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L'Espagne, plus indépendante et appuyée de notre alliance, ne lui offre pas à beaucoup près une perspective aussi tranquille, aussi riante; mais le caractère du peuple anglois (l'esprit de rapine) lui fait plus desirer que craindre une rupture avec cette couronne, et le ministère est plus occupé à réprimer qu'à exciter dans la nation, l'ardeur du butin qui l'anime sans cesse contre l'Espagne. Les troupes, la marine et les armateurs réclament sans cesse une proie aisée. C'est ainsi qu'ils regardent et les flottes des Indes (1), et les riches côtes de l'Amérique espagnole. Les événemens d'une seule campagne n'ont point démenti cette audace, fondée sur deux siècles de succès (2). Ainsi les forces de l'Espagne, toujours exagérées par l'hyperbole nationale, n'en imposent guère plus aux Anglois que celles du Portugal. C'est la paix qui les enrichit avec l'une, en faisant passer dans guerre contre l'autre, les enrichiroit davantage au gré de leur cu pidité; elle y feroit tomber tout l'or du Potosi. C'est leur façon de voir, et malheureusement on n'a point de faits à citer pour détruire cette prévention.

leurs mains tout l'or du Brésil. La

De tous les Etats d'Italie, Gènes et la Toscane sont les plus commerçans, et par conséquent les plus exposés aux insultes de la marine angloise; et si l'on excepte le pape et le roi de Sardaigne, ils sont le moins en état de s'en défendre. Aussi, les plus grands respects des Génois, l'accueil le plus flatteur de la cour Grand-Ducale, sont-ils acquis de droit aux officiers, aux voyageurs de cette nation. Naples la ménage, Rome la craint et la caresse; elle est fêtée à Venise, dominante à Turin. Elle donne la loi partout où il y a des mers et des côtes.

De tous côtés donc, la position respective de l'An

(1) On fe fert encore ici d'une dénomination vicieuse, mais confacrée par l'ufage; l'Amérique espagnole n'ayant rien de commun avec le fleuve Indus, qui a donné fon nom à ces riches contrées de l'Afie.

() M. Pitt l'avoit bien prévu; il infiftoit depuis long-tems pour faire déclarer la guerre à l'Espagne: il difoit familièrement qu'on n'en mettroit pas plus grand pot au feu, qu'on en feroit bien meilleure

chère.

gleterre, à l'égard des puissances de l'Europe, paroît assurée, respectable aux unes, redoutable aux autres, telle enfin qu'a été et que devroit encore être celle de la France. Mais d'après tous les faits publics ou connus, quelle est à présent la position de l'Angleterre, à l'égard de cette couronne?

Il est triste de l'avouer, c'est celle de l'ancienne Rome relativement à Carthage, entre la seconde et la troisième guerre punique.

La puissance victorieuse se fit alors un principe eruel, inique sans doute, mais excusé peut-être par la raison d'Etat : ce fut de ne plus consulter ni la justice, ni le droit des gens dans tous les démêlés qui pourroient s'élever entre elle et la puissance vaincue; de n'admettre qu'une loi, qu'une règle invariable, c'est à dire, la maxime atroce que ce n'étoit pas assez d'avoir abaissé Carthage, qu'il falloit la détruire. Delenda Carthago, s'écrioit sans cesse le plus juste des Romains, Caton le censeur. En partant de ce principe, il ne fut plus possible aux malheureux earthaginois de laisser entrevoir seulement le desir de rétablir leur marine. Il leur fut même défendu de l'entretenir, et de simples réparations étoient aussi-tôt suspendues que remarquées par les Romains: c'étoient, disoient-ils, des préparatifs d'armemens redoutables. On plia d'abord, et long-temps l'orgueil des vainqueurs augmenta toujours avec l'abaissement des vaincus. Les plaintes des uns n'obtenoient des autres que des menaces, des vexations renaissantes et redoublées. Tout périssoit; et cependant Carthage ne pouvoit subsister sans commerce ni le protéger sans marine. Elle voulut trop tard tenter quelques efforts pour rétablir la sienne. Ce prétexte heureux fut évidemment saisi aussi-tôt un autre Scipion, une flotte, une armée romaine, vient fondre sur les côtes d'Afrique; toutes les places maritimes sont enlevées, Carthage est assiégée, elle est prise et détruite.s

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L'Angleterre, ans doute, n'espère pas de pren→ dre et de brûler Paris, de détruire la monarchie françoise. Sa puissance de terre est aussi inférieure à la notre, que Rome à cet égard étoit supérieure à

Carthage; mais ses forces de mer ont pris sur les nôtres le même ascendant, pendant et depuis la dernière guerre. Elle a plus que jamais adopté le même principe de ne pas nous laisser relever, de veiller sans cesse sur nos ports, sur nos chantiers, sur nos arsenaux de guetter nos projets, nos préparatifs, nos moindres mouvemens, et de les arrêter tout court, par des insinuations hautaines ou des démonstrations menaçantes.

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Elle ne nous a pas, il est vrai, imposé littéralement des loix aussi dures que les romains en avoient prescrit aux carthaginois par le traité de paix qui termina la seconde guerre punique; celui de Paris n'a pas réduit et fixé le nombre des vaisseaux qu'il nous seroit permis de conserver et d'entretenir; nous n'avons pas été obligés de livrer ou de brûler les autres on ne traite pas aujourd'hui avec une puissance formidable sur le continent, comme on traitoit jadis avec des républiques marchandes qui n'avoient qu'une petite isle (1) ou des lizières de côtes (2); mais l'Angleterre n'en est que plus injuste à l'égard de la France, en voulant lui interdire un droit, une liberté dont elle ne s'est point départie. Elle n'a même dans la forme, un prétexte pour juspas tifier la contrainte où elle prétend nous assujettir. Aussi a-t-elle au fond bien plus de raisons, pour son intérêt et sa propre conservation, d'en user ainsi à notre égard, que Rome à celui de Carthage.

L

Supérieure en toute autre chose, la France ne le cède, même en fait de marine, qu'à l'Angleterre seule. Si celle-ci lui laissoit le loisir de rétablir la sienne, il n'y auroit bientôt plus d'égalité. Les avantages naturels de la France, ses moyens, ses ressources du sol, de la population, de l'industrie, du numéraire, l'enthousiasme patriotique dont la nation est susceptible, pour peu qu'elle soit encouragée, tout

(1) C'étoit le cas des rhodiens, autrefois les maîtres des mers du Levant, à qui les romains impofèrent d'abord les mêmes loix, & qu'ils foumirent enfuite à leur domination.

(2) Les carthaginois n'avoient, à proprement parler, prefque plus de territoire; les romains leur avoient déjà enlevé l'Espagne, La Sicile & les autres ifles de la Méditerranée.

cela mis en oeuvre avec intelligence, manié avec ordre, développé avec énergie, formeroit un poids, masse dont l'impulsion bien dirigée renverseroit enfin le colosse de la puissance angloise.

une

Le parlement, le ministère n'est pas ébloui, comme le peuple, d'un enchaînement de prospérités passagères, de l'étendue immense des colonies, des conquêtes en Amérique, ni de la multiplication des millions sterlings en papier dans la circulation intérieure. L'administration éclairée laisse subsister, dans l'esprit du peuple, la confiance aveugle, la présomption brutale. Elle sait que pour lui, il n'y a point de milieu entre l'ivresse et l'abatement; elle montre en public la plus grande fierté, la sécurité la plus profonde; mais dans le silence du cabinet, elle apprécie à froid la fortune idéale, les ressources factices et les moyens forcés qui soutiennent encore l'édifice de cette puissance. Elle sent la disproportion, la disjonction des pièces dont il est composé, leur tendance naturelle à l'écroulement, à la dissolution; les mouvemens convulsifs de l'Irlande fatiguée du joug, le danger prochain et inévitable d'une scission entre les colonies et la métropole; l'immensité de la dette nationale; l'écoulement continuel des espèces et des matières d'or et d'argent, pour faire face aux traites étrangères; le péril imminent d'une banqueroute, et cependant la nécessité d'augmenter cette dette par l'impossibilité de créer de nouveaux impôts, et peut-être celle de trouver encore des fonds, si le cas arrivoit d'une nouvelle guerre contre la France, mieux préparée, mieux administrée; » et puis » qu'il faudroit l'avoir tôt ou tard, il vaudroit mieux 22 la commencer tout-à-l'heure avec avantage, que " de l'attendre avec foiblesse, et la soutenir à forces » inégales. "

C'est ainsi que raisonne le comité secret (1), et il

(1) Ce comité eft compofé de trois miniftres prépondérans : milord Rocheford dirige les affaires étrangères; Sandwick, la marine, qui feule peut donner du poids aux négociations; & milord North les finances au foutien de la marine. On n'a point avec eux les moyens que la France a employés fi heureufement fous Louis XIV, auprès des miniftres de Charles II. Tout eft bien changé depuis ce

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ne raisonne pas mal. D'après ce principe, il n'est occupé que d'entretenir la marine angloise sur un pied respectable, de tenir la nôtre dans l'inertie, dans l'avilissement, dans un état de dégradation insensible, et, s'il le faut, d'être toujours prêt à en achever la destruction, plutôt que d'en souffrir le rétablissement. Il ne s'agit pas ici de détruire la France, mais de prévenir, d'empêcher que l'Angleterre soit détruite (1).

D'après cet exposé, il résulte que si l'Angleterre a adopté contre la France le principe des romains à l'égard des carthaginois, elle en a eu encore des motifs bien plus pressans. Rome, il est vrai, avoit vu Annibal à ses portes; et ce souvenir seul suffisoit à tout citoyen pour le faire opiner à la destruction de Carthage. Londres n'a pas encore apperçu de si près une armée françoise; et, au contraire, les anglois ont insulté impunément nos côtes et nos ports; ils en ont détruit un, fait trembler les autres, et conquis à-peu-près toutes nos colonies. Tant de succès, tant de motifs de confiance et d'audace, n'ont pu détruire un sentiment profond de leur foiblesse, aussi-tôt qu'ils

tems-là; à préfent, il y va de leur tête; ils font incorruptibles; des traitemens immenfes les mettent d'ailleurs à l'abri de la tentation. Charles II étoit corrompu le premier. Georges III n'a peutêtre aucun des talens de ce prince, de fes qualités brillantes & féduifantes mais auffi eft-il exempt de fes foibleffes & de les paffions; c'étoient elles qui l'entraînoient à tolérer la corruption dont il donnoit l'exemple. Milord Rocheford ft homme de plaifir, mais encore plus homme d'honneur. Milord Sandwick, tout décrié qu'il eft du côté des mœurs, a juftifié la confiance d'un roi dévot & régulier, & gagne même celle du public, par l'excellente administrati n qu'il a établie dans la marine. Milord North n'est pas non plus à beaucoup près un anachorète; mais les talens qu'il a développés au Parlement & dans la tréforerie, lui ont fit la plus grande réputation dans un pays où l'on ne demande compte à un homme en place que de fa vie publique, c'eft-à dire, de fa befogne. Ces trois miniftres font unis; le roi fe repofe fur eux, du foin de maintenir fon autorité & fa prérogative; & en effet, eft auffi abfolu qu'aucun de fes prédéceffèurs l'ait été depuis la révolution. Ainfi tout promet à ce ministère une durée & une ftabilité dont l'Angleterre offre peu d'exemples.

il

(1) Ce ne font pas abfolument des conjectures; on peut affurer, d'après des notions bien appréciées, que tel eft le fyftême du miniftère actuel; & ce système mérite de férieuses réflexions de no

tre part.

Tome II.

C

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