éloignés, au lieu de la cultiver dans le leur. Cette inaction et cette indolence des gens du pays, qui cependant ne peuvent se passer d'une matière de première nécessité, a rendu tributaires la plupart des provinces de la côte. Celle de Cochabamba, dont la consommation pour les fabriques et l'exportation des produits égalent peut-être celles de toutes les autres ensemble, offre les plus grandes facilités et des terrains propres à la culture de cette plante, dont on pourrait aisément fournir tout le pays sans sortir de la province. Mais elle est restée, comme toutes les autres, dans l'inaction jusqu'à ces dernières années ; et il n'y a eu que l'activité et les sages mesures du gouverneur actuel, qui aient été capables de réveiller les habitans engourdis depuis long-tems par l'indolence et la paresse, et de les engager à employer leurs bras à un travail qui, en peu d'années, pourrait les rendre heureux. On peut compter parmi les terrains de la province les plus propres à cette plante, l'immense gorge de Rio-Grande, depuis le district d'Arque jusqu'à l'extrémité de celui de Valle-Grande; les gorges de la rivière de Lambaya et de celle de Cotacages, dans le district d'Ayopaya; la plupart des terrains des districts de Mizque, de ValleGrande et de Santa-Cruz, et enfin les montagnes des environs habitées par les indiens Furacarees, Raches et Macotenes, dans une étendue de plus de cent lieues de long, dont on ne connaît pas les limites intérieures. D'après le relevé exact des caisses royales, la ville seule de Cochabamba consommait annuellement dans ses fabriques, de trente à quarante mille arrobes de coton, ce genre d'industrie étant le seul qui occupe les bras de sa grande population. Non-seulement cela procure des profits considérables au commerce de cette ville, mais les classes inférieures qui s'occupent de ce genre de travail, en tirent la plus grande partie de leur subsistance. Les toiles de Cochabamba, quoique inférieures à celles d'Asie, ont été pendant cette guerre l'unique ressource de ces provinces de l'intérieur, et elles ont servi à vêtir une multitude de personnes qui sans cela seraient restées nues, à cause du peu de communication que l'on a eu avec l'Europe, et du manque total d'étoffes étrangères. En considérant les circonstances relatives à la situation de ce pays et au caractère moral de ses habitans, il est utile et même nécessaire d'y encourager la culture du coton par tous les moyens possibles, ainsi que sa fabrication, qui s'y trouve encore dans l'enfance. Voici les raisons sur lesquelles je me fonde. On trouve dans le centre du pays cette matière de la première qualité et en abondance; les provinces qui jusqu'à présent ne se sont pas adonnées à ce genre de culture, jouiront de cette plante aussitôt qu'elles voudront en faire des plantations. Ces fabriques ne peuvent nuire à celles d'Espagne, qui se fournit de coton dans ce pays même. Le fret, le transport et les droits d'entrée et de retour augmenteront nécessairement le prix des objets fabriqués, de telle sorte qu'ils ne pourront être à l'usage que de la classe aisée, toujours la moins nombreuse. L'expérience a détruit les préjugés contraires chez les nations qui possèdent des colonies; et les anglais, dont les fabriques sont les plus florissantes de toutes, ont été les premiers à donner l'exemple en encourageant les fabriques de ce genre à la côte de Coromandel et du Bengale, et dans tous leurs établissemens aux grandes Indes. La compagnie des Indes de cette nation absorbe les sommes immenses que coûtent la plupart des marchandises qui nous sont apportées, comme venant de la Chine, par la compagnie des Philippines, et par les vaisseaux de retour des Indes. Il y a plus: le peu de fabriques qui existent aujourd'hui en Espagne ne suffit pas pour fournir des royaumes aussi vastes que ceux du Mexique et du Pérou. Il convient également que les habitans du pays aient, outre l'agriculture, un autre genre d'occupation. Or, je n'en trouve point d'autre, excepté l'exploitation des mines. Ce dernier travail est en grande partie réservé exclusivement aux indiens par le réglement de la Mita, qui, par ses priviléges, est un fléau plus terrible pour ces malheureux qu'une maladie contagieuse ou une longue peste. Les castes intermédiaires et mélangées forment le plus grand nombre dans tous les endroits un peu considérables. Tous les individus de ces classes n'ont pas de terres propres à l'agriculture ; et faute d'occupation utile, ne doit-on pas craindre que le pays ne se remplisse bientôt d'une foule de vagabonds que le penchant à l'oisiveté naturel à ces contrées entraînerait bientôt dans les plus grands désordres. La fabrication des étoffes, occupation aussi hon 9 nête qu'utile, est le meilleur moyen pour faire de cette classe de gens, des sujets laborieux et utiles au roi, à l'Etat et à eux-mêmes, et pour arrêter les désordres que ne manquent jamais de causer l'oisiveté et la fainéantise. Par combien de mains une arrobe de coton ne passe-t-elle pas avant que l'art l'ait réduite à l'état de toile? Hommes, femmes, enfans trouvent à s'occuper pour égrainer filer, carder, arçonner ou tisser chacun selon ses forces, son âge et son talent. D'ailleurs, toutes ces opérations sont l'occupation favorite de toute espèce de gens dans ce royaume. Le nombre étonnant de ceux qui s'y occupent dans tous les genres, et au plus bas prix, prouve de la manière la plus convaincante mon assertion ; et cela même promet à l'Etat, pour l'avenir, des membres laborieux et utiles. L'industrie de ce pays est encore dans l'enfance; mais les habitans font déjà beaucoup, si l'on considère les idées et les principes bornés qu'ils ont pu acquérir sur un art aussi utile. Ils n'ont pour travailler que les plus mauvais instrumens et des métiers mal construits; ils ignorent l'usage des machines qui facilitent et abrègent les différentes opérations. |