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le soleil se lever le lendemain sera grande; chaque observation, c'est-à-dire, chaque jour, produit une probabilité, et la somme de ces probabilités réunies, dès qu'elle est très-grande, donne la certitude physique. L'on pourra donc toujours exprimer cette certitude par les nombres, en datant de l'origine du tems de notre expérience, et il en sera de même de tous les autres effets de la Nature. Par exemple, si l'on veut réduire ici l'ancienneté du monde et de notre expérience à six mille ans, le soleil ne s'est levé pour nous (1) que deux millions 190 mille fois; et comme à dater du second jour qu'il s'est levé, les probabilités de se lever le lendemain augmentent comme la suite 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64.... ou 2"-1 , on aura (lorsque dans la suite naturelle des nombres, n est égale 2,190000); on aura, dis-je, 2"--1 = 22,189999; ce qui est déjà un nombre si prodigieux que nous ne pouvons nous en former une idée; et c'est par cette raison qu'on doit regarder la certitude physique comme composée d'une

(1) Je dis pour nous, ou plutôt pour notre climat, car cela ne seroit pas exactement vrai pour le climat des poles.

immensité de probabilités; puisqu'en reculant la date de la création seulement de deux, milliers d'années, cette immensité de pro

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babilités devient 23°°° fois plus que 2189999.

VII.

Mais il n'est pas aussi aisé de faire l'estimation de la valeur de l'analogie, ni par conséquent de trouver la mesure de la certitude morale. C'est à la vérité le dégré de probabilité qui fait la force du raisonnement analogique; et en elle-même l'analogie n'est que la somme des rapports avec les choses connues; néanmoins, selon que cette somme ou ce rapport en général sera plus ou moins grand, la conséquence du raisonnement analogique sera plus ou moins sûre, sans cependant être jamais absolument certaine. Par exemple, qu'un témoin, que je suppose de bon sens, me dise qu'il vient de naître un enfant dans cette ville, je le croirai sans hésiter, le fait de la naissance d'un enfant n'ayant rien que de fort ordinaire, mais ayant au contraire une infinité de rapports avec les choses connues, c'est-à-dire, avec la naissance de tous les autres enfans: je croirai donc ce fait sans cependant en être absolu

ment certain; si le même homme me disoit que cet enfant est né avec deux têtes, je le croirois encore, mais plus foiblement, un enfant avec deux têtes ayant moins de rapport avec les choses connues; s'il ajoutoit que ce nouveau-né a non seulement deux têtes, mais qu'il a encore six bras et huit jambes, j'aurois avec raison bien de la peine à le croire, et cependant quelque foible que fût ma croyance, je ne pourrois la lui refuser en entier; ce monstre, quoique fort extraordinaire, n'étant néanmoins composé que de parties qui ont toutes quelque rapport avec les choses connues, et n'y ayant que leur assemblage et leur nombre de fort extraordinaire. La force du raisonnement analogique sera donc toujours proportionnelle à l'analogie elle-même, c'est-à-dire, au nombre des rapports avec les choses connues; et il ne s'agira, pour faire un bon raisonnement analogique, que de se mettre bien au fait de toutes les circonstances, les comparer avec les circonstances analogues, sommer le nombre de celles-ci, prendre ensuite un modèle de comparaison auquel on rapportera cette valeur trouvée, et l'on aura au juste la probabilité, c'est-à-dire, le dégré de force du raisonnement analogique.

VIII.

Il y a donc une distance prodigieuse entre la certitude physique et l'espèce de certitude qu'on peut déduire de la plupart des analogies; la première est une somme immense de probabilités qui nous force à croire; l'autre n'est qu'une probabilité plus ou moins grande, et souvent si petite, qu'elle nous laisse dans la perplexité. Le doute est toujours en raison inverse de la probabilité, c'est-à-dire, qu'il est d'autant plus grand que la probabilité est plus petite. Dans l'ordre des certitudes produites par l'analogie, on doit placer la certitude morale; elle semble même tenir le milieu entre le doute et la certitude physique ; et ce milieu n'est pas un point, mais une ligne très-étendue, et de laquelle il est bien difficile de déterminer les limites : on sent bien que c'est un certain nombre de probabilités qui fait la certitude morale; mais quel est ce nombre? et pouvons-nous espérer de le déterminer aussi précisément que celui par lequel nous venons de représenter la certitude physique?

Après y avoir réfléchi, j'ai pensé que de toutes les probabilités morales possibles,

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celle qui affecte le plus l'homme en général, c'est la crainte de la mort; et j'ai senti dès-lors que toute crainte ou toute espérance, dont la probabilité seroit égale à celle qui produit la crainte de la mort, peut dans le moral être prise pour l'unité à laquelle on doit rapporter la mesure des autres craintes; et j'y rapporte de même celle des espérances, car il n'y a de différence entre l'espérance et la crainte, que celle du positif au négatif; et les probabilités de toutes deux doivent se mesurer de la même manière. Je cherche donc quelle est réellement la probabilité qu'un homme qui se porte bien, et qui par conséquent n'a nulle crainte de la mort, meure néanmoins dans les vingtquatre heures. En consultant les Tables de mortalité, je vois qu'on en peut déduire qu'il n'y a que 10,189 à parier contre 1 qu'un homme de cinquante-six ans vivra plus d'un jour (1). Or, comme tout homme de cet âge, où la raison a acquis toute sa maturité, et l'expérience toute sa force, n'a néanmoins nulle crainte de la mort dans les vingtquatre heures, quoiqu'il n'y ait que 10,189 à

(1) Voyez, tome XIX, le résultat des Tables de mortalité.

parier

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