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Les églises ne sont pas moins attachantes. Celle de SaintJouin-de-Marnes, célèbre monastère déchu, offre à de trop rares paroissiens des nefs immenses et des stalles vides. Notre-Dame de Montmorillon ouvre au-dessus des eaux de la Gartempe, sa crypte couverte de peintures. Quelques-unes lancent vers les nues des flèches épineuses et percées à jour. Lusignan, sur une façade du x° siècle, étale un portail flamboyant, et Saint-Médard, de Thouars, a largement ouvert ses fenêtres en renforçant le système des voûtes. On découvre de charmantes églises de campagne dont les archivoltes, comme à Villesalem, reposent sur des baies, envahies d'orties, d'une profusion d'ornements inattendue. Voici, à Ménigoutte, une chapelle, vrai reliquaire, contemporaine de Jeanne d'Arc. Il reste des collégiales de châteaux, fragiles comme des ivoires au-dessus des courtines, des sanctuaires en rotonde comme des mosquées. On y découvre des tom. beaux édifiés à la mémoire de chefs illustres comme l'amiral de Bonnivet, le plus souvent l'effigie anonyme d'un chevalier ou d'une dame sous d'obscurs enfeux entre des colonnes d'abside. Au fond du village le plus reculé on est sûr de découvrir une muraille en demi-lune, au toit bas sous des modillons grimaçants, ou un portail sans tympan encadré de voussures concentriques.

C'est ici le pays du plein cintre, de l'art des xr et x° siècles dont la floraison s'accomplit autour d'Eléonore d'Aquitaine.

II

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La promenade en Gâtine, Plaine et Bocage - Petits incidents de route: le taureau surpris; les chiens vigilants; le châtelain qu'on dérange L'hospitalité du presbytère; la méprise du Doyen Un répertoire d'église ro

manes.

Mon camarade élevé en ville, ignorait tout des paysans et manquait d'aplomb en face des animaux. En allant voir un

beau pavillon crénelé près de La Roche-Clermault où s'attache, je ne sais plus comment, le souvenir de la Grande Mademoiselle, nous tombâmes dans un carrefour où s'ébrouait un troupeau de vaches autour de son taureau. Elles allaient boire à une grande auge de l'autre côté de la route. Il s'agissait de traverser au milieu des bêtes paisibles qui se déplaçaient nonchalamment sur notre passage. Le taureau nous avait vus, ou sentis. Il s'arrêta de boire et se retourna en soufflant. Pierre pâlit et pressa le pas, malgré mon conseil. Moi-même, je sentis une petite sueur froide le long du dos Nous marchions l'un derrière l'autre, silencieux, sans tourner la tête, sentant l'animal immobile et troublé qui nous suivait de l'œil. Un geste, un cri, je ne sais ce qui se serait passé. Nous filions ainsi devant les muffles encornés et, la dernière génisse disparue, nous jetâmes un regard furtif par dessus l'épaule: le taureau s'était remis à boire.

Ce même jour, nous abordions le seuil de la cour d'honneur d'une belle résidence, non loin des Trois-Moutiers, riche en portraits du xvir° siècle. La grille était ouverte et nous nous disposions à la franchir quand deux énormes Terre-Neuve bondirent en aboyant comme un tonnerre. Nous demeurâmes changés en statues. Avancer était impossible, et battre en retraite, dangereux. Personne en vue. Les bons gardiens, assis sur leur train de derrière, paraissaient en dispositions défensives, décidés à nous interdire toute manœuvre. Le temps semblait long; les chiens, à chaque coup de gueule faisaient retentir les échos et troublaient seuls le silence. Enfin, un bruit de savates se fit entendre, avec un pas trainant, celui du vieux portier en tablier bleu et bonnet grec, qui se mit à rire, en nous voyant interdits en face de ses pensionnaires. Il passa entre eux, les prit par le collier et les renferma dans la cuisine. Mon ami respira.

Mais s'il se troublait devant les bêtes aboyantes et beuglantes, il déployait une ruse et un acharnement dignes de

réussite en présence d'une difficulté d'ordre diplomatique. Un soir de juin, nous descendions de carriole devant un chalet qui commande l'entrée des jardins, parure splendide d'un château aux murailles blondes, posé comme un joyau historique et monumental aux limites de l'Anjou. Depuis l'aube, nous parcourions ces marches poitevines à travers la frontière capricieuse des routes et des cours d'eau. Nous avions logé un moment notre grand fleuve français à l'entour de la ruine illustrée par un fameux roman d'estoc et de taille. Et même, montés sur un bac avec tout notre équipage, nous contemplions la rive semée d'églises et de villas, pendant que notre cocher maintenait son cheval qui dansait. sur les planches mobiles, au milieu des vagues miroitantes. La journée se termina par un crochet qui nous ramenait en arrière, devant le château, dernier article de notre programme. Le concierge nous toisa et répondit à notre question qu'il était bien tard pour visiter; on allait se mettre à table et nous serions probablement éconduits. Sur notre insistance, il consentit à entrebailler le portail et pour nous an noncer, tira sur un cordon qui frémit dans la muraille de lierre jusqu'au bâtiment principal. Nous étions dans la place. Une allée montait le long de la tapisserie des pivoines multicolores bordée du taffetas cramoisi et mordoré des coléus. Elle nous conduisit jusqu'au parterre à la française où chantait toute la gloire des roses. Le château, en fer à cheval, faisait à ce tapis chatoyant un cadre magnifique, avec ses tours saillantes, ses échauguettes, ses pignons à crochets. Une vieille dame, abritée sous son chapeau de paille, cueil lait des fleurs qu'elle déposait dans la corbeille tendue par une fillette en mousseline claire. A notre vue, elles arrêtèrent leur récolte et disparurent. Je me trouvais indiscret, mais Pierre alla de l'avant vers l'entrée principale. Un jeune valet de chambre, en habit et cravate blanche, s'avança vers nous. Il avait une vingtaine d'années et son teint brun, un air ouvert, l'accent traînard et des gestes une peu gauches sous la livrée annonçaient un gars du pays entrain de se

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former. Mon guide lui adressa quelques phrases pathétiques: venus exprès de très loin, nous désirions seulement jeter un coup d'œil sur les pièces de réceptions, notre visite ne devant durer qu'un court instant; le concierge nous ayant permis d'arriver jusqu'ici, il nous serait bien pénible de repartir sans succès. Le brave garçon écoutait, perplexe; il répondit enfin: «< c'est qu'il va falloir servir!... la cloche a déjà sonné... je ne sais comment faire... je vas demander! » Et il disparut dans le vestibule dont il laissa les portes ouvertes. Pierre pénétra derrière lui sans que je puisse le retenir. Nous nous trouvions dans un hall, dont les baies, garnies de tentures, dissimulaient les autres pièces, et comme deux humbles solliciteurs, nous attendions le retour du valet.

Tout à coup retentit près de nous, de l'autre côté de la draperie, un énergique juron, envoyé à pleine voix et sentant son régiment de cavalerie, en même temps qu'avec un bruit de journal qu'on froisse, une voix irritée s'écriait: «Mais il n'y a donc pas moyen d'être tranquille une minute dans cette maison? » On n'entendait pas la réponse de l'interlocuteur qui devait murmurer à notre intention. La voix reprit: «< ce n'est pas le moment!... 'ils n'avaient qu'à venir plus tôt... on ne dérange pas ainsi tout le monde à une heure pareille! » Nous échangeâmes un regard piteux sous un grand miroir en face d'un bahut dont les cariatides. vêtues à l'antique, étaient des allégoires des sciences et des arts. De magnifiques verdures se déployaient sur les parois et des plantes de serre montaient dans le renfoncement des fenêtres. Le châtelain, un peu calmé, continuait: « Quels sont ces gens-là... voyons... des étudiants... Poitiers... Et où sont-ils?... comment! vous les avez laissés entrer? Quel toupet!... Ils attendent! Mais c'est inouï de poursuivre les habitants jusque chez eux!.. Alors, puisqu'ils sont là, conduisez-les à la galerie, à la chambre du roi, et vivement!... Je vous donne cinq minutes, et dites en passant au maître d'hôtel d'attendre. C'est insensé! » Le jeune homme reparut sous le rideau; il soupira comme pour dire: « çà été dur! »

et nous précéda le long du solennel escalier. Pierre triomphait et se retournant vers moi, il chuchotta: « vous voyez qu'avec de la patience et un peu d'aplomb, on pénètre partout. Ce brave garçon nous a bien aidés; il y a son intérêt; je ne l'oublierai pas! >>

Mais où il était le plus à l'aise, c'était devant une de ces églises si nombreuses en Poitou, où la pierre fleurit encore sur un chapiteau fracassé. Immobiles devant la façade d'une antique abbatiale, nous scrutions du regard la ciselure des fenêtres et la passementerie des piliers: Une végétation étrange s'épanouit sur les arcades, mêlée à des animaux plus singuliers encore, lions, chevaux, volatiles affrontés dont les corps symétriques semblent venir d'une tenture assyrienne. Un homme montre sur les débris d'un destrier sa tête en morceaux dans le casque et un bras pris dans la cotte de mailles. La première messe vient de finir et les villageoises parcourent la place. Elles ont des silhouettes presque monastiques sous l'ample cape. Quelques-unes, coiffées du haut bonnet cerclé de velours, évasé près des oreilles, font penser à nos reines douairières, Louise de Savoie, Catherine, Jeanne d'Albret.

Nous entrons sous la haute voûte partagée en losanges par des nervures qui enjambent les travées. M. le curé semble fort affairé dans la décoration du maître autel. Pierre connaît tous les ecclésiastiques du diocèse qui possèdent la moindre pierre sculptée. L'abordage s'impose; l'invitation va suivre. Il n'est d'ailleurs pas en reste à Poitiers où la table et le cabinet de son père sont largement offerts au clergé. Et d'ailleurs notre visite est une fête pour l'hôte présumé, dans la monotonie ambiante. Ce disant, il me laisse sous la tribune, louvoie entre les bancs et double le cap du confessionnal dans la direction de la balustrade où s'appuie

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