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comme on fait en la plupart de la chrétienté. Car il faudrait un livre propre pour déduire cette matière; mais pour ce que c'est une chose notoire que la plupart des reliques qu'on montre partout sont fausses, et ont été mises en avant par moqueries, qui ont impudemment abusé le pauvre monde, je me suis avisé d'en dire quelque chose, afin de donner occasion à un chacun d'y penser et prendre garde.

Car quelquefois nous approuvons une chose à l'étourdie, d'autant que notre esprit est préoccupé : tellement que nous ne prenons le loisir d'examiner ce qui en est, pour asseoir bon et droit jugement, et ainsi nous faillons par faute d'avis. Mais quand on nous avertit, nous commençons à y penser, et sommes tous ébahis comment nous avons été si faciles et légers à croire ce qui n'était nullement probable. Ainsi en est-il advenu en cet endroit. Car, par faute d'avertissement, chacun étant préoccupé de ce qu'il oit dire : voilà le corps d'un tel saint, voilà ses souliers, voilà ses chausses, se laisse persuader que ainsi est. Mais quand j'aurai remontré évidemment la fraude qui s'y commet, quiconque aura un peu de prudence et raison, ouvrira lors les yeux, et se mettra à considérer ce qui jamais ne lui était venu en pensée. Combien que je ne puis pas faire en ce livret ce que je voudrais bien car il serait besoin d'avoir registres de toutes parts, pour savoir quelles reliques on dit qu'il y a en chacun lieu, afin d'en faire comparaison. Et alors on connaîtrait que chaque apôtre

aurait plus de quatre corps (1), et chaque saint pour le moins deux ou trois: autant en serait-il de tout le reste. Bref, quand on aurait tout amassé en un monceau, il n'y aurait celui qui ne fût étonné, voyant la moquerie tant sotte et lourde, laquelle néanmoins a pu aveugler toute la terre.

Je pensais que, puisqu'il n'y a si petite église cathédrale qui n'ait comme une fourmilière d'ossemens, et autres tels menus fatras, que serait-ce si on assemblait toute la multitude de deux ou trois mille évèchés, de vingt ou trente mille abbayes, de plus de quarante mille couvens, de tant d'églises paroissiales et de chapelles?

Mais encore le principal serait de les visiter et non pas nommer seulement. Car on ne les connaît point toutes à nommer. En cette ville (Genève), on avait, ce disait-on, le temps passé, un bras de saint Antoine. Quand il était enchâssé, on le baisait et adorait : quand on le mit en avant, on trouva que c'était le membre d'un cerf.

Il y avait, au grand autel, de la cervelle de saint Pierre. Pendant qu'elle était en châsse, on n'en faisait nul doute; car c'eût été un blasphême de ne s'en fier au billet. Mais quand on éplucha le nid, et qu'on y regarda de plus près, on y trouva que c'était une pierre ponce.

Je pourrais réciter beaucoup de semblables exemples; mais ceux-ci suffiront, pour donner à entendre combien on découvrirait d'ordure, si on

(1) Ils en ont bien davantage. Voyez leurs articles.

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faisait une fois une bonne visitation universelle de toutes les reliques d'Europe : voire avec prudence, pour savoir discerner.

Car plusieurs en regardant un reliquaire ferment les yeux par superstition, afin, en voyant, de ne voir goutte: c'est-à-dire, qu'ils n'osent pas jeter l'oeil à bon escient, pour considérer ce que c'est. Ainsi que plusieurs, qui se vantent d'avoir vu le corps de saint Claude tout entier (1), ou d'un autre saint, n'ont jamais eu cette hardiesse de lever la vue pour regarder ce que c'était. Mais celui qui aurait la liberté de voir le secret, et l'audace d'en user, en saurait bien à dire autrement. Autant en est-il de la tête de la Madelaine, qu'on montre près de Marseille avec le morceau de pâte ou de cire attachée sur l'œil. On en fait un trésor, comme si c'était un Dieu descendu du ciel: mais si on en faisait l'examen (2), on trouverait clairement la fourbe.

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Ce serait donc une chose à désirer que d'avoir certitude de toutes les fariboles qu'on tient çà et là pour reliques: ou bien, au moins, d'en avoir un registre et dénombrement, pour montrer combien il y en a de fausses. Mais puisqu'il n'est possible de ce faire, je souhaiterais d'avoir seulement l'inventaire de dix ou douze villes: comme de Paris, Toulouse, Reims, Poitiers. Quand je

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(1) Il fut brûlé par les ligneurs. Mais on publia ensuite qu'on l'avait retrouvé, et on fit vénérer quelques ossemens. Il était à Genève et ailleurs.

(2) Quelques-uns prétendent que ce n'était qu'une tête de

carlon.

n'aurais que cela, si verrait-on encore de merveilleuses garennes : ou pour le moins, ce serait une boutique bien confuse. Et est un souhait que j'ai accoutumé de faire souvent, que de pouvoir recouvrer un tel répertoire. Toutefois pour ce que cela me serait aussi trop difficile, j'ai pensé à la fin qu'il valait mieux donner ce petit avertissement qui s'ensuit, afin de réveiller ceux qui dorment, et les faire penser ce que peut être du total, quand en une bien petite portion, il se trouve tant à redire. J'entends, quand on aura trouvé tant de mensonge en ce que je nommerai des reliquaires, qui n'est pas à peu près la millième partie de tout ce qui s'en montre que pourrat-on estimer du reste? Davantage, s'il appert manifestement que celles qu'on a tenues pour les plus certaines ayent été frauduleusement controuvées, que pourra-t-on penser des plus douteuses?

Et plût à Dieu que les princes chrétiens pensassent un peu à cela. Car leur office serait de ne permettre point leurs pauvres sujets être ainsi séduits, non-seulement par fausse doctrine, mais visiblement, en leur faisant accroire que vessies de belier sont lanterne, comme dit le proverbe. Car ils auront à rendre compte à Dieu de leur dissimulation, s'ils se taisent en le voyant : et leur sera une faute bien chèrement vendue, que d'avoir permis qu'on se moquât de Dieu, où ils pouvoient donner remède...

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Quoi qu'il en soit, j'espère que ce petit traité servira à tous, donnant occasion à un chacun de

penser en son endroit, à ce que le titre porte. C'est que si on avait un rôle de toutes les reliques qui se trouvent au monde, on verrait clairement, combien on aurait été aveuglé par ci-devant et quelles ténèbres et stupidité il y aurait eu par toute la terre.

De Jésus-Christ.

Commençons donc par Jésus - Christ, duquel, pour ce qu'on ne pouvait dire qu'on eût le corps naturel (car du corps miraculeux, ils ont bien trouvé la façon de le forger, voire en tel nombre, et toutes et quantes fois que bon leur semblerait), on a amassé au lieu mille autres fatras pour suppléer ce défaut. Combien encore qu'on n'a point laissé échapper le corps de JésusChrist, sans en retenir quelque lopin. Car outre les dents et les cheveux, l'abbaye de Charroux, ́au diocèse de Poitiers, se vante d'avoir le prépuce c'est-à-dire, la peau qui lui fut coupée à la circoncision. Je vous prie, d'où est ce que leur est venue cette peau? L'évangéliste saint Luc récite bien, que Notre-Seigneur Jésus a été circoncis (1) mais que la peau ait été serrée, pour la réserver en relique, il n'en fait point de mention; toutes les histoires anciennes n'en disent mot. Et par l'espace de cinq cents ans, il n'en a jamais été parlé en l'église chrétienne. Où est-ce donc qu'elle était cachée, pour là retrouver si soudainement? Davantage, comment eût-elle volé

(1) Luc, chap. 2, 22.

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