de la couronne, la plupart des courtisans voués à la fortune de la marquise, qui depuis trente ans distribuait les faveurs; les PP. Letellier, Lallemant, Doucin et Tournemine, et l'ordre si puissant des jésuites; les cardinaux de Rohan, de Bissy et de Polignac, chefs du parti ultramontain, compromis dans l'affaire de la bulle; la majorité du clergé, qui redoutait l'indifférence religieuse du duc d'Orléans. Mais il fallait gagner le Parlement, arbitre souverain en cette cause.

La tâche était difficile. Les princes, les pairs et les magistrats qui votaient ensemble dans les séances solennelles étaient hostiles au duc du Maine et à la

1 Saint-Simon, t. XI, p. 259.

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