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qu'ils soient bannis non comme impies, mais comme insociables, puisque dans ses principes mêmes, ils ne sont insociables que parce qu'ils sont impies, et que leur impiété est la source même de leur délit.

Rousseau ne nous dit pas si le souverain est aussi obligé à la profession de foi civile, et si, dans le cas où il y manqueroit, le peuple pourroit le casser aux gages, et se lever en masse pour le condamner au bannissement, non comme impie, à Dieu ne plaise, mais comme insociable; car si le souverain a intérêt que le peuple croie en Dieu, le peuple n'en a pas moins que le souverain ne soit pas athée. Rousseau a-t-il eu ses raisons pour garder le silence? je ne prononce pas, mais il est clair par ses principes, que le bannissement doit être réciproque, que c'est alors le cas de la peine du talion; qu'il est instant alors de rompre le contrat social, et que le peuple, dans cette occurence majeure, n'a rien de mieux à faire que de sauver la patrie par une bonne et due insurrection : O la jolie chose qu'un contrat social!

Mais le Contrat Social va encore plus loin, et je ne sais pas, monsieur, pourquoi vous avez remplacé par des points cette phrase si précieuse : Que si quelqu'un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois. Tudieu ! comme ce bon homme va vite en' affaires ! et qui jamais auroit cru qu'il eût été prendre conseil des juges mêmes de Vanini? Encore ceux-ci ne le firent-ils brûler, que pour avoir dogmatisé et propagé avec fureur sa doctrine infernale, tandis que Jean-Jacques envoie à l'échafaud l'athée

même qui ne l'est que pour son propre compte. Je ne décide point ici sur ce qu'il faut faire des athées dogmatisans et même professeurs, tels que nous en avons aujourd'hui, et je renvoie cette question au comité de législation; mais, en attendant la décision, je ne puis qu'admirer cet homme si bénigne et si tolérant pour les blasphémateurs d'une religion divine, et si sévère contre les non-croyans d'une religion civile ; et qui, jetant toute sa vie les hauts cris, parce qu'on avoit brûlé les livres insociaux, envoie au gibet les athées, parce qu'ils sont insociables.

Au reste, il est toujours bon de savoir que le philosophe génevois regarde tous les athées et tous les matérialistes, non-seulement comme de mauvais citoyens, mais encore comme des hommes incapables de le devenir; non-seulement comme des gens sans vertu, mais encore comme des hommes auxquels il est impossible d'en avoir; qu'il vouloit les punir beaucoup plus rigoureusement que ne faisoit un grand inquisiteur, et que certainement ce n'est pas sa faute s'ils continuent encore à nous empoisonner par leurs écrits.

Ce passage n'est encore qu'un très-petit échantillon des inconséquences et des contradictions du Contrat Social. Chaos d'absurdités qui a plus fait tourner de têtes qu'il n'a éclairé d'esprits; indéchiffrable logogriphe, que l'auteur étoit d'autant moins surpris que les autres n'entendissent pas, qu'il avouoit ne pas l'entendre lui-même code de sédition pour les gouvernés, et de défiance éternelle pour les gouvernans charte insensée, où les droits de l'humanité sont immolés aux droits de l'homme; où les remèdes sont toujours pires que les maux; où sous le nom de liberté, sont con

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sacrés la tyrannie et l'esclavage; où des théories inapplicables et des chiffons métaphysiques nous sont donnés en échange des seuls biens que puisse attendre un peuple, la paix, la sûreté et la propriété enfin, nouvelle boîte de Pandore, d'où sont sortis tous ces principes anarchiques et pestilentiels qui ont tout perdu parmi nous, et que, si Dieu n'en eût arrêté le cours, auroient fini par ébranler jusques aux fondemens du globe. X.

X I X.

Sur les agaceries de Jean-Jacques, et la fausse métaphysique qu'il a mise en honneur.

J.-J. Rousseau a fait école, si je puis parler ainsi, et la plupart des auteurs qui sont venus après lui se sont efforcés d'imiter sa manière. Voltaire a eu moins d'imitateurs; il est, ce me semble, assez aisé d'en dire la raison. Quand Voltaire est agité par quelque passion, il emploie des expressions si violentes et des traits d'une satire si emportée, qu'un homme moins supérieur, qui auroit voulu prendre ce ton, n'auroit inspiré que de l'indignation et du dégoût. Et quand cet homme célèbre parle sérieusement, et sur des matières de son ressort, il traite son sujet avec tant d'élégance, d'agrément et de délicatesse, qu'on désespère d'abord d'atteindre à ce brillant et à cette pureté de pensées et de style. Rousseau, tout grand écrivain qu'il est, a, soit dans les choses, soit dans la diction, beaucoup moins de clarté : il

prend le plus souvent le ton d'enthousiaste, point d'assertions, pour quelqu'étranges qu'elles soient, proposées avec le ton du doute; tout est tranchant et dogmatique. On a remarqué de tous les temps que rien ne réussissoit auprès du commun des hommes comme cette assurance; et la vérité ti-· mide ou simplement modeste a mille fois plus de peine à s'établir dans les esprits que le mensonge hardi et sententieux. Plusieurs de ceux qui ont voulu, depuis Rousseau, se distinguer par les productions de l'esprit, ont senti l'utilité de cette méthode; ils ont compris que leurs idées dénuées d'élévation, de nouveauté ou de justesse, étant proposées simplement ou n'étant revêtues que de leurs propres couleurs, rebuteroient les lecteurs les moins difficiles. Qu'ont-ils fait? Ils ont pris un ton magistral, ils ont parlé avec hauteur sous prétexte de finesse, ils ont dit des choses bizarres et inintelligibles : faute d'idées sensées, ils se sont enveloppés de généralités imposantes, ils ont fait assurer dans le monde, par leurs amis, qu'ils étoient de profonds penseurs et d'habiles métaphysiciens: les femmes, les jeunes gens ont lu leurs ouvrages sur parole, ils y ont découvert en effet des choses mystérieuses, et que personne n'avoit jamais soupçonnées: on s'est récrié d'autant plus haut qu'on avoit eu plus de peine à com. prendre ou à ne pas comprendre, et le livre a passé pour merveilleux, par cela seul qu'il avoit donné la migraine.

Voilà la clef de bien des réputations, mais revenons à Rousseau. Il étoit arrivé dans un siècle profondément corrompu, très-spirituel et trèsraffiné: on ne vouloit pas être instruit, mais amusé. Personne n'a profité plus habilement que

Rousseau de cette disposition. Il est visible, en quantité d'endroits, qu'avec cet amour inflexible qu'il affiche pour la vérité, il ne s'occupe de rien moins que de la trouver et de la dire; il en fait au contraire son jouet, il s'en approche et puis s'en éloigne comme par un caprice soudain; quelquefois il la montre à découvert, mais bientôt il la dérobe à la vue et l'enveloppe d'un voile riche et éclatant, mais impénétrable; il la montre encore à demi, et tout-à-coup il la brouille et la confond de manière que l'on ne sait plus où l'on en est. Qu'il me soit permis d'en citer un exemple. Dans sa préface de la Nouvelle Héloïse, il faut, dit-il, des romans aux peuples corrompus; j'ai vu les mœurs de mon temps, et j'ai publié ces lettres. Voilà un livre qui s'ajuste parfaitement aux mœurs et au goût du siècle auquel il est destiné, et par conséquent, il est sûr de plaire au plus grand nombre telle est la pensée qui frappe naturellement l'esprit ; mais comme une jolie femme, qui est bien certaine, quoi qu'elle fasse, de plaire à ceux qui l'entourent, et qui se contredit elle-même, comptant qu'un peu de déraison ne fera que rendre ses charmes plus piquans, l'orateur revient comme par boutade; au fond il sait bien que son roman sera dévoré, et il vient de le faire entendre clairement, mais il veut s'amuser à vous mettre en défaut. Ce qui étoit vrai tout-à-l'heure, ne l'est plus; son livre déplaira aux dévots, aux libertins et aux philosophes; il choquera les femmes galantes, et scandalisera les femmes honnétes. A qui plaira-t-il donc? continue-t-il. Peut-être à moi seul. Voilà donc un livre qui d'un côté doit plaire à tout le monde, ou du moins à la plupart du monde, puisqu'il s'adapte aux mœurs générales, et d'un autre

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