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du Pasty, la remarqua, l'épousa et vint habiter, en plein bocage, le château de la Motte qu'elle lui avait apporté et tenait elle-même de son oncle, le marquis de Saint-Sulpice, commandeur de Malte.

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Le nouveau châtelain, dont plusieurs traits ont été certainement retenus par son petit-fils, quand il esquissa, dans un conte publié par la Revue Bleue, en 1909 (1), l'originale silhouette de M. de Buysse, rêveur solitaire à « l'âme d'acier » se faisait remarquer par l'intransigeance de ses opinions légitimistes. C'était peut-être la seule affinité qui le rattachât aux gens de sa caste et de son voisinage, joyeux viveurs, « de belle santé, parlant haut, riant fort et prompts du geste », buvant sec et chassant à longueur de jour, dont le Baron du Puydreau, héros d'un autre conte (2), nous est dépeint comme le type accompli et représentatif. Il affectait, quant à lui, à ses loisirs un tout autre emploi et s'abandonnait plus volontiers aux épanchements d'un tempérament d'artiste. Il avait même, envisagé sous cet aspect plusieurs cordes à son arc ou, si l'on veut à sa lyre. Peintre distingué, il avait approfondi, sous la direction d'Hersent, la technique de son art et ses toiles, dont maintes furent exposées, ont des qualités de couleur et de vie qui retiennent encore aujourd'hui l'attention. Musicien, l'Académie de musique avait couronné de lui une sonate pour piano et violon. Il était, en outre, poète à ses heures et, par surcroît, mettant sa plume au service de ses convictions politiques, envoyait des articles au journal de Girardin.

Ces détails ne sont pas indifférents pour établir l'hérédité intellectuelle et artistique de l'écrivain de race dont la forte personnalité, est en train de s'épanouir.

C'est au château de la Motte que naquit le père du romancier, et le jeune Alphonse y passa toute son enfance. Il m'a souvent redit le charme intense qu'exercèrent sur ses yeux promptement ouverts à la nature les paysages d'alentour.

(1) No des 27 Nov. et 14 Déc.

(2) Ibid. N° du 21 Mars 1908.

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L'un de ses contes s'ouvre par l'évocation du vieux castel familial et des sites qui l'encadrent : « Cinq lieues presque inhabitées de libre végétation, de forêts sauvages, de ravins abrupts, puis des futaies seigneuriales et, dans leur somptueuse enclave, le château, une vieille commanderie de Malte, moussue et flanquée de quatre grosses tours ». Et ce fut à les évoquer encore, nos <<< vieux chemins »>, nos splendides futaies de châtaigniers », les « fertiles terrains. d'alluvions de notre bocage » et les êtres de ce sol, hobereaux ou paysans, qui font corps avec lui, comme ses châteaux ou ses arbres, qu'il consacra le premier grand effort de sa plume. L'œuvre qu'ils lui inspirèrent, M. des Lourdines, en fut extraite après un contact si intime, avec tant de sincérité, de patience et d'amour, qu'elle frappa dès l'abord et se classa d'emblée, encore qu'elle n'apportât pas une formule bien nouvelle, parmi les plus fortes de la jeune littérature. Un maître se révélait dans ce romancier de trente ans, s'imposant par les qualités les plus simples: souci de la vérité dans la vision et par contre-coup de justesse dans l'expression, sens profond et grave de la vie, sympathie pour les êtres, amour de la nature puisé à sa source même. L'Académie Goncourt, en lui attribuant son prix, à une époque où ses choix étaient purs, mit l'auteur en vedette et consacra l'éloge unanime qu'avait déjà fait de lui la critique. Ce premier livre partit pour une belle carrière, qu'il n'a pas encore achevé de parcourir. Il eut bien des catégories d'amateurs ou d'amis, pour mieux dire. Ce n'est pas à des Poitevins que je le résumerai tous en ont fait, je gage, un livre de chevet. Ce qui du milieu si fidèlement décrit s'avère particulier à notre province a tout pour les intéresser directement. Quant aux éléments qui en sont transposables, ils ont favorisé la diffusion de ce roman, véritable bréviaire de la vie provinciale, saisissante expression d'un monde finissant, jusqu'au fond des autres provinces. Il y a pénétré peu à peu, en s'y passant de mains en mains. Et il n'est point, à l'heure actuelle, de châtelain cultivé qui ne l'ait mis dans sa bibliothèque au rayon d'honneur. Un tel public, attiré de

confiance par le thème de l'ouvrage, n'était certes pas moins qualifié pour apprécier la manière de l'auteur et les dessous profonds de son inspiration. Les campagnards sont de meilleurs lecteurs des oeuvres longuement méditées au contact de la nature. Ils ont des âmes plus recueillies, plus réfléchies que celles des citadins, plus aérées de spiritualité.

Ce que ce livre, en effet, suscita chez eux, comme aussi chez les milliers d'autres lecteurs qu'il se gagna, çà et là, par le monde, ce fut plus et mieux que l'admiration pour un talent vigoureux et sain la sympathie pour l'âme, riche d'amour et brûlante de s'épandre, dont ce talent n'était que le merveilleux véhicule... Il n'est point pour un artiste digne de ce nom de joie plus haute et plus douce que la gratitude émue des âmes qu'il a conquises. L'auteur de M. des Lourdines en reçut des quatre coins d'Europe, et d'au-delà même, les témoignages les plus touchants et les plus spontanés. Derrière l'écrivain, les hommes qui le lisaient sentaient un homme. L'oeuvre, issue du cœur, prolongeait sa résonance en des milliers de cœurs fraternels.

Il était aisé de sentir, à l'intensité comme à la qualité de l'émotion que l'on en recevait, que ce livre, bien qu'il fût la première production importante de son auteur, se détachait de lui comme un fruit de maturité, comme une expression à ce point affirmée (sinon définitive) de son talent et de son âme qu'on eût pu croire épuisée sa substance. Il avait le caractère du livre unique j'entends non seulement du livre qu'on ne refait pas mais de celui après lequel il semble malaisé, et, d'ailleurs, superflu d'en faire d'autres.

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L'accueil qu'il obtint eût incité des écrivains moins consciencieux à exploiter leur vogue. Mais Alphonse de Châteaubriant est un artiste d'une espèce devenue peu commune en ces temps de mercantilisme. La rencontre du succès ne le grisa pas plus que ne l'en avait guidé la recherche. Elle ne l'incita pas à hâter, pour des fins commerciales, le cours d'une production uniquement subordonnée à l'intérêt supérieur de l'art. N'ayant rien réservé de ce qu'il avait à dire, il dédaigna de le délayer. Tel fut son parti pris méritoire l'oeuvre nouvelle renché

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rirait sur la première en profondeur, en force expressive, en vérité humaine ou bien ne serait pas. Incapable d'offrir à ceux qu'il avait exaltés d'une magnifique ivresse des libations moins généreuses, il attendit que le jus de la lente expérience vint remplir à nouveau jusqu'aux bords sa coupe de cristal, afin de la vider une seconde fois tout entière.

Parvenu d'un premier bond à une hauteur d'art où les impatients ne sauraient se vanter d'atteindre, il n'eut souci que de rebondir sur le double tremplin du Temps et du Silence. Il sait le prix de ces deux grands créateurs. Comment ne les eût-il pas appelés au secours de sa création ?

Il n'est pas un timoré, un défiant de soi-même, un impuissant par scrupule. Il connaît sa force, assez pour n'en vouloir rien perdre trop pour consentir à la disperser.

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C'est la raison pourquoi dix années, pendant lesquelles il s'abstint systématiquement de rien livrer au public — et dont quatre, au surplus, requirent un bien autre emploi de ses forces ont séparé de l'œuvre qui révéla son talent celle qui s'annonce comme devant le consacrer magnifiquement.

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De quoi ce talent est-il fait ? Eminemment d'un don d'observation qui saisit avec une acuité extraordinaire les détails extérieurs, qu'ils soient d'un paysage ou d'une physionomie.

S'il fallait le faire rentrer dans l'une des catégories qu'un récent critique établissait pour caractériser les styles littéraires, je le classerais sans hésitation parmi les visuels. « Au fond, me confiait-il un jour, la littérature n'est pas mon mode d'expression spontané. Je suis un peintre manqué ». Il ne laisse pas d'ailleurs d'accorder à l'art secrètement préféré une part de son temps et serait, le cas échéant, le meilleur illustrateur de ses propres ouvrages. Toujours est-il qu'il ne fait pas mystère de ses préoccupations et de sa culture picturales. Dans ces Instantanés aux

Pays-Bas (au titre révélateur) que la Revue de Paris publia en 1906 (1), il se définit un « chasseur de paysages ». Les dunes où il va égarer sa flanerie de promeneur il les reconnaît pour avoir appris à les aimer « sur les toiles de Ruys-, daël et de Wynants», et cette maison, derrière un alignement de platanes, au milieu d'une prairie, «dont le faîtage de chaume se déploie comme un somptueux bonnet de loutre sur des murailles très basses et très blanches >>> évoque à son souvenir « une toile authentique de Constable »

Une telle culture ne témoigne que de l'orientation de son goût. Elle n'entrave pas sa vision personnelle. Les pages auxquelles je viens de faire allusion contiennent des notations fines et détaillées, où l'art des mots est vraiment mis au service d'un tempérament de peintre Elles ne marquaient pas encore le dessein de faire passer dans l'art littéraire des moyens d'expression proprement picturaux. C'est à quoi, progressivement l'écrivain en arrive. D'oeuvre en ceuvre, l'analogie de perception requiert davantage la quasi-transposition technique. Le romancier de M. des Lourdines ne se contente pas de mettre l'atmosphère de son livre sous l'invocation, pour ainsi dire, du Buisson, de Ruysdaël; il le compose un peu comme un tableau; il travaille dans la pâte des mots, comme un peintre fait de ses couleurs, avec le souci des valeurs, des plans, des taches. Son vocabulaire est une palette où il fera passer, selon les accents qu'il veut rendre et dans la proportion commandée par l'impression qu'il veut dégager, les bleus Véronèse ou les jaunes Titien.

Mais sa puissance d'observation dépasse l'apparence. Elle pénètre plus avant, jusqu'à l'âme celle des choses aussi bien que des gens celle, aussi, qui leur est commune et relie l'être vivant aux lieux où sa vie s'écoule. « Un de mes plus grands bonheurs, me disait-il encore, est dans la découverte d'une nouvelle valeur, d'un nouveau rapport d'âme et de milieu ».

Mot de peintre, de psychologue et de profond artiste. Mais

(1) N° du 1er Octobre.

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