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DES FOUS.

DE QUELQUES LIVRES EXCENTRIQUES.

J'entends ici par un livre excentrique un livre qui est fait hors de toutes les règles communes de la composition et du style, et dont il est impossible ou très dimcile de deviner le bat, quand il est arrivé par hasard que l'auteur eûl un bat en fécrivant. Ce seroit très mal jųger Apulée, Rabelais, Sterne, et quelques autres, que d'appeler leurs ouvrages des livres excentriques. Dans les brillantes débauches de leur imagination, la raisọn n'est point un guide éclairé qui les précède ou les accompagne, mais c'est une esclave soumise qui les suit en souriant. Le Moyen de parvenir, si mal à propos attribué à Beroalde de Verville, n'est pas lui-même un livre excentrique. C'est une facétieuse image des saturnales de l'esprit débarrassé de toute contrainte, et livré sans listères à la fougue de ses caprices. Il faut sans doute avoir pris en grand dédain la fausse sagesse des hommes pour s'en jouer avec cette audace, mais il faut connoitre ses ressources et posséder ses secrets. Si on pénétroit bien avant dans le mystère de ce travail, on y trouveroit peut-être plus d'amertume et de dégoût que de cynisme et de folie.

Les livres excentriques, dont je parlerai fort superfciellement dans ces pages dont le cadre est extrêmement

eirconscrit, ce sont les livres qui ont été composés par des fous, du droit commun qu'ont tous les hommes d'écrire et d'imprimer; et il n'y a pas de génération littéraire qui n'en offre quelques exemples. Leur collection formeroit une bibliothèque spéciale assez étendue que je ne recommande à personne, mais qui me paroît susceptible de fournir un chapitre amusant et curieux à l'histoire critique des productions de l'esprit. Je me contenterai, suivant mon usage, d'effleurer cette matière, pour la signaler à des études plus libres, plus laborieuses, et plus étendues que les miennes. Mes savants amis Brunet et Peignot pourroient y trouver le texte d'un ouvrage très piquant, qui prendroit one place essentielle et vide encore dans les annales de l'intelligence humaine.

Il y auroit même moyen de lui donner un aspect satirique en faisant rentrer dans cette catégorie toutes les extravagances publiées avec une bonne foi naïve et sérieuse par les innombrables visionnaires en matière religieuse, scientifique ou politique, dont nos siècles de lumières ont foisonné depuis Cardan jusqu'à Svedenborg, et depuis Svedenborg jusqu'à tel écrivain vivant, dont je laisse le nom en blanc pour ne point faire de jaloux; mais cette base serait trop large, et le bibliographe risqueroit de s'égarer en la mesurant. Le plus sûr est de l'enfermer dans un petit tour de compas qui n'excèdera pas de beaucoup l'enceinte géographique de la Salpêtrière ou de Charenton. Nous y logerons les plus pressés, en attendant que le bon sens des nations ait fait justice des autres.

La liste des fous, ainsi restreinte aux fous bien avérés qui n'ont pas eu la gloire de faire secte, ne sera jamais fort longue, parce que la plupart des fous conservent du inoins assez de raison pour ne pas écrire. Elle n'effraieFa pas les honnêtes gens qui fɔnt leurs délices de la gra

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cleuse et frivole science des livres. Je leurs tafllerofs une tout autre besogne en leur proposant de s'ocèuper de la Bibliographie des sots. Cela, c'est la mer à bolre.

L'histoire littéraire des anciens n'enrichiroit pas beau, coup la nomenclature des fous qui ont écrit, puisque nous n'y admettons ni les poètes ni les philosophes. La folie même étoit de leur temps une maladie rare ou peu connue, à moins qu'elle ne se soit sauvée alors de la déconsidération où elle est tombée aujourd'hui, sous quelque sobriquet honorable. On enverroit maintenant Diogène aux petites-maisons, et les Abdéritains, plus sages qu'Hippocrate, faillirent y envoyer Démocrite. C'est une chose admirable que d'être né à propos.

Il y avoit d'ailleurs dans l'antiquité une puissance éminemment sociale qui maintenoit de siècle en siècle dans un constant équilibre l'intelligence des peuples, et qui affranchissolt chaque génération nouvelle des aberrations les plus grossières de la génération passée. L'absurde n'avoit qu'un temps. Cette puissance, tombée en désuétude, palladium gothique des polices humaines, s'appeloit le sens commun. Il resultoit dé là que la folie he voit que l'âge d'un fou, et qu'elle ne s'étendoit point aux ages suivants comme une contagion triomphante, ear la presse l'étoit pas inventée. Aux jours où nõus vivons, Ië' livre remplace l'homme, et s'il fait vibrer par hasard und corde Ifritable de l'imagination ou du cœur, il devient' thaumaturge ét sectaire comme le fou qui l'à'écrit. Dé-" puis Guttenberg et les siens, Pastrologie judicialré a te gne deux siècles, l'alchimie deux siècles, la philosophte voltairienné un sièclè, et jé ne répondrois pas qu'ette fat morte. Il n'y en auroit pas eu pont vingt-cing any Home. Il n'y en auroit pas eu pour cinq ans du temps

de Cicéron, où un livre insensé n'auroit trouvé ní copistes, ni acquéreurs.

La publicité ne mettoit en circulation chez les anciens que des ouvrages soumis à une censure préalable, car la pensée étoit soumise à une censure inflexible dans leurs républiques modèles, et j'ai déjà nommé le tyran qui l'exerçoit avec une autorité souveraine. C'étoit le sens-commun, la bonne foi, la conscience, la raison unanime du peuple. Chez les modernes, la publicité verse dans la circulation immense des livres, sans examen et sans choix, tout ce qu'il y a de bon et d'utile, tout ce qu'il y a de mauvais et de dangereux, tout ce qu'il y a d'Inepte et de ridicule, tout ce qui peut servir à éclairer les hommes sur leurs intérêts moraux ou à les perdre irréparablement jusqu'à la consommation des âges.

C'est grâces à un tel état de choses que la folie et les fous peuvent avoir quelques intérêts à démêler avec l'érudition bibliographique et la littérature. On ne se seroit pas avisé de ce phénomène du temps d'Aristote, d'Horace et de Quintilien.

Un des plus grands fous dont les quatre siècles de Pimprimerie me rappellent le souvenir, s'appeloit François Colonna, ou Columna. C'étoit un religieux dominicain de Trévise ou de Padoue, qui avoit perdu la tête de deux passions à la fois, et il n'en faut que moitié pour troubler un meilleur cerveau. La première étoit celle que lui avoit inspirée l'étude de l'antiquité et de ses monuments; nous vivons heureusement à une époque où elle obtiendroit quelque indulgence. La seconde, qui en mérite davantage à mon avis, même dans un domi-, nicain, c'étoit l'amour. Une Ippolita ou Polita qu'il a nommée Polia par respect pour le grec, et dont le bap-.tême scientifique a donné lieu à d'étranges conjectures, acheva de lui déranger l'esprit, et comme il étoit écrit

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