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créole de l'Ile de France, pour faire son éducation. La révolution éclata, et, ainsi que tous les gentilshommes, il émigra; puis, lorsque la Guerre de Vendée éclata, il vint demander de servir en Vendée à mon frère. A l'époque où nous arrivâmes, il était dangereusement malade, et, d'après les services que sa famille avait rendus à la nôtre, mon frère crût de son devoir de le recevoir chez lui. Nous devînmes donc, ma soeur et moi, gardes-malades. C'est là que pour la première fois je vis Monsieur de Joannis, qui plus tard devait être mon mari.

A peine était-il guéri que la guerre recommença; la trêve fut rompue. Les républicains ayant manqué aux promesses données, les paysans se rassemblèrent de nouveau; une prise d'armes fut arrêtée. On nous conseilla de ne pas attendre comme la première fois; nous partîmes donc dans la nuit escortées par nos malades guéris. Ils nous firent traverser à cheval toute la Vendée pour nous rendre chez Monsieur Stofflet, dont le pays était encore tranquille. Nous restâmes dans ce canton chez de nos amis quelque temps, mais la guerre étant venue nous y joindre, nous fûmes à Nantes espérant y rester ignorées et tranquilles. A peine y étions-nous depuis huit jours que nous vîmes arriver un gendarme qui nous enjoignit de partir sous les 48 heures. Avant notre départ, nos amis nous avait fait une bourse bien garnie. Nous nous rendîmes à Orléans par la Loire. Les deux rives étaient occupées par l'armée, et, comme nous étions des êtres très dangereux pour la République, c'était au commissaire des guerres qu'il nous fallait montrer nos papiers. C'était dans des chaloupes-canonnières, espèces de corps de garde flottants, que nous allions passer la nuit et présenter nos papiers. Chose inouïe, aucun de ces hommes n'insulta deux jeunes filles sans autre protecteur que Dieu, qui, du reste, pendant le cours de nos infortunes, nous protégea d'une manière sensible.

Nous arrivâmes sans encombre à Orléans où nous trouvâmes quantité d'amis et connaissances. Nous fumes égale

ment bien accueillis par les gens de la ville fort hospitaliers et qui n'ont eu que fort peu de crimes à se reprocher en ces temps de vertige. Nous vivions fort modestement; notre existence n'était pas sans charmes; elle nous paraissait bien douce après tout ce que nous avions souffert, mais, pendant ce temps, les pauvres Vendéens, nos frères, étaient écrasés par les forces toujours renouvelées que la République envoyait dans ces glorieuses contrées.

A cette époque, eurent lieu les premiers pourparlers pour mon mariage..

Madame Damain de Kérostin me sollicita pour son fils, Monsieur de Joannis, qui, après les malheurs de la Vendée, s'était réfugié en Allemagne. Je résistai longtemps; le moment ne me semblait pas favorable; tous les deux sous le coup de la loi, nous ne pouvions nous marier civilement, nos biens étant sous séquestre.

Cependant, sans avenir et avec un présent si peu rassurant, je me décidais à prendre un protecteur, à entrer dans une famille qui nous avait déjà donné tant de preuves de dévouement et dont la naissance ne laissait rien à désirer.

Je me rendis à Nantes (1) avec ma sœur cadette, et là je me mariai, en petite robe d'indienne, la nuit, devant

(1) Passe-port de Sophie de Sapinaud pour aller d'Orléans à Nantes. Liberté, Egalité, République Française une et indivisible, Département du Loiret, Commune d'Orléans,

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Sur le témoignage des citoyens Colas Brouville et Pierre Colas, habitans domiciliés, qui ont signé au régistre, Laissez passer la citoyenne Sophie Sapinaud, fille propriétaire, allant à Nantes, à la charge de faire viser en route, domiciliée commune d'Orléans, place du Martrois, no 6, département du Loiret, agée de vingt ans, taille de quatre pieds onze pouce, cheveux et sourcils blonds, yeux bleus, nez bien fait, bouche petite, menton rond, front grand, visage ovale et plein, & prêtez-lui assistance en cas de besoin.

Délivré en la maison commune d'Orléans, le dix-sept messidor l'an IV de la république Française (4 août 1796).

Signature de la certifiée: Sophie Sapinaud.

Signatures des témoins: Colas Brouville, P. Colas.

Signature des Administrateurs municipaux: Dupeux l'aîné, Delaloge, Colas de Lanoue.

(Archives Sapinaud-Joannis, cote 364)

un bon prêtre de nos amis (1), chez Mademoiselle Baché, Boulevard Delorme, où était caché Monsieur le chanoine de Chevigné, qui avait refusé de prêter le serment.

Dire ce qui était arrivé à mes frères serait trop long (2). L'aîné, Charles, d'abord commandant de la place de Mortagne, chargé du parc d'artillerie et de la garde de nombreux prisonniers donna des preuves de son dévouement en main. tes circonstances et sut se concilier tous les esprits; il fut plus tard nommé général. Sa vie fut celle de tous les chefs Vendéens, toujours dévoué, guidant ses troupes partout où il y avait quelque chose à faire pour la défense du pays.

De mes six frères, cinq ont survécu aux terribles malheurs qui broyaient la France. Cinq émigrèrent en suivant leurs régiments à l'armée de Condé; le plus jeune, Henri, fut tué

(1) Extrait du régistre des Baptêmes et Mariages faits dans une maison particulière par Monsieur l'Abbé de Chevigné, vicaire Général du Diocèse, et par les prêtres commis par lui à cet effet. Année 1797. Mariage 14. Jean-Baptiste de Joannis et Sophie-Céleste-Eléonore Sapinaud (page 58 du régistre).

Le 3 janvier 1797, moy, prêtre catholique, soussigné, et vicaire général de ce diocèse, en vertu de la commission accordée par Monsieur de la Collinière, vicaire général à Luçon, ai reçu les promesses de mariage, donné la bénédiction nuptiale et accordé dispense des trois bans et du temps à Jean-Baptiste de Joannis, agé de 23 ans, fils de feu Jean-François de Joannis et de Marie-Françoise Lehelle, ses père et mère, natif de l'Ile de France, en Affrique, dépendant de l'Archevêché de Paris, et comme n'ayant pas de domicile à Nantes, nous lui avons fixé en cette ville paroisse Saint Clément; et à SophieCéleste-Eléonore Sapinaud de la Rairie, âgée de 26 ans, fille de feu Charles-Daniel Sapinaud de la Rairie et de Charlotte-Henriette Gaborin, ses père et mère, native de la Gaubretière, diocèse de la Rochelle, et domiciliée en celui de Luçon, et demeurante à Nantes, paroisse Saint Nicolas de cette ville; en présence de Toussaint-Ange Bernard et de B. Bedoit. A Nantes, ce 3 janvier 1797.

Ont signé: Sophie-Céleste-Eléonore Sapinaud; Jean-Baptiste de Joannis; Charlotte Sapinaud; Charette-Sapinaud; C .Sapinaud; Julie Sapinaud; Chev. de Boishuguet; Gallot; Brin; Chevigné, vic. gén. (Archives Sapinaud-Joannis, cote 332). Le mariage civil eut lieu à Philadelphie (Pensylvanie), le 21 juillet 1797.

(2) Voir plus loin l'« Etat des Sapinaud pendant la guerre de Vendée. »

dans un combat de nuit à l'armée de Condé, à peine âgé de 17 ans.

Rentrèrent en France: Prosper et Edouard; ils vinrent rejoindre l'armée vendéenne, avec leur cousin, Jules de Sapinaud de Boishuguet.

Après l'affaire de Quiberon, où périrent tant de braves défenseurs du Roi, ils retrouvèrent l'armée à Couffé (Bretagne). Les deux autres travaillèrent comme presque tous les émigrés à des travaux manuels, souffrant toutes sortes de privations.

Mon oncle Sapinaud de la Verrie, cousin-germain de mon père, partit un des premiers de la Gaubretière. Brave et généreux, il fut une des premières victimes; emporté par son cheval au milieu des ennemis, il fut percé de coups au pont Charrault (25 juillet 1793).

Le massacre de la Gaubretière me fut conté par mon amie, Madame de Boisy, qui habitait le château de Landebaudière, mais je n'en puis donner le récit, l'ayant quittée dès les premiers jours de la guerre.

Quelque temps après mon mariage, je partis (1) avec mon

(1) République Française, Département de la Vendée.

En vertu de la Loi du 14 Ventôse, an 4°, qui détermine le mode de délivrance des passeports à l'étranger, vu l'avis motivé de l'Administration Municipale du Canton de Saint-Fulgent et notre Arrété de ce jour, Nous Membres de l'Administration centrale du Département de la Vendée, Prions de laisser librement passer et sortir du territoire de la république la Citoyenne Sophie Sapinaud, Fille propriétaire, allant aux Etats-Unis d'Amérique septentrionale; demeurant à Bazôge-en-Paillers, native de la Gaubretière, âgée de vingt-six ans, taille de quatre pieds onze pouces, cheveux blonds, sourcils blonds, yeux bleus, nez bien fait, bouche petite, menton rond, front grand, visage ovale et plein, et de lui prêter aide et assistance en cas de besoin.

Délivré en Administration Centrale du Département de la Vendée, à Fontenay-le-Peuple, le 26 nivôse an cinquième (15 janvier 1797) de la république Française, une et indivisible.

et la Citoyenne Sapinaud signé avec nous.

Signé: Sophie Sapinaud, Chaigneau, Pervinquière, Chêne, Pre en chef, Dque Dillon, Pdent, (deux signatures illisibles).

mari pour l'Ile de France, mais nous nous arrêtâmes à Lisbonne.

Là, un terrible événement faillit me rendre veuve presque aussitôt mon mariage.

Vu au bureau Central du Canton de Bordeaux, le 1° ventose, an cinquième républicain, pour aller à Philadelphie.

Les Membres du Bureau Central

Signé: Brauer, secrétaire du bureau central; Chaignaud,

Vu par moi, Consul Général de la république Française à Philadelphie, ce vingt-trois messidor an cinquième de la république une et indivisible. Signé: Létombe.

De Bordeaux, Sophie de Sapinaud avait écrit, le 1 février 1797, à la «< Citoyenne Sapinaud, Grande Rue, à Saintes, sa belle-sœur:

Je vous ai écrit, chère petite sœur, il y a trois semaines. Je suis bien incertaine du sort qu'a eu ma lettre, n'ayant point eu de réponse. Je vous faisais part de mon mariage, bien persuadée de l'intérêt que vous y prendrez. Il s'est terminé depuis que je vous ai écrit; je m'applaudis de mon choix. Vous ne connaissez ny son nom, ny sa personne. Il a été ainsi que nos amis longtemps malheureux. Il abandonne la France pour quelques temps et va aux EtatsUnis de l'Amérique et ensuite à l'Isle de France mettre ordre à la fortune qu'il a dans ce pays. Je l'accompagne dans ce long voyage. Si je ne laissais après moi des êtres qui me sont chers, j'abandonnerai ma malheureuse patrie sans la moindre peine. On ne regarde plus comme son pays celui qui s'est souillé de crimes comme la France et qui ne nous laisse que des larmes à répandre. J'avais espéré, chère petite sœur, avoir la satisfaction de vous embrasser et faire votre connaissance en me rendant ici; je vous aurais présenté mon mari et vous aurais demander votre amitié pour lui; mais les circonstances en ont ordonné autrement à mon grand regret. Si vous avez reçu ma lettre, vous aurez vu que je vous annonçais mon arrivée dans votre ville sous quinze jours, mais. arrivés à la Rochelle, il a été impossible de trouver de voiture pour Saintes et pas plus, nous a-t-on dit, de Saintes à Bordeaux. Nous avons pris le parti de nous rendre, tantôt en charette et tantôt en voiture jusqu'à Royan où nous nous sommes embarqués. J'ai éprouvé un instant le mal de mer; le reste du temps je me suis très bien portée. J'espère être aussi heureuse dans le grand voyage que je vais faire. Nous mettons à la voille dans vingt jours. J'ai encore le temps de recevoir de vos nouvelles. Ne me privez pas de cette douce satisfaction. Il y a un sort qui nous prive de nous connaître, car arrivée à Fontenay, j'ai appris avec le plus grand étonnement que vous en étiez partie peu de jours auparavant & J'ai su par plusieurs personnes de cette ville que vous n'avez pas réussi dans les affaires qui vous y avaient conduite. Un homme de place me dit que vous feriez bien de tenter une seconde fois l'aventure. Je vous engage, chère bonne amie, à envoyer vos pièces

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