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ordinaires que j'emprunte le sujet de mon travail, en vous parlant aujourd'hui de la place donnée à la maladie dans certaines œuvres littéraires.

La part faite à la maladie ne manque ni d'étendue, ni d'importance. Tous les écrivains qui se sont proposé pour but de tracer le tableau de la vie humaine, les auteurs dramatiques, les romanciers, ont souvent, dans leurs œuvres, fàit intervenir la maladie comme un élément de l'action qu'ils ont créée. Il devait en être ainsi; en effet, dans la vie réelle la maladie joue un grand rôle. Cet accident, si fréquent dans l'existence humaine, ne se borne pas à atteindre les individus, il détruit souvent le bonheur et l'avenir des familles; il peut quelquefois même étendre jusqu'aux destinées des nations ses funestes conséquences.

La maladie apparaît donc souvent dans les œuvres littéraires, mais la place qu'elle y occupe varie beaucoup. Tantôt, c'est un simple épisode destiné à faire naître ou à accroître l'intérêt qui s'attache à quelque personnage. Tantôt, c'est un événement capital' qui fournit l'occasion d'exposer, de développer les caractères, de mettre au jour les vices ou les vertus des hommes. Ainsi, dans les Parents pauvres, la maladie du cousin Pons n'est que le cadre où, en regard de la bonhomie, du désintéressement, de l'affectueuse naïveté de Schmucke, Balzac a mis en lumière les crimes inspirés par les hideuses convoitises qui s'agitent autour d'un mourant.

La maladie est quelquefois le nœud même de

l'intrigue. Dans un ouvrage d'un romancier dont la finesse et l'esprit ne sont surpassés que par une merveilleuse, mais peut-être excessive facilité, dans Germaine, de M. Edmond About, tout l'intérêt du roman repose sur la mort ou la guérison de Germaine.

Enfin, dans d'autres œuvres, et c'est à ces dernières que je vous demanderai la permission de m'arrêter un peu, la description de la maladie a une importance plus grande encore; cette description est à elle seule le sujet tout entier. L'influence de la maladie sur le physique et le moral de celui qui en est atteint, l'exposition des souffrances endurées non seulement par le malade lui-même, mais aussi pas ceux qui l'entourent et vivent sous sa dépendance, forment à peu près tous les éléments de l'action.

Parmi les maladies qui ont été ainsi décrites, je pourrais dire individualisées, il en est une que plusieurs écrivains de génie ont dépeinte avec une vérité frappante, avec une exactitude merveilleuse : c'est l'hypocondrie. Souvent liée à des troubles de la digestion, cette cruelle et bizarre maladie est caractérisée surtout par les changements qu'elle amène dans les sentiments, les pensées, la raison des personnes qui en sont atteintes.

Est-ce seulement l'action que, dans l'hypocondrie, la lésion morbide exerce sur l'intelligence et le cœur,qui est la cause de la prédilection montrée par les auteurs pour l'étude et la description de cette maladie? Je ne le pense pas. Je serais disposé à admettre que, si elle a été plus souvent et mieux

observée que les antres, c'est surtout parce que les écrivains la connaissaient mieux, ayant pu assez souvent trouver en eux-mêmes les traits principaux de leurs personnages. L'hypocondrie est, en effet, une maladie fréquente chez les hommes doués de grandes facultés intellectuelles, mais nerveux, irritables, épuisés soit par la vivacité de leurs passions, soit par des excès de travail. Pour ne citer que quelques noms parmi les plus illustres : Pascal, Molière, Voltaire, J.-J. Rousseau, en ont été atteints sous des formes diverses et à des degrés différents.

A peine accusée par quelques bizarreries d'humeur et de caractère chez Voltaire, l'hypocondrie avait pris chez J.-J. Rousseau des proportions voisines de la folie, à ce point, que l'auteur du Contrat social a été accusé d'avoir terminé sa vie par un suicide. Admise et soutenue par un de nos compatriotes, savant médecin et littérateur distingué, M. F. Dubois d'Amiens, secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine, cette opinion, sur la mort de J.-J. Rousseau, a été combattue par un des membres les plus éminents de notre Société, le regrettable M. Berville.

Que la dispositiou maladive de quelques écrivains ait eu ou non de l'influence sur le choix des sujets qu'ils ont traité, il n'est pas moins véritable que les hypocondriaques ont été souvent mis en scène, soit dans les romans, soit au théâtre.

Parmi les comédies de Molière, il n'en est aucune qui soit plus ouvertement et plus complètement dirigée contre les médecins et contre la médecine,

que le Malade imaginaire. Non-seulement les ridicules de la profession y sont pris à partie, mais la science elle-même y est l'objet de moqueries et de critiques poussées jusqu'à l'injustice. Il n'est cependant pas de pièce de théâtre qui ait été plus appréciée, plus louée même par les médecins. Vous n'avez pas oublié la charmante étude que notre savant et spirituel collègue, M. le docteur Alexandre, en a fait sous le titre de Médecins. Bien d'autres ont, avec des

Molière et les succès divers,

abordé l'examen de cette comédie. Une opinion assez originale s'est même produite un de mes confrères a prétendu expliquer la colère de Molière contre la médecine et les médecins, par les souffrances éprouvées par ce grand homme, souffrances auxquelles la médecine était alors, comme elle est encore aujourd'hui, trop souvent impuissante à porter remède. Mais il est un point sur lequel tous les médecins sont d'accord, c'est que le Malade imaginaire est un chef-d'œuvre d'observation médicale.

Dans un roman d'un auteur moderne que je suis loin de comparer à Molière, mais que distingue néanmoins un rare talent d'observation, on trouve aussi la peinture d'un hypocondriaque, d'un malade imaginaire.

Examinons les deux personnages mis en scène par Molière et par Balzac, et comparons Argan, du Malade imaginaire, et M. de Mortsauf, du Lys dans la Vallée, pour rechercher les traits communs aux deux

malades et signaler les différences qu'ils présentent. Argan est un brave homme, un bon bourgeois, d'une intelligence assez peu développée, bien que ne manquant pas, lorsqu'il est hors de sa manie, d'un certain bon sens. Sa maladie imaginaire, qui n'est pas moins, comme il le soutient avec raison, une réelle et fâcheuse maladie, n'a pas altéré sa bonne constitution. C'est un malade qui se porte bien et qui, comme le lui disent Toinette et son frère, doit être bien fort pour résister à tous les traitements qu'il subit. Mais si sa constitution a résisté, son intelligence, ses sentiments ont été profondément atteints.

Les craintes continuelles que lui inspire sa santé le rendent crédule et pusillanime; il surveille tous ses actes avec un soin minutieux, sa grande occupation est de se regarder vivre ; il lui faut des soins incessants et multipliés. Il a pris ce mois-ci moins de remèdes que le mois dernier : « Je ne m'étonne » pas, dit-il, si je ne me porte pas si bien ce mois" ci que l'autre, je le dirai à Monsieur Purgon afin qu'il mette ordre à cela. »

»

D'une confiance aveugle en la médecine, il accepte tout des médecins sa crédulité le rend l'esclave et la dupe de tous ceux qui l'entourent et qui flattent sa manie, des charlatans qui l'exploitent, de sa femme qui le trompe par des caresses et des soins intéressés ; même le déguisement et la ruse de Toinette, son jargon médical, ne lui inspirent aucun

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