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SATIRE EN FRANCE

POUR SERVIR DE DISCOURS PRÉLIMINAIRE AUX OEUVRES DE MATHURIN REGNIER.

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e tous les poètes françois qui ont précédé le siècle de Louis XIV, Malherbe et Regnier sont les seuls qui aient conservé quelque réputation; encore Malherbe est-il beaucoup plus connu que Regnier, la nature des ouvrages de ce dernier ne permettant pas de le mettre entre les mains de la jeunesse, et, passé cet âge, les devoirs que la société s'est imposés de nos jours éloignant de la lecture des poètes tout ce qui n'est pas homme de lettres. Aussi s'en rapporte-t-on généralement au jugement que Boileau a porté de Regnier, en adoptant sans examen et les éloges qu'il fait du talent de cet auteur, et les reproches qu'il adresse à ses ouvrages (1).

Regnier cependant ne mérite pas moins d'être étudié

(1) De ces maitres savants disciple ingénieux,

a

que Malherbe son style n'est pas aussi pur; mais comme sa poésie est moins élevée, et qu'il s'est par cela même donné plus de libertés, le langage dont il s'est servi, et la nature des sujets qu'il a traités, donnent lieu à des remarques grammaticales et à des observations de mœurs qui ne peuvent manquer d'avoir un grand intérêt. C'est, dit Boileau (réflexion V sur Longin), le poëte françois qui, du consentement de tout le monde, a le mieux connu avant Molière les mœurs et le caractère des hommes; et à ce titre seul il eût dû échapper à l'oubli daus lequel il est tombé.

L'immense supériorité qu'il s'est acquise par son talent dans le genre de la satire, en s'élevant tout à coup au-dessus de ses devanciers et contemporains, m'impose le devoir de les faire connoître à mes lecteurs ou de les rappeler à leur mémoire. La comparaison que l'on aura la facilité d'établir entre leurs ouvrages et ceux de Regnier ne peut qu'ajouter à la gloire de cet auteur.

Satira tota nostra est, dit Quintilien; et indépendamment de l'autorité que les vastes connoissances du rhéteur latin doivent donner à son assertion, il écrivoit dans un temps où l'on étoit en état de résoudre cette question mieux qu'aujourd'hui. Les Grecs cependant connoissoient la satire, au moins dans son but, si ce n'est dans la forme prescrite par les Latins, et que nous lui avons conservée. Les fables d'Esope sont peut

Regnier, seul parmi nous, formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
Heureux si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l'auteur ;
Et si du son hardi de ses rimes cyniques,
Il n'alarmoit souvent les oreilles pudiques,

être les plus anciens monuments de la satire; Homère en présente encore des exemples dans la peinture qu'il fait de la démarche inégale de Vulcain, et dans celle de l'impertinente loquacité de Thersite. La plupart des ouvrages des poëtes lyriques avoient un caractère qui les rapproche de ce que nous entendons par satire. Archiloque, Hypponax, lancèrent contre leurs ennemis des traits si piquants qu'ils les firent mourir de désespoir. Stésichore perdit la vue en punition des vers mordants qu'il avait faits contre Hélène. Alcée déchira dans ses vers Pittacus et les tyrans de Lesbos. Parmi les fragments qui nous ont été conservés des ouvrages de Simonide, on remarque une satire violente contre les femmes, dont il compare les divers caractères avec les mauvaises inclinations de certains animaux. Théocrite commence son idylle intitulée les Grâces ou Hiéron par une diatribe contre les princes peu généreux envers les poëtes.

Les auteurs tragiques eux-mêmes ont souvent donné dans leurs ouvrages un libre cours à leur verve satirique, et l'Hippolyte couronné d'Euripide offre des passages entiers qui ne sont que des satires absolument parlant, puisqu'elles ralentissent l'action. Le chœur des tragédies est presque toujours satirique.

La vie entière de Diogène est une satire continuelle. La manière d'argumenter de Socrate avec ses disciples prouveroit seule que ce genre d'esprit, qui anime ce que nous appelons satire aujourd'hui, n'étoit pas inconnu aux Grecs, quand même les dialogues de Platon ne nous offriroient pas des modèles en ce genre. On sait que ce dernier philosophe, qui avoit banni Homère de sa république, faisoit ses délices de la lecture des ouvrages

de Sophron. C'était un auteur de mimes, sorte de drames beaucoup plus libres que la comédie, et qui avaient, comme elle, la peinture des mœurs pour objet, mais sans action déterminée. On prétend que les Syracusaines de Théocrite sont une imitation de ces mimes. Il est aisé de conclure de ces divers exemples que, si la satire n'affectoit pas une forme absolue chez les Grecs, elle ne leur étoit pas inconnue pour cela; mais comme elle ne formoit pas un genre dans leur littérature, on ne lui avoit pas imposé de dénomination.

Ce que les Grecs appeloient satyres étoient des pièces de théâtres ainsi nommées parce que les divinités champêtres de ce nom y jouoient ordinairement un rôle obligé. On les représentoit après la tragédie, comme petites pièces. « Elles tenoient le milieu, dit le P. Brumoy, entre la tragédie et la comédie. Leur but principal étoit de remettre les esprits dans une situation plus douce après les impressions causées par la tragédie. » Le Cyclope d'Euripide est le seul modèle qui nous reste de ce genre; le comique en consiste principalement dans l'opposition du langage héroïque d'Ulysse avec les bouffonneries triviales du Cyclope. La comédie, en se perfectionnant, fit négliger ce poëme burlesque. Il est cependant question de Pratinas, qui composa cinquante satires, dont une fut couronnée, et d'un certain Sosisthée, de l'école d'Alexandrie, qui se distingua encore dans ce genre de composition. Lycophron et Callimaque, poètes de la même école, montrèrent aussi quelques intentions satiriques, le premier dans son éloge ironique du métaphysicien Ménidème, le second en signalant dans son Ibis la présomption et l'ignorance d'un de ses disciples.

Enfin Lucien termine l'histoire de la satire grecque; et l'on trouve chez cet auteur la gaieté cynique des an ciens, réunie à cette plaisanterie délicate dont Horace lui avait donné l'exemple, et qui plaît tant aux nations modernes.

Lorsque les Romains eurent conquis la Grèce, les arts de cette terre féconde eurent bientôt adouci ses farouches vainqueurs. Avant cette époque, on ne connoissoit en Italie que les vers appelés saturnins et fescennins, sans aucune mesure, remplis de railleries grossières, et chantés par des acteurs qui les accompagnoient de danses et de postures obscènes. Leur licence alla si loin que l'on fut obligé de la réprimer par une loi datée de l'an de Rome 302. Environ quatre-vingt-dix ans après, les jeux scéniques furent établis à l'occasion d'une peste qui désola Rome. Ces jeux consistoient en de simples danses exécutées par des Toscans. On ne tarda pas à joindre à ces ballets ces railleries rustiques dont j'ai parlé, et que l'on nomma saturæ. Ces jeux furent en usage durant plus de deux cents ans, époque après laquelle parut Livius Andronicus, Grec de nation, esclave de Salinator, qui l'affranchit en faveur de ses talents. Andronicus composa et représenta à lui seul des tragédies imitées des Grecs. On ne put faire supporter ce spectacle aux Romains qu'en l'entremêlant de ces satires grossières pour lesquelles ils avaient un goût décidé, et même en leur montrant des gladiateurs et des bêtes féroces, tant étoient grandes l'ignorance et la barbarie de ce peuple vainqueur du monde. Nævius fit des comédies; Plaute et Térence composèrent les leurs; et enfin Lucilius vint, et passa pour l'inventeur de la satire, parce qu'il lui donna la forme qu'Horace, et ensuite Perse et Juvénal, out adoptée.

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