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cela on imagina de lui donner, en Mais on sait qu'en homme prudent apparence du moins, la direction il ne brûla jamais entièrement ses d'un établissement industriel qu'il vaisseaux, et qu'en s'éloignant d'un accepta avec d'autant plus de plaisir parti il s'arrangea toujours de maque, dans les vicissitudes de sa vie, il nière à pouvoir y revenir un jour. avait passé quelques mois comme Dans cette occasion cependant il simple ouvrier dans un atelier de suivit une autre méthode, et parut ce quartier. Dès le commencement avoir entièrement renoncé à la poil fit si bien, donna des preuves de litique, pour se livrer exclusivetant de dévouement qu'un fort bon ment à la littérature, où il trouva, traitement lui fut accordé, et que le a-t-il dit, une compensation digne ministre de la police, persuadé de lui! Et il ajoute à cette naïveté qu'il pouvait tirer bon parti de que c'est de cette époque que date tant de zèle et d'intelligence, l'ap- sa carrière littéraire; ce dont on pela auprès de lui, et en fit un peut s'étonner, puisqu'il avait alors agent confidentiel, un secrétaire trente-deux ans, et que jusque là, il intime. C'était à l'époque du 18 s'était occupé d'objets fort étranfructidor an v (sept. 1797) où le gers aux lettres et surtout à la poéparţi royaliste, si mal dirigé, com- sie pastorale, qui n'était certaineme toujours, fut complétement ren- ment ni dans ses goûts ni dans ses versé. Tissot a dit que sa position habitudes. Ce fut cependant par le mit à même de rendre des ser- là qu'il débuta en publiant une vices à plusieurs des victimes de traduction des Bucoliques de Vircette révolution; mais il ne les gile à laquelle il joignit des mornomme pas, et nous pensons que ceaux de Théocrite, de Bion, de s'il fit quelque chose pour l'un des Moschus, et l'épisode d'Euryale et partis qui se combattaient alors, Nisus traduit de Virgile. Cette puce ne fut pas pour les royalistes, blication étonna d'autant plus que qu'il a toujours détestés, et dont il c'était précisément l'époque où Decraignait le juste ressentiment, lille annonçait sa traduction de mais plutôt pour celui de la Révo- l'Enéide et que toutes les bouches lution qu'il a toujours servi, et de la renommée semblaient occudont il attendait tout pour son pées de vanter ce grand poète. avenir. Quoi qu'il en soit, son crédit Une aussi redoutable concurrence se maintint au ministère de la ne l'effraya pas, et, fort de l'appui police jusqu'aux élections de 1798, de ses amis qui rédigeaient alors la où le parti ultra-révolutionnaire plupart des journaux, il obtint qui dominait, et auquel il était tou- en moins de trois ans une quajours essentiellement lié, se divisa trième édition, ce qui étonna; en plusieurs fractions et donna au car au fond c'est un ouvrage directoire de si vives inquiétudes médiocre et dont beaucoup penque ce gouvernement se crut obligé sent qu'il ne fut pas seul l'aud'annuler les élections qu'il avait teur; ce qui est d'autant plus faites, et dans lesquelles Tissot probable que jusque-là la culture avait été nommé député, ce qui des lettres n'avait pas été son unifut d'autant plus fâcheux qu'en que soin. En 1799, au moment même temps il perdit son em- où la république fut près de ploi au ministère de la police. tomber sous les coups d'une

troisième coalition, on l'avait vu dans cette occasion, ajouta beaucoup s'agiter de nouveau dans les clubs à son crédit; son traitement fut et surtout dans celui du Manége, où porté à douze mille francs. On sent la faction démagogique fut si près à quel point cette faveur dut de ramener le régime de la Con- augmenter son zèle, son activité, vention, ce que put seule empê- et de quelles investigations il dut cher l'arrivée de Napoléon qui, à être chargé. Comme la plupart des son retour d'Egypte, fixa pour long- gens de lettres étaient restés dans temps les destinées de la France par l'opposition, ce fut plus particuliè la révolution du 18 brumaire.On ne rement vers cette classe d'hommes peut pas douter qu'en cette mémo- toujours très-nombreuse et trèsrable journée Tissot n'ait figuré influente à Paris, qu'il dirigea ses avec tous ses amis dans les rangs regards. Au premier rang de ces de l'opposition. Ce qui le prouve hommes d'élite se trouvait le poète péremptoirement, s'il n'en existait Delille, vieillard très-célèbre par son pas d'autres témoignages, c'est talent, et surtout par ses opiqu'on le porta sur la liste de pro- nions monarchiques; mais du scription, qui, grâce à la clémence reste homme très-pacifique et tout consulaire, ne fut que commina- à fait incapable de prendre part à toire. On croit que ce fut alors qu'il la moindre intrigue. C'était l'épos'arrangea avec le ministre de la que où récemment revenu de l'épolice Fouché, pour n'avoir plus migration, il avait publié son rien à redouter de pareil. Ce- poème de la Pitié dans lequel pendant vers la fin de la même étaient attaqués avec tant de vigueur année il fut encore une fois com- les hommes et les choses de la Répromis et arrêté par suite de l'ex- volution; ce qui, attirant auprès de plosion du 3 nivôse à laquelle lui beaucoup de partisans de ces il était certainement étranger, opinions, devait en exclure Tiscomme nous l'avons dit à l'article sot, et ce qui cependant lui fit Saint-Réjant (Voy. ce nom, LXXX, concevoir d'autant plus le désir 399). Peu s'en fallut cependant que de s'y introduire. Mais pour cela pour cela il fût envoyé aux îles Sé- quel moyen employer? Personne chelles avec ses amis Rossignol et n'eût pensé qu'il l'osât! il l'osa ceFournier. Il a dit plus tard que ce fut pendant; et ce fut sous les auspices par la protection de Monge, de Ber- de l'astronome Lalande, non moins thollet et de Mme Bonaparte qu'il décrié que lui par ses opinions rése tira de ce mauvais pas; mais volutionnaires et antireligieuses. nous pensons que ce fut plutôt par Mais c'était un savant distingué qui ses rapports avec Fouché, comme avait été le confrère de Delille au nous venons de le dire, à quoi on a collége de France, et qui conservait même ajouté que ce fut par suite de avec lui des rapports de politesse et ces rapports que se découvrit en- de bienséance auxquels ce poète ne suite le complot de Cerachi et de To- manqua jamais. Nous fumes témoin pino-Lebrun (Voy. ce nom, XLVI, de cette première entrevue. C'est 247) qu'il avait autrefois connus un fait assez important dans l'hisdans les ateliers de David, et dont il toire littéraire de l'époque, et nous ne s'était jamais tout à fait séparé. voudrions pouvoir n'en rien ometLe service qu'il rendit à la police tre. Forcé de nous borner aux prin

geac. Nous ne citerons que les der-
niers, où il a représenté :

Antigone à son gré
Recevant en son bouge,

Son époux en bonnet carré,
Et son amant en bonnet rouge.

C'est ainsi, il faut le dire, à la honte de notre siècle, que Tissot est devenu le suppléant, le successeur, de l'un de nos plus grands poètes; c'est ainsi qu'il a pu se dire son ami et qu'enfin, appuyé par ce beau nom, il est entré à l'Académie ! Depuis longtemps le poète était mort lorsqu'on lui fit cet honneur. C'était en vain que deux fois, dans les derniers temps de sa vie, pressé par sa Xantippe le nouveau Socrate était allé porter le nom

cipaux traits, nous dirons que la conversation fut d'abord vague et peu signifiante, n'ayant de remarquable que quelques mauvais lazzis, quelques plats quolibets que le vieux astronome lança, selon son usage, contre la religion, les émigrés; et que Delille releva avec autant d'esprit que de politesse. Quant à Tissot, il parut fort embarrassé, presque honteux de sa démarche, et sortit sans qu'on pût dire quel en avait été le but, de façon que le poète resta sur ce point dans la plus complète ignorance, et que nous-même, connaissant peu celui qui devait être son successeur, nous ne fûmes pas moins embarrassé le lendemain lorsqu'il nous fit quelques questions de son suppléant dans l'urne à cet égard, de manière que tous les deux nous restâmes persuadés que les choses en resteraient là. Mais il n'en devait pas être ainsi. En habile observateur, Tissot avait aperçu, au premier coup-d'oeil, toutes les allures, tous les goûts de ce ménage bizarre, il faut le dire; et surtout il avait compris le caractère de la femme à laquelle Delille avait donné son nom et tout pouvoir dans sa maison, de manière qu'aucun accès n'y était possible si l'on ne commençait par se prosterner devant celle qu'il avait d'abord nommée son Antigone, et qu'avec plus de raison il aurait dû nommer sa Xantippe. Dès que l'habile observateur connut bien la statistique du ménage poétique, il comprit sans peine tout le parti qu'il devait en tirer, et, n'oubliant rien de ce qui pouvait flatter les goûts de cette dame, il fut bientôt maître du logis beaucoup plus que le poète lui-même. Tout le monde a connu les vers que l'indignation inspira sur ce triste sujet au chevalier de Lan

académique; mais ce ne fut que longtemps plus tard, après la révolution de 1830, qu'avec tant de raison il appelait sa restauration, que, protégé par le gouvernement de ce temps-là, et sans doute aussi par le nom de Delille, il put s'asseoir au nombre des quarante, ainsi que nous le dirons plus tard. Il faut qu'auparavant l'on sache ce que furent pour lui les premières conséquences de son succès auprès du grand poète. Cette conquête, comme il l'appelait lui-même, avait fort augmenté son crédit au ministère de la police; et elle le fit connaître non moins utilement dans d'autres administrations, notamment à celle des droits réunis, où l'on sait que le directeur François de Nantes, aimant à se faire considérer comme le Mécène de l'époque, quoiqu'il ne fût pas pas contrôleur des finances, donnait aux gens de lettres et aux savants, suivant le précepte de Voltaire:

Par-ci par-là de bonnes ordonnances,

et même des appointements à l'année, sans qu'ils eussent autre chose à faire que d'en émarger les quittances une fois tous les mois. Celui de Tissot fut de huit mille francs, ce qui avec les douze mille de Fouché, la suppléance de Delille et le casuel de la police, toujours considérable dans les premiers emplois, lui fit un assez beau revenu. « Ce n'est pas << sans peine, a dit l'historien Gal« lais, l'un des hommes les mieux « placés pour savoir ce qui se passait dans la police littéraire, qu'on « voyait à côté du latiniste Le<< maire, le nommé Tissot, l'un a des plus fougueux Jacobins du «Manége, un homme qui, après « avoir provoqué au meurtre et au « pillage en 1799,a trouvé le secret « en 1809 ́de se faire payer 8,000 « francs aux droits réunis, 12,000 a francs à la police, et 6,000 francs à <«<l'instruction publique. » C'est avec ces modestes revenus que Tissot vécut jusqu'à la disgrâce de Fouché en 1809. Et qu'on ne croie pas qu'il en perdit la moindre partie à la chute de son premier protecteur. Comme nous l'avons dit, ne brûlant jamais entièrement ses vaisseaux, il savait toujours, quel que fût le vainqueur, se ménager une retraite. Loin d'avoir associé irrévocablement sa destinée à celle de Fouché, on le vit s'attacher plus que jamais à celle de Savary, qui lui succéda, et grandir, s'élever encore sous un ministre qui l'avait autrefois poursuivi comme Jacobin, qu'à cause de cela il avait appelé le Tristan du XIXe siècle, et qui maintenant allait en faire un de ses conseillers, le recevoir dans son intimité, et lui confier la direction, la surveillance de tous les écrits politiques, avec d'amples émoluments. C'était le temps où ce ministre ima

gina d'exproprier tous les journaux et de les distribuer aux amis, aux agents de son ministère.La suprême direction de la Gazette de France fut donnée à Tissot; on le chargea d'en surveiller la rédaction ; et, ce qui est l'indice d'une faveur encore plus haute, il fut admis au conseil privé du duc de Rovigo, et fit partie de ces déjeuners où se décidaient à table inter pocula et scyphos les affaires des journaux, de l'Académie et même celles de l'Église (Voy. Savary LXXXI, 205). C'était aussi dans ces réunions que l'on évaluait, que l'on tarifait les nouvelles productions et les rémunérations auxquelles elles avaient droit. Tissot y était consulté le premier, et l'on doit bien penser que dans ces évaluations il n'oubliait pas ses amis, qu'il ne s'oubliait pas lui-même.

Si l'on ajoute à tant d'avantages tous les anciens traitements qui n'avaient pas cessé de lui être comptés, on comprendra l'opulence dans laquelle il dut vivre à cette époque, et les chagrins que dut lui causer le retour des Bourbons en 1814,lorsqu'il vit se fermer pour lui et ses amis les caisses de la police, celles des droits réunis et d'autres encore ! Si l'on y ajoute ses craintes trop fondées, d'être recher ché pour tant de fâcheux antécédents, dans sa carrière révolutionnaire, on concevra son inquiétude, et l'on comprendra les motifs qu'il eut de se tenir caché au moins pendant les premiers jours. Mais bientôt, rassuré par les paroles de clémence,d'oubli, que proclama si généreusement le frère de Louis XVI, et plus encore par la rénovation et le rétablissement non moins généreux,ni moins imprévu, des doctrines, des principes de 1789, même de ceux de 1793 que Napoléon avait

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si habilement réprimés, il ne tauration se fut accomplie, et que craignit plus de se montrer; et Louis XVIII se vit obligé d'aller lorsque les auteurs de la révolution demander un asile aux étran furent si clairement, si positivement gers, Tissot ne fut pas des derinvités à la recommencer, il ne fut niers à le honnir, à siffler le roi pas des derniers qui répondirent détrôné; puis, s'étant mis à à cette invitation. Alors, plein d'une la tête de la populace des faunouvelle ardeur, il entra dans tou- bourgs, parmi laquelle il avait tes les associations, dans tous les figuré si longtemps, il la conduisit complots qui se formèrent, en pré- aux Tuileries, pour féliciter Naposence, et l'on peut dire sous ia pro- léon, qui fut probablement peu tection des Bourbons, avec l'inten- flatté de sa harangue, faite au nom tion peu dissimulée de combattre, d'un parti qu'il avait toujours craint, de renverser leur pouvoir.Sans être méprisé, et qu'en ce moment, déjà au premier rang de ce parti, Tissot honteux des concessions faites, il y eut dès lors une influence qu'on était impatient d'éconduire, n'atne pouvait refuser à son zèle, à sa tendant pour cela qu'une victoire longue expérience. C'était surtout qui malheureusement ne vint pas. ́dans les luttes de la presse, dans les Hélas! il devait en être autrement intrigues de la police qu'il devait de nos destinées et des siennes! figurer avec le plus d'avantage; et Quand le sort de la France fut enl'on ne peut pas nier que, sous ce core une fois dans les mains des rapport et sous beaucoup d'autres, étrangers, après la bataille de Waune belle carrière ne lui fut ouverte. terloo, et que, sous les auspices des Beaucoup de ses amis du ministère, rois coalisés, Louis XVIII put y comme lui vétérans de 1789 et rentrer, on dut croire que d'aussi de 1793, s'empressèrent d'y entrer. dures leçons ne seraient pas perAinsi renforcée par les anciens dues, qu'il en profiterait au moins adeptes et par les jeunes élèves que pour établir son pouvoir sur des bala révolution avait vu naître,qu'elle ses plus solides, pour le mettre en des avait élevés selon ses principes, mains plus sûres; mais ce ne fut pas cette faction anti-monarchique créa sans une extrême surprise qu'on le les carbonari, les philadelphes, vit, au contraire, se hâter de réhabiles chevaliers de la liberté, etc., etc., liter de nouveau la révolution, avec qui ont fait au gouvernement toutes ses conséquences, dans les royal une guerre si acharnée, choses comme dans les personnes! et qui ne devait finir, qu'avec lui. Et ce qui ne doit pas moins étonCe fut sous la même inspiration et ner, c'est que ce fut encore une fois dans le même but, que ce parti créa d'accord avec les puissances coaliencore ce fameux comité-directeur, sées et par leur intervention,comme ce pouvoir occulte, et duquel rele- nous l'avons fait connaître de la vaient tous les autres; ce pouvoir qui manière la plus positive et la moins gouverna la France plus réellement récusable, dans la notice Talleyet plus habilement peut-être que rand insérée au 83e volume, et Louis XVIII et ses ministres (Voy. comme nous le ferons encore, avec Berton, LVIII, 153, et Mangin, de nouveaux documents dans la noLXXII, 470). Lorsque la pre- tice Wellington qui nous reste à faimière année de cette bizarre res- re.Tissot et ses amis,qui ne s'étaient

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