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l'historien et le panégyriste du vainqueur, le panégyriste de Louis XI. L'histoire a gagné dans cette défection ce qu'y a perdu la morale. L'inverse est arrivé pour Olivier de La Marche. L'horizon politique de son œuvre offre moins d'étendue et par conséquent un moindre intérêt que celui de Commines. Mais il vaut mieux sous le rapport de l'honnêteté et de quelques détails. Élevé à la cour pompense d'Isabelle de Portugal et des ducs de Bourgogne, Olivier de La Marche futle Blondel de Charles le Téméraire et de la féodalité française, qui périt avec ce prince dans les marais de Nancy. La Marche n'a pas été seulement l'historien, il a été le poëte de la féodalité. Ses écrits contiennent tous, sans exception, des notions précieuses pour nous faire bien comprendre une face entière et importante du monde moral, tel qu'il était au moyen âge, c'est-à-dire les mœurs et les idées chevaleresques. A ce dernier point de vue, les œuvres de cet écrivain présentent un intérêt qui n'est pas, il s'en faut, épuisé. Olivier de La Marche mériterait, sous ce rapport et il attend toujours de notre siècle historique, une véritable édition critique et complète de ses ouvrages. VALLET DE VIRIVILLE.

Documents manuscrits (notices,etc.): Cabinet des titres, dossier La Marche, Mss. Béthune, no 8440, fol. 17; Gaignières 772, 2, fol. 448 vo. Ms. 1344, Bibliothèque royale de La Haye.

Documents imprimés: Dreux du Radier, L'Europe illustre, 1754, gr. in-8°, figures, t. II.-Villeneuve Bargemont, Histoire de René d'Anjou, 1825, in-8°, t. II, p. 378 et suiv. Mémoires de Commines, édition Dupont, 1840, 3 vol. in-8°, à la table. - Panthéon littéraire, Memoires de La Marche et Notice. - D. Plancher, Hist. de Bourgogne, t. IV. Barante et Léon de La Borde, Ducs de Bourgogne, aux tables. Bulletin de la Société de l'histoire de France, in-8°, 1858, p. 296 et suiv., etc.

LA MARCHE (Jean-François), prélat français, né dans le diocèse de Quimper, en 1729, mort à Londres, le 25 novembre 1806. Issu d'une ancienne famille noble de Bretagne, il suivit d'abord la carrière des armes, fit une campagne en Italie en qualité de lieutenant de dragons, assista à la bataille de Plaisance, où il fut blessé, et fut élevé en 1747, au grade de capitaine dans le régiment de la Reine-Infanterie. Après la paix d'Aix-la-Chapelle, il quitta le service pour embrasser l'état ecclésiastique. D'abord chanoine et grand-vicaire de Tréguier, puis abbé de SaintAubin-des-Bois, il fut, en 1772, promu à l'évêché de Saint-Pol-de-Léon. Au commencement de la révolution, La Marche refusa formellement d'obéir à la constitution civile du clergé. Les populations s'agitaient. L'administration départementale fit traduire l'évêque au tribunal récemment établi à Morlaix. Décrété d'accusation le 8 janvier 1791, il s'enfuit à Londres. Le célèbre Burke et d'autres Anglais lui vouèrent une amitié toute particulière, et procurèrent aux émigrés français des secours que Lamarche fut chargé de distribuer. Il s'acquitta de cette mission avec intégrité jusqu'à sa mort. Son oraison funèbre fut

prononcée par l'abbé du Châtellier, depuis évêque d'Évreux, dans la chapelle française de ConweyStreet, Filzroy-Square, et son portrait, exposé dans la galerie du Louvre sous la restauration, excita parmi les royalistes un vif intérêt. Outre des Mandements, on a de ce prélat une Lettre pastorale et une Ordonnance qu'il écrivit de Londres, le 20 août 1791, à ses diocésains pour les prémunir contre le schisme qui menaçait l'Église.

F.-X. TESSIER.

Lubersac, Journal historique et religieux de l'émigration et déportation du clergé de France en Angleterre.

LA MARCHE - COURMONT (Ignace HuGARY DE), littérateur français, né le 25 mars 1728, à Paris, mort à l'île Bourbon, en décembre 1768. D'abord chambellan du margrave de Bareuth, il fut capitaine au service de France dans les volontaires de Wurmser. Il voyagea beau. coup en Italie, en Allemagne, en Pologne, et s'occupa de littérature durant ses moments de loisir. On a de lui: Lettres d'Aza, ou d'un Péruvien ; Amsterdam, 1749, 1760, in-12: pastiche médiocre des Lettres péruviennes de Mme de Graffigny, à la suite desquelles on le trouve souvent imprimé ; Essai politique sur les avantages que la France peut retirer de la conquête de l'île de Minorque; Citadella (Lyon), 1757, in-12; Essai d'un nouveau Journal intitulé « Le Littérateur impartial, ou précis des ouvrages périodiques »; La Haye et Paris, 1760. in-12: ce projet n'eut point de suite; Réponse aux différents écrits publiés contre la comédie des Philosophes; 1760, in-12. Cet auteur a pris part au Journal Étranger, dont le privilége fut accordé en son K.

nom.

Nécrol. des Hommes Célèbres, 1770.

LAMARCK (Auguste - Marie-Raymond, de la famille des princes d'Arenberg). Voy. AREN

BERG.

LA MARCK (Évrard DE), cardinal évêque et seigneur de Liége, né vers 1475, mort le 16 février 1538, était fils de Robert de La Marck, duc de Bouillon et de Clivia Dynasta. Ses qualités personnelles, la noblesse de son origine, les services rendus à l'église de Liége par ses ancêtres Adolphe et Engelbert, qui en avaient été évêques, le firent porter, en 1506, d'un consentement unanime, sur le siége épiscopal de cette ville. Tandis qu'il envoyait à Rome deux chanoines pour faire ratifier par Jules II l'élection du chapitre, des sénateurs et des bourgmestres, il se retira dans le monastère de Saint-Laurent, puis à la char treuse de Mont-Dieu, près de Sedan, afin de s'y préparer, par la prière et par la retraite, à recevoir les ordres sacrés. La bulle pontificale arriva vers la fête de Pâques. Aussitôt les commandants des places fortes et les autres officiers de la principauté de Liége se rendirent à Sedan pour se faire confirmer dans leurs fonctions. Après avoir reçu le sacerdoce au monastère de Saint-Laurent et

l'onction épiscopale à Tongres en présence des évêques de la province, il se rendit à Liége, dont il confirma les titres et priviléges, et où il fut reçu en triomphe. Il gouverna son diocèse de manière qu'au milieu des guerres incessantes qui déso laient alors les provinces voisines il jouit d'une paix continuelle. Également attentif aux intérêts spirituels et temporels de ses sujets, il rétablit l'ancienne discipline dans le monastère de SaintHubert, premier évêque de Liége, et fit sortir du territoire liégeois, par les négociations et par la force, un corps de troupes impériales qui y voulaient prendre leurs quartiers d'hiver. Pen dant l'année 1508, il embellit la ville de Liége, fit construire deux tours de marbre, relever les forteresses que le temps ou la guerre avaient détruites, frapper des pièces de monnaies dont il sollicita l'introduction dans les provinces voisines, afin de faciliter les relations commerciales. Il régla le port d'armes, décréta des lois contre les blasphémateurs, et donna une châsse magnifique pour renfermer les reliques de saint Lambert. En récompense des services qu'il avait rendus à Louis XII dans les affaires d'Italie, il reçut l'évêché de Chartres. François Ier avait promis de lui faire obtenir le chapeau de cardinal; mais un protégé de la duchesse d'Angoulême lui fut préféré. Soit par ressentiment, soit par la force des circonstances, l'évêque de Liége entra, en 1518, dans la ligue de l'Autriche contre la France, et poussa le zèle pour la cause de Maximilien et de Charles Quint jusqu'à combattre son propre frère, Robert de La Marck, qui avait fait la paix avec François Ier. Dans la diète de Francfort, il favorisa par son éloquence l'élection de Charles Quint à l'empire. Ce prince, en récompense, lui donna l'archevêché de Valence, et lui fit obtenir le chapeau de cardinal en 1521. Léon X en accordant à La Marck cette dignité avait aussi ses desseins: il voulait l'attacher plus étroitement à la cour romaine et aiguillonner son zèle contre les doctrines que Luther commençait à répandre en Allemagne. Aussi le lutheranisme naissant n'eut point d'ennemi plus actif et plus implacable. Au rapport d'Abraham Bzovius, pour triompher de l'hérésie qui commençait à se manifester à Liége et dans les environs, menaçant à la fois la sécurité de l'Église et de l'État, ce prélat, de concert avec les échevins et autres officiers, établit dans chaque paroisse des hommes d'une doctrine et d'une probité reconnues, ayant pleins pouvoirs de faire des enquêtes et de sévir contre les hérétiques. L'enquête fit découvrir un grand nombre de ces derniers : ils furent punis de l'exil on de la mort et de la confiscation de leurs biens. On raconte qu'il fit clouer la langue à l'un des théologiens protestants. Il leur défendit, sous les peines les plus sévères, d'ouvrir des écoles et de tenir des assemblées. Tout ce qui de près ou de loin sentait l'hérésie lui était en horreur. Il avait d'abord accueilli avec bienveillance Érasme, qui lui avait dédié sa Paraphrase de l'Épitre

aux Romains; mais il rompit avec ce savant et le regarda comme un païen et un publicain dès qu'il lui parut favorable aux doctrines nouvelles. Son zèle embrassait l'Europe entière. En 1529 il fut appelé au congrès de Cambrai, où fut conclue la Paix des Dames. En 1532 il arma à ses frais un corps de troupes contre les Turcs. Nommé légat a latere en 1533, il travailla avec une nouvelle ardeur au rétablissement de la discipline ecclésiastique et à l'extirpation de l'hérésie. Il avait à cet effet convoqué un synode à Liége en 1538. Mais les prêtres, poussés par quelques chanoines dont le prélat avait repris l'incontinence, et par cet esprit d'indépendance qui commençait à souffler sur l'Europe, se retirèrent à Louvain, et se déclarèrent contre l'évêque. La Mark espérait cependant triompher de tant d'obstacles lorsqu'il mourut, après avoir gouverné l'église de Liége pendant trente ans.

F.-X. TESSIER.

Chapeauville, Histoire des Cardinaux, tom. III, chap. 5 et 6.- Auber, Histoire des Cardinaux, III, 331. Louis Doni d'Attichy, Flores Cardinalium, t. III.

LA MARCK ( Robert II, comte DE), duc de Bouillon, prince de Sedan, mort en 1535, était fils de Robert Ier, tué devant Ivoy, en 1489. II embrassa le parti de la France contre l'Autriche, et s'unit à son frère Évrard pour combattre Maximilien. Les plus sanglants revers ne purent ébranler sa fidélité. Il accompagna le maréchal Trivulce dans l'expédition de Naples, et reparut en Italie, en 1513, avec le titre de lieutenant général de La Trémouille. Il se trouva, le 6 juin de la même année, à la désastreuse bataille de Navarre, avec deux de ses fils, Fleuranges et Jametz. On lui dit qu'ils sont restés dans un fossé, tout couverts de blessures. Il prend avec lui quelques hommes, perce six lignes de Suisses victorieux, trouve ses deux fils couchés par terre, charge Fleuranges sur son cheval, met Jametz sur celui d'un des siens, et rejoint la cavalerie française, malgré les Suisses qui veulent lui barrer le passage. A la sollicitation d'Évrard, Robert passa plus tard dans le parti de Charles Quint, qu'il abandonna bientôt. S'étant ensuite réconcilié avec François Ier, il envoya un cartel à l'empereur, et entra dans le Luxembourg. La défaite des Français sous les murs de Pavie força François Ier de désavouer la conduite de La Marck, qui, réduit à ses propres forces, se vit chassé de ses tÉats. Ils lui furent rendus en 1526 par le traité de Madrid, où le roi de France n'oublia pas de stipuler les intérêts de son allié. LA MARCK (Robert IV, comte DE), fils de Robert III (voy. FLEURANGES), obtint le bâton de maréchal en 1547, par son mariage avec une des filles de la duchesse de Valentinois, maîtresse de Henri II. Il contribua en 1552 à la prise de Metz, et fut nommé lieutenant général en Normandie. L'année suivante, chargé de défendre Hesdin contre les Impériaux, il se vit forcé de capituler. Il mourut en 1556.

LA MARCK (Henri-Robert, comte DE), fils du précédent, lui succéda dans le gouvernement de Normandie, y favorisa le protestantisme, et ne laissa qu'une fille, qui épousa Henri de La Tour, vicomte de Turenne, dont elle n'eut point d'enfants (1594). F.-X. TESSIER.

De Fleuranges, Histoire des Choses mémorables arrivées en France, Italie et Allemagne depuis l'an 1503 jusqu'en 1521, dans le t. XVI de la collection des Mémoires historiques relatifs à l'histoire de France. Mezeral, Histoire de France, tom. III.

LA MARCK (Robert DE), maréchal de France. Voy. BOUILLON.

LAMARCK (Jean-Baptiste-Pierre-Antoine DE MONET DE ), célèbre naturaliste français, à Barentin, en Picardie, le 1er août 1744, mort à Paris, le 18 décembre 1829. Huitième enfant d'une famille noble, originaire du Béarn et fixée en Picardie, mais qui n'avait qu'une fortune très-médiocre, Lamarck fut destiné par son père à l'état ecclésiastique, qui était alors la seule carrière ouverte aux cadets de familles nobles, et élevé dans ce but dans l'établissement des jésuites à Amiens. Mais les traditions et les exemples de sa famille lui inspiraient d'autres idées. Son frère aîné était mort à l'assaut de Berg-op-Zoom, l'un des faits militaires les plus célèbres du dix-huitième siècle; deux autres étaient sous les drapeaux. Devenu à l'âge de seize ans, par la mort de son père, libre de choisir sa carrière, il partit, sur un mauvais cheval et suivi d'un pauvre garçon de son village, pour rejoindre en Hanovre l'armée du maréchal de Broglie, muni d'une lettre de recommandation qu'une voisine de campagne lui avait donnée pour M. de Lastic, colonel du régiment de Beaujolais. Il atteignit l'armée la veille de la bataille de Jillingshausen (14 juillet 1761), perdue par suite de la mésintelligence des deux généraux, Broglie et Soubise. Lamarck, dont la mine chétive et enfantine avait fort déplu la veille à M. de Lastic, s'y distingua par un acte de courage, où il montra cette froide résolution qui fut pendant toute sa vie un des traits les plus remarquables de son caractère. Attaché, comme cadet, à une compagnie d'infanterie, il fut pendant une partie de l'action exposé au feu de l'artillerie prussienne : tous les officiers et sous-officiers y périrent; Lamarck, devenu chef de cette petite troupe, s'opposa obstinément à la retraite qui lui était demandée par le plus ancien des quatorze grenadiers qui restaient avec lui, jusqu'au moment où il reçut un ordre exprès du colonel, qui ne lui arriva qu'avec de grandes difficultés. Cette action d'éclat fut remarquée par le général en chef, qui nomma Lamarck officier sur le champ de bataille.

Une circonstance particulière ne tarda pas à interrompre une carrière dont le début était si brillant. Promu lieutenant, il suivit son régiment lorsque la paix fut signée, en 1762. Dans les garnisons de Toulon et de Monaco, un de ses camarades l'ayant soulevé par la tête, cette

circonstance détermina chez Lamarck une lésion dans le cou, et le jeune officier fut obligé de se rendre à Paris pour s'y faire soigner. Il avait alors vingt-quatre ans. Cet accident et très-probablement aussi le peu d'attraits qu'offrait à son esprit méditatif la vie désœuvrée des garnisons l'engagèrent à quitter le service pour étudier la médecine. Mais n'ayant pour vivre qu'une rente de 400 livres, il fut obligé provisoirement d'entrer chez un banquier, où il travaillait une partie du jour, tandis que les quelques heures qui lui restaient étaient consacrées à des études scientifiques. Il habitait alors une espèce de mansarde dans le quartier latin, et c'est, disait-il plus tard, ce logement, plus élevé qu'il n'aurait voulu, qui lui donna le goût des études météorologiques. Mais tout en s'occupant de ses études médicales, il s'était pris d'un grand attrait pour les sciences naturelles, et principalement pour la botanique. Cette dernière étude n'était pas entièrement nouvelle pour lui, car il l'avait déjà entreprise pendant les loisirs de garnison. Il s'y remit avec cette résolution persévérante qu'il portait en toutes choses, et il ne tarda pas à s'y distinguer d'une manière brillante. Déjà un premier mémoire Sur les Vapeurs de l'Atmosphère avait été l'objet d'un rapport très-favorable lu par Duhamel à l'Académie des Sciences. Bientôt un ouvrage de botanique, qui fut en quelque sorte un ouvrage de circonstance, le fit connaître des savants, et même du public, de la manière la plus avantageuse. J.-J. Rousseau avait mis la botanique à la mode. Le goût des herborisations et des herbiers se répandait parmi les gens du monde, et le système artificiel de Linné fournissait aux amateurs le moyen de trouver facilement le nom des plantes; mais cette méthode présentait dans la pratique des difficultés assez grandes. Lamarck pensa que l'on pourrait arriver par des procédés beaucoup plus simples à la solution de ce petit problème. Ayant un jour soutenu cette opinion devant quelques personnes, on le mit au défi de faire mieux que Linné; il accepta le défi, et bientôt il apporta le plan et l'essai d'une méthode que l'on a désignée depuis sous le nom de méthode analytique ou dichotomique. Elle consiste à poser à l'élève une première question, qui partage les végétaux en deux classes, entre lesquelles il doit choisir d'après un caractère de la plante qui la place nécessairement dans l'une des deux à l'exclusion de l'autre; puis une seconde question, qui partage cette classe choisie en deux autres à l'une desquelles la plante se rapportera; puis une troisième, une quatrième, etc.; de sorte qu'à chaque question le cercle se resserre, jusqu'à ce que la dernière conduise, par cette suite d'exclusions successives, à l'unité cherchée. Bientôt il fit l'application de cette méthode à l'ensemble des plantes de France, et il publia, sous le titre de Flore française, un ouvrage où toutes les plantes de France alors

connues étaient décrites, et où l'application de cette méthode permettait d'arriver facilement à la connaissance de chacune d'elles. Du reste, on doit ajouter un fait peu connu, mais dont la preuve se trouve dans le discours préliminaire de l'ouvrage de Lamarck; c'est que tout en constituant la méthode dichotomique comme méthode de recherche, il se préoccupait beaucoup de la méthode naturelle, qui seule doit faire connaître les véritables rapports des plantes. Il avait essayé de combiner les caractères formés par les organes, à l'aide d'une méthode numérique, comparable à celle qui avait déjà été employée par Adanson; et il devait en faire l'application à tout le règne végétal dans un ouvrage qui n'a point vu le jour, et qui devait être intitulé Théαtre universel de Botanique. Mais si, comme tous les bons esprits de son temps, il se préoccupait du problème de la méthode naturelle, et si l'on doit lui tenir compte des efforts qu'il tenta pour atteindre ce but, il n'eut point la gloire de le résoudre, gloire qui immortalisera à jamais le nom d'A.-L. de Jussieu.

La Flore française répondait à l'un des besoins les plus vivement et les plus généralement sentis; aussi eut-il un succès immense. Sur la demande de Buffon, cet ouvrage fut imprimé aux frais du gouvernement et l'édition entière abandonnée à l'auteur. Bientôt après, la Flore française lui ouvrit les portes de l'Académie des Sciences, où il fut nommé à trente-huit ans, en 1779, quoiqu'il ne fût présenté qu'en seconde ligne. La protection de Buffon fut encore pour lui la source de nouveaux succès: elle lui fit confier la mission d'aller à l'étranger visiter les musées et les jardins de botanique. Lamarck visita ainsi la Hollande et une partie de l'Allemagne, et se mit en rapport avec les botanistes les plus éminents de son époque, Gleditsch, Murray et Jacquin. De retour en France, on lui confia la rédaction du Dictionnaire de Botanique de l'Encyclopédie méthodique (1785), et il rédigea une grande partie de cet ouvrage (15 volumes ). Ce travail, fort oublié aujourd'hui, constitua pour Lamarck un titre scientifique d'une grande importance; car Lamarck y fit connaître, par des descriptions nettes et d'une grande exactitude, un nombre considérable de plantes dont les échantillons étaient contenus dans les herbiers du Muséum et provenaient des voyages scientifiques, si multipliés pendant le siècle dernier. Lorsque Buffon mourut, en 1788, Lamarck entra au Jardin des Plantes, comme adjoint de Daubenton pour la garde du Cabinet et du Jardin du Roi, et il y fut chargé de tout ce qui concerne les herbiers.

Ainsi Lamarck à quarante-cinq ans avait pris parmi les botanistes une position très-honorable, lorsque la révolution française vint l'appeler à de nouvelles destinées. Après le décret de la Convention en date du 10 juin 1793, qui réorganisa le Jardin des Plantes et y

fonda douze chaires pour l'enseignement de l'histoire naturelle, les plus anciens botanistes de l'établissement, Jussieu et Desfontaines, furent appelés aux chaires vacantes de botanique; mais personne n'était désigné pour occuper les deux chaires de zoologie. On les offrit à Geoffroy Saint-Hilaire, alors sous-garde du cabinet depuis huit mois, et qui ne s'était encore occupé que de minéralogie, et à Lamarck. Geoffroy Saint-Hilaire fut chargé de l'histoire des animaux vertébrés, et Lamarck de celle des animaux sans vertèbres. Ces deux savants, bien qu'ils fussent, par leurs études, tout à fait étrangers à l'enseignement dont ils étaient chargés, se mirent résolument à l'œuvre; et ils ne tardèrent pas à se placer au premier rang parmi les zoologistes. Qu'un jeune homme de vingt ans, comme Geoffroy Saint-Hilaire, inconnu jusque alors, ait accepté, dans l'enthousiasme de la jeunesse, la perspective d'une grande réputation à fonder, cela n'a rien qui nous étonne; mais qu'un homme comme Lamarck quitte à cinquante ans une carrière où il s'est fait connaître d'une manière brillante, pour en recommencer une nouvelle, avec la chance de ne point égaler ses premiers succès, c'est un acte de courage dont peu de savants seraient capables, et qui nous donne le plus remarquable exemple du courage moral dont Lamarck fut animé pendant toute sa vie. Dans le nouveau Jardin des Plantes tout était à organiser, tout était à créer. Lamarck n'avait pour toute préparation à cet enseignement que quelques notions de conchyliologie, qu'il s'était données pour com. plaire à son ami le naturaliste Bruguières, dont l'esprit exclusif ne pouvait supporter d'autres conversations que celles qui portaient sur les coquilles. Néanmoins il se mit à l'œuvre, et après quelques mois d'un travail opiniâtre il ouvrait un cours, en juillet 1795. Devenu zoologiste, Lamarck fit pour la partie de la zoologie qu'il devait enseigner ce qu'il avait fait en botanique il accomplit dans l'histoire des animaux sans vertèbres d'immenses travaux de description et de classification, qu'il continua, avec une ardeur infatigable, jusqu'à la fin de ses jours. Laissant à son aide naturaliste Latreille l'étude de la classe des insectes, il se confina dans l'étude de tous les animaux dont Linné avait fait la classe des vers, et qui n'étaient réunis entre eux jusque alors que par une caractéristique négative. Partant des travaux anatomiques de G. Cuvier, qui avait essayé le premier de débrouiller ce chaos, il contribua, par quelques innovations heureuses, à établir de l'ordre dans cette partie de la zoologie; en même temps il découvrit un très-grand nombre d'espèces, et établit sur de bons caractères beaucoup de genres. L'ouvrage où il consigna la plupart de ces résultats, et qui fut achevé en 1822, sous le titre d'Histoire des Animaux sans Vertèbres, est véritablement classique pour

cette partie de l'histoire naturelle. En même temps Lamarck contribua, plus qu'aucun autre naturaliste de son temps, à la description des coquilles fossiles. On s'était beaucoup occupé pendant le dix-huitième siècle de la théorie de la Terre, comme on appelait alors la géologie, et on avait invoqué l'existence des coquilles fossiles pour soutenir telle ou telle théorie. Mais il manquait à cette étude un élément important. Après avoir pendant longtemps con. sidéré ces coquilles comme des jeux de la nature, on avait pensé qu'elles n'étaient autres que des espèces actuellement vivantes. Des savants italiens, comme Bianchi et Soldani, avaient consacré de longues journées à tamiser le sable de l'Adriatique pour y retrouver des coquilles semblables ou au moins analogues aux coquilles fossiles. Lorsque Lamarck aborda l'étude de la zoologie, l'idée des espèces perdues venait à peine de se produire dans la science, et annoncée par Buffon, elle commençait à inspirer les travaux de Cuvier, qui avait entrepris avec ardeur la reconstruction des grands animaux vertébrés. Lamarck entreprit à la même époque, et trèsprobablement sous l'inspiration des travaux de Cuvier, un travail analogue pour la description et la détermination des coquilles fossiles de la France. Ces travaux, dont l'origine remonte aux premières années de notre siècle, marquent une date dans la paléontologie; car on sait le rôle que la connaissance des coquilles a joué dans la détermination des terrains, rôle manifestement exagéré par les prétentions exclusives de certains paléontologistes, mais qui a été très-certainement une des causes les plus efficaces des immenses progrès que la géologie a accomplis de nos jours.

Mais ces travaux, si importants qu'ils aient été pour la science, ne nous donnent cependant qu'une idée très-inexacte et très-imparfaite de l'œuvre de Lamarck. Comme tous les grands naturalistes, Lamarck avait parfaitement compris que l'histoire naturelle ne peut et ne doit pas se restreindre à l'étude des formes diverses que nous présente l'ensemble immense des êtres vivants; opinion qui abaisserait la science aux proportions d'un simple catalogue descriptif; mais que, partant de ce travail préliminaire comme d'un point de départ indispensable, le savant doit porter ses regards au delà, et chercher à se rendre compte de la cause qui produit toutes ces diversités apparentes. C'est ainsi que Buffon et Linné entendaient l'histoire naturelle; c'est ce que Lamarck essaya de faire, lorsque ses études sur les végétaux et les animaux l'eurent préparé à aborder un pareil sujet. D'ailleurs les tendances mêmes de sa nature morale l'y poussaient d'une façon en quelque sorte irrésistible. Esprit essentiellement réfléchi et méditatif, il avait cherché dès ses premiers pas dans la science à se rendre compte, par le simple effort de sa pensée, de tous les phénomènes physiques, et

même aussi de tous les phénomènes moraux qui constituent le monde. De nombreuses publications contiennent l'ensemble de ses idées sur ces matières. Nous devons toutefois le reconnaître, tant qu'il s'agit du monde inorganique, les efforts de Lamarck ne furent généralement pas heureux. Étranger à la méthode expérimentale, la seule qui puisse conduire à la vérité dans les sciences d'observation, Lamarck, dans les idées physiques et chimiques, ne cessa de fermer les yeux aux lumières éclatantes que projetaient alors de toutes parts les découvertes modernes ; et les idées qu'il croyait nouvelles, et dont il se faisait une arme pour combattre les théories récentes, n'étaient en réalité que les débris des doctrines de Stahl, que Lavoisier venait de détruire à tout jamais. En même temps il cherchait, avec une persistance incroyable, à déterminer l'influence météorologique de la Lune, persistance qui lui valut de la part de l'empereur une admonition rude et même brutale (1). Cependant, les idées de Lamark, même en pareille matière, ne sont pas toutes aussi vaines que l'on pourrait le croire; et nous voyons que dès 1793 il avait sur les atomes et sur la constitution des corps des notions très-saines, et qui depuis Dalton forment aujourd'hui la base des théories chimiques. Mais en histoire naturelle il n'en fut pas ainsi; là en effet ses observations continuelles l'avaient préparé pour aborder la question. Dans un livre fort remarquable, et publié en 1819 sous le titre de Philosophie Zoologique, il réunit et coordonna toutes ses idées sur l'ensemble des phénomènes que présente la nature vivante. C'est dans ce livre qu'il posa pour la première fois d'une manière scientifique le grand problème de la variabilité des espèces. A l'époque où ce livre parut, et avec les idées qui dominaient alors dans la science, c'était faire acte d'une grande hardiesse, et presque de témérité. Cette question n'avait été indiquée jusque là que par Buffon, qui sur la fin de sa vie était arrivé à comprendre que la nature se prête à des mutations de matière et de forme; mais personne n'avait fait alors attention à ces paroles de Buffon, qui avaient été oubliées, au milieu de ce discrédit presqu'universel qui atteignit à la fin du siècle dernier les œuvres du

(1) Le fait s'est passé à la présentation d'Arago, qui le raconte dans l'Histoire de sa jeunesse, « L'empereur passa à un autre membre de l'Institut. Celui-ci n'était pas un nouveau venu; c'était un naturaliste connu par de belles et importantes découvertes: c'était M. Lamark. Le vieillard présente un livre à Napoléon : « Qu'est-ce que cela? dit celui-ci. C'est votre absurde météorologie; c'est cet ouvrage dans lequel vous faites concurrence à Mathieu Laënsberg, cet annuaire qui déshonore vos vieux jours; faites de l'histoire naturelle, et je recevrai vos productions avec plaisir. Ce volume, je ne le prends que par considération pour vos cheveux blancs. Tenez, » Et it passa le livre à un aide de camp. Le pauvre M. Lamarck, qui, à la fin des paroles brusques et offensantes de l'empereur, essayait inutilement de dire; « C'est un ouvrage d'histoire naturelle que je vous présente, » eut la faiblesse de fondre en larmes. »

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