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taient si fort avec son testament: «J'ai fait les dispo-. sitions que j'ai crues les plus sages; mais comme on ne saurait tout prévoir, s'il y a quelque chose qui ne soit pas bien, on le changera. Si le Dauphin vient à manquer, vous serez le maître, la couronne vous appartient 1.» Louis XIV appela ensuite les princes, les princesses, ses enfants légitimes, et leur fit ses adieux. Tous s'éloignèrent en versant des larmes. Les princesses jetaient des cris si perçants que la nouvelle de la mort du roi se répandit dans le château. Louis XIV appela enfin les officiers de sa maison présents à Versailles. Ils vinrent tous et se rangèrent en silence autour de son lit, avides de l'entendre une dernière fois. « Messieurs, leur dit-il, je vous remercie de l'attachement que vous m'avez toujours marqué; je suis bien fâché de n'avoir pas fait pour vous tout ce que j'aurais voulu. Je vous demande pour mon petit-fils la même application et la même fidélité. J'espère que vous contribuerez tous à l'u-nion, et que si quelqu'un s'en écartait, vous aiderez à le ramener.» Quelques sanglots éclatèrent parmi les assistants. « Je sens que je m'attendris, reprit-il avec effort, et que vous vous attendrissez aussi; il est temps de nous séparer. Adieu! messieurs, je compte que vous vous souviendrez quelquefois de moi 2. »

Le 27, le roi visita ses papiers, brûla deux cassettes remplies de lettres et régla ses funérailles. Il

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1 Mémoires secrets de Duclos. Reboulet, t. III, p. 604. Procèsverbal de la séance du Parlement du 2 septembre 1715.

2 Mercure galant, septembre 1715, p. 40. - Reboulet, t. III, p. 606.

envoya chercher le grand maréchal du palais, Cavoye, et examina le plan de Vincennes, où le Dauphin devait passer son enfance. En s'occupant de ces préparatifs d'un autre règne, Louis XIV semblait survivre à lui-même. Il laissa tomber une parole qui montrait la complète résignation de son âme : « Dans le temps que j'étais roi!» s'écria-t-il. Ses domestiques pleuraient. « Pourquoi pleurez-vous? M'avezvous cru immortel? » Puis, serrant la main de madame de Maintenon: « Ce qui me console, lui dit-il, c'est l'espérance de nous rejoindre dans le ciel. » La marquise ne répondit rien. Elle ne vit, dans cette grande pensée de la réunion des âmes, qu'une allusion chagrine à son âge, et s'en plaignit avec humeur. « Voyez-vous le joli rendez-vous qu'il me donne, dit-elle à sa confidente; cet homme-là n'a jamais aimé que lui!» C'était le 28 août au soir. Elle demanda sa voiture et se fit conduire à Saint-Cyr 2. Le roi, ne la voyant plus, souleva sa tête pâlie, examina l'appartement et demanda où elle était. Sa voix était éteinte, personne n'entendit. Le mourant répéta sa question. Les domestiques répondirent qu'elle était partie. Louis XIV pria avec tristesse qu'on la rappelât. Elle revint en effet, et, pour excuser son absence, dit qu'elle venait de prier pour sa guérison avec les jeunes filles de Saint-Cyr 3.

1 4 Et, dit Madame, dont le témoignage n'est pas suspect, donnant ses ordres comme s'il n'était question que d'un voyage. » T. Ier, p. 182. 2 Mémoires de Duclos, p. 481. Mémoires de Saint-Simon, t. XII, p. 485.

* Mercure galant, p. 57.

Cependant l'état du roi agitait et troublait les courtisans. Ils se rassemblaient par groupes dans les jardins et dans les couloirs, parlant bas et s'entretenant avec auxiété des progrès de la maladie. La mort, en s'approchant de Louis XIV, chassait peu à peu ses serviteurs. Les appartements du roi devenaient déserts; ceux des ducs du Maine et d'Orléans, au contraire, se remplissaient tous les jours. Ministres, maréchaux, gentilshommes de la chambre, officiers des gardes, allaient montrer leurs visages et prendre date. Les ambitieux visitaient à la fois les deux rivaux, se réservant de trahir celui des deux qui serait supplanté par l'autre. La mort, en suspendant sa marche, rappela les transfuges au lit du roi. Le mercredi 28, un paysan provençal nommé Brun se présenta au palais avec un breuvage assez puissant, suivant lui, pour guérir la gangrène. Il n'y avait plus d'espoir; les médecins laissèrent Louis XIV boire sa potion. Le malade se sentit soulagé et dormit. Le lendemain jeudi, 29, il mangeà deux petits biscuits trempés dans du vin d'Alicante. Cette nouvelle: Le roi va mieux! il mange! se répand aussitôt. C'est comme une résurrection. Il semble que la forte constitution de Louis XIV l'emporte, qu'il va régner encore; et, par un brusque revirement, les courtisans reviennent aux pieds du maître. Cette comédie hu

1 Jusqu'à ce moment, la terreur qu'on avoit de ce monarque, dépérissant à vue d'œil, fut telle que M. le duc d'Orléans n'en étoit pas moins absolument esseulé jusque dans le salon de Marly. » Voy, Saint-Simon, t. XII, p. 383,

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maine se joue avec le plus effronté cynisme. Les appartements du duc d'Orléans, qui regorgeaient depuis trois jours, se vident en un instant, et SaintSimon, qui vient le voir, le trouve seul. Indulgent comme son aïeul, le petit-fils de Henri IV plaisante de cet abandon, qui eût arraché à un autre des paroles amères: « Mon cher duc, dit-il à Saint-Simon, vous êtes le premier que je voie de la journée. » Et il ajouta en riant: « Si le roi mange encore une fois nous n'aurons plus personne 1. »

Mais le mieux n'était qu'apparent. C'était le dernier effort de la vie, qui, par une cruelle ironie, semble se ranimer au moment même où elle va s'éteindre. Le breuvage de Brun avait engourdi le poison sans le détruire. Le soir même du jeudi 29, les médecins constatèrent que la gangrène envahissait le genou, et que déjà elle gagnait la cuisse 2. Cette fois les courtisans désertèrent la chambre royale pour n'y plus revenir. Il n'y resta plus que madame de Maintenon, le duc du Maine, le duc d'Orléans, les domestiques et le P. Letellier. Avide des derniers instants, l'implacable confesseur pressait le roi de nommer des candidats de son choix aux évêchés vacants. Mais cet acharnement, porté jusque dans les bras de la mort, épouvanta Louis XIV; il se refusa à ses instances réitérées, disant qu'il allait paraître devant Dieu, et qu'il léguait cette responsabilité à son successeur 3.

1 Mémoires de Saint-Simon.

2 Mercure galant, p. 61.

3 Mercure historique, septembre 1715.

Revenant à la charge, le confesseur parla de la bulle, de la nécessité de dompter les jansénistes, et à quatre reprises différentes il présenta au roi un écrit qui engageait le régent à suivre les procédures entamées 1. Louis XIV persista dans son refus. Indignés de ces obsessions, les domestiques fermèrent à Letellier les portes de l'appartement; et, comme il rentrait par les derrières, quelques officiers, plus hardis, s'écrièrent qu'il avançait les jours du roi, et parlèrent de le jeter au bas des escaliers ou de le faire sauter par les fenêtres 2.

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Cependant la gangrène continuait ses ravages. Le vendredi 30, les cuisses du roi étaient gonflées, livides, et sa jambe aussi pourrie que celle d'un mort3. Le soir il perdit connaissance. Madame de Maintenon l'abandonna une fois encore. Profitant de l'agonie, elle passa dans sa chambre, demanda sa voiture et prit la route de Saint-Cyr. Pour éviter un rappel, et comme si elle eût craint d'assister aux derniers instants, elle défendit à qui que ce fût de venir la voir. Désormais le roi n'avait plus auprès de lui

Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier, p. 386.

↑ Anecdotes sur la constitution Unigenitus, t. Ier, p. 336.

3 Mémoires de Saint-Hilaire.

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Mercure galant, p. 62.

Il est vrai que tout le monde croyait le roi mort quand madame de Maintenon s'est retirée; il avait perdu connaissance pendant un long moment, mais il est ensuite revenu à lui. » Correspondance de Madame, t. ler, p. 89. D'ailleurs, elle craignoit, si elle ne se retiroit pas à Saint-Cyr pendant que le roi vivoit encore, d'être insultée dans le chemin par le peuple..... Le maréchal de Villeroy le craignit aussi pour elle, car il lui prêta sa voiture et ses gens pour qu'elle ne fût point reconnue, et plaça des gardes de distance en distance sur la route. » Vie de madame de Maintenon par Auger, en tête de sa Correspondance, t. Jer, P. 177.

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