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PRÉFACE.

IL existoit auprès de Cumes et sur les bords de l'Averne, une Sybille, dont l'unique occupation étoit d'écrire sur des feuilles légères des remarques et des noms. Retirée dans le creux d'un rocher, elle y composoit ses oracles en silence; elle en prenoit un soin extrême. Mais à l'instant où la porte de son antre venoit à s'ouvrir, le vent emportoit et dispersoit ces feuilles légères. La Sybille les laissoit errer sans chercher à les ressaisir ; et elle n'essayoit jamais de les remettre ensemble *. Ceux qui ve

* Huc ubi delatus Cumæam accesseris urbem,
Divinosque lacus, et Averna sonantia sylvis;
Insanam vatem aspicies, quæ rupe sub ima
Fata canit, foliisque notas et nomina mandat.
Quæcumque in foliis descripsit carmina virgo,
Digerit in numerum, atque antro seclusa relinquit:
Illa manent immota locis, neque ab ordine cedunt,
Verùm eadem verso tenuis cùm cardine ventus
Impulit, et teneras turbavit janua frondes;
Nunquam deinde cavo volitantia prendere saxo,
Nec revocare situs, aut jungere carmina curat.
Inconsulti abeunt, sedemque odere Sibylla.

noient la consulter, trouvoient rarement dans ces feuilles éparses ce qu'ils désiroient d'apprendre: presque tous se retiroient mécontens; et, suivant l'expression de Virgile, ils haïssoient l'antre de la Sybille.

Ce n'est ici qu'une allégorie, sous laquelle on a représenté les Auteurs des feuilles périodiques. Ils notent au fond de leur cabinet les événemens, les écrits et les hommes leurs feuilles se dispersent personne ne prend soin de les rassembler. La plupart de ceux qui lisent leurs noms 'sur ces tablettes de la critique, croient avoir le droit de s'en offenser, et ils haïssent l'antre de la Sybille.

Si quelqu'un révoquoit en doute mon interprétation de cette fable, je lui ferois observer que Varron a compté jusqu'à dix Sybilles. L'une, dit-il, s'occupoit de philosophie : c'étoit celle de Samos. Une autre prédisoit les événemens politiques : c'étoit celle d'Erithrie. La Delphique rendoit ses oracles pour les poëtes, et la Phrygienne, pour les théâtres. Ne reconnoît-on pas clairement dans cette diversité d'occupations attribuées aux Sybilles, les divers journaux philosophiques, politiques et littéraires? Ce qui achève enfin de dévoiler le sens de cet emblême, c'est un dernier trait ; et j'espère que nos journalistes me pardonneront de

:

le remarquer aucune des Sybilles n'eut droit à l'immortalité.

Le Sénat de Rome fit recueillir tout ce qu'on pût trouver de feuilles sibyllinnes. Mais comme il y en avoit de peu de valeur, quelques senateurs furent chargés d'en faire un choix judicieux. Ils en tirèrent un recueil de maximes de religion, de politique et de morale. Il fut déposé au Capitole; et il devint comme un oracle toujours subsistant au milieu de Rome.

J'ai pensé qu'il étoit possible d'extraire aussi de nos feuilles périodiques un recueil de mémoires utiles sur l'état actuel de la religion, de la morale et de la littérature en France, et au commencement du dix-neuvième siècle. Je les ai rassemblés sous le titre du SPECTATEUR FRANÇAIS AU 19. SIÈCLE; c'est annoncer que j'ai pris Addisson pour modèle.

D'autres avant moi ont essayé de composer un ouvrage semblable au sien. Mais, soit qu'ils aient manqué de talens, ou qu'ils n'aient pas su, comme lui, s'associer des coopérateurs habiles, leurs tentatives ont échoué. Peut-être faut-il en accuser aussi l'extrême flexibilité du caractère français, qui reçoit au sein de la société comme une empreinte commune. Un spectateur est inutile, lorsque le spectacle est uniforme, et que chacun le voit des mêmes yeux.

J'ai un double avantage sur mes prédécesseurs. D'un côté, je me sers de plusieurs hommes de lettres justement estimés; je n'emploie de leur travail, que ce que le public a déjà consacré par son suffrage; je n'y mets rien de moi et j'évite ainsi ce qui nuit le plus à la perfection d'un ouvrage, l'amour-propre de l'auteur. D'un autre côté, le moment présent est une époque unique en France dans l'histoire de l'opinion, cette reine de l'univers. Son règne est divise pour la première fois; et s'il m'étoit permis de personnifier le dix-neuvième siècle, je dirois, qu'il est en naissant placé, comme l'Hercule de la Fable, entre deux routes qui s'ouvrent devant lui. Suivra-t-il celle qui conduisit les contemporains de Louis XIV au comble de la gloire; ou celle qui, nous cachant sous des fleurs nouvelles d'antiques précipices, nous a jétés à la fin du dix-huitième siècle dans un abîme où la religion, les mœurs et les lettres auroient péri sans un miracle de la Providence: voilà ce qu'il importe d'observer: et c'est l'instant où un Spectateur n'est point inutile. Il peut, comme les Magistrats de la Calabre, après une éruption du Vésuvé, élever une colonne, où il gravera pour la postérité, la leçon du danger :

Cavete, posteri; vestra res agitur.

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