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monter à la source du mal, et dissiper les prestiges de l'opinion; « car il faut, dit Montaigne, ôter le masque aussi bien des choses que des personnes. » De là ces Satires, ou plutôt ces belles harangues (a) contre nos vains préjugés, plus forts et bien autrement accrédités que la saine raison.

Ne dissimulons point qu'il a mérité · de justes reproches, non pas pour avoir dénoncé de grands noms déshonorés, non paš pour avoir employé le blâme avec autant d'art qu'Horace avoit employé la louange (b) mais pour avoir alarmé la pudeur

(a) La Noblesse, Satire VIII; les Voeux, Satire x; le Dépôt, Satire XIII; l'Exemple, Satire XIV; la Su perstition, Satire XV.

(b) Voyez le Turbot, Satire IV, tome 1, page 124, Cette Satire, considérée relativement à l'art de blâmer et d'avilir encore plus ce qui est infiniment méprisable, me paroît dans son genre, être le chef-d'oeuvre de tous les Satiriques. La marche en est simple, ingénieuse, et même attachante; c'est la marche du poëme épique. Le coup de génie c'est d'y avoir fait habilement contraster les satellites et les adulateurs de Domitien avec les honnêtes sénateurs que ce tyran avoit fait convoquer à un conseil extraordinaire, conseil le

dans plusieurs circonstances, et surtout quand il parle de ce crime abominable dont les Germains avoient coutume d'étouffer les auteurs sous une claie, après les avoir plongés dans un bourbier (a). Quoique je n'aie pas dessein de l'en justifier, j'observerai cependant que Sénèque et Perse luimême se sont permis plusieurs détails de la dernière obscénité. J'observerai que les plus grands hommes de ce temps et les mieux intentionnés n'avoient pas toujours, selon Pline le jeune, cette retenue qui empêche de nommer certaines choses par leurs noms (b).

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Rien ne sauroit excuser la licence d'Ho race, parce qu'il peint le nu avec des couleurs séduisantes, et qu'alors il n'est què

plus burlesque et le plus ridicule qu'il fût possible ́d'imaginer.

(a) Corpore infames, coeno ac palude, injectá ́insuper crate, mergunt. TACIT. German. §. XII.

(b) Si nonnulla tibi paulò petulantiora videbun tur, erit eruditionis tuæ cogitare summos illos et gravissimos viros, qui talia scripserunt, non modo lascivia rerum, sed ne verbis quidem nudis abstinuisse. PLIN. Lib. IV, Epist. 14.

libertin; mais, en peignant des horreurs dont frémit la nature, on voit qu'il entroit dans le plan de Juvénal, de montrer à quel point l'homme peut s'abrutir quand il n'a plus d'autres guides que la mollesse et la volupté. D'ailleurs, ce qu'il a d'obscène est écrit de manière que le vice lui-même ne sauroit l'envisager sans dégoût et sans horreur. S. Chrysostôme comparoit ces sortes d'écrivains que nous trouvons aujourd'hui trop licencieux, quoique nous ne soyons pas exempts des turpitudes qu'ils décrivoient, il les comparoit à ceux qui ne craignent pas de souiller leurs mains lorsqu'il s'agit de panser des ulcères (a).

Sans ces taches, qui sont du siècle et non de l'auteur, on ne trouveroit rien à reprendre dans ses écrits, du moins pour ce qui regarde les mœurs (b). La pudeur, qu'il

(a) Joann. Chrysostomi Homilia III, in Epist. ad Corinth.

(b) Je ne prétends pas que Juvénal soit toujours un modèle de goût, ni que l'on puisse à cet égard le comparer à Horace. Il a trop de parenthèses, et il lui arrive quelquefois de surcharger ses tableaux. On re

que

recommande si souvent, n'y est blessée par des traits échappés dans les accès d'une verve fougueuse, et qu'il désavoue lorsqu'il est de sang-froid. Que jamais, dit-il, un

mot obscène, une action déshonnête ne blessent les yeux ou les oreilles dans la demeure d'un enfant. Loin de cette maison loin de cet asyle vénérable et les courtisannes et les chants nocturnes d'un parasite enivré. Un enfant, grands dieux! en peuton jamais assez respecter l'innocence (a)?

On lui reproche encore d'avoir été trop

marque encore que, lorsqu'il veut se rapprocher du style des anciens Satiriques, il emploie des expressions qui bigarrent le sien, au point qu'il ne seroit pas possible de le faire lire dans notre langue, si l'on se piquoit de le traduire avec une fidélité trop scrupuleuse. J'ai déjà prévenu que je le suivrai pas à pas dans les notes que l'on trouvera à là fin de chaque Satire. J'aurai soin d'avertir de ce qui m'a paru froid ou exagéré.

(a) Nil dictu foedum, visuque hæc limina tangat,

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Intra quæ puer est. Procul hinc, procul inde puellæ,
Lenonum, et cantus pernoctantis parasiti.

MAXIMA DEBETUR PUERO REVERENTIA.

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avare de louanges lorsqu'il s'agissoit de ses contemporains: mais dans quelque siècle que ce soit, quand on ne veut ni se faire illusion à soi-même ni tromper les autres, en peut-on donner beaucoup ? Les éloges ne sont le plus souvent accordés qu'en échange: il méprisoit ce trafic (a), et c'est pourquoi il aimoit mieux célébrer les morts que les vivans. S'il n'a pas loué ceuxci davantage, c'est qu'il ne savoit pas, comme les beaux-esprits de cour et Tacite lui-même, trouver des vertus où il n'y avoit plus que de la patience.

Sachons-lui gré cependant de la manière dont il a traité ceux qui se taisoient ou se cachoient; ceux qui anéantissoient, pour ainsi dire, leur existence, afin qu'on ne pût pas les accuser d'avoir été fauteurs ou instrumens de la tyrannie. Sachons-lui gré, d'avoir compati à la servitude involontaire

(a) On en peut juger par le silence qu'il a gardé sur Martial. Cet adulateur effronté a cité plusieurs fois Juvénal; mais celui-ci ne l'a point payé de retour, parce que vraisemblablement il ne l'estimoit pas.

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