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réelle. L'examen que je fis de son livre confirma pleiment cette conjecture, et changea du reste toutes les idées que j'avais pu me former de l'auteur. Comme tant d'autres fondateurs, il était sans doute bien loin de prévoir la direction que devaient prendre les opinions qu'il enseignait ; et s'il reparaissait encore sur la terre, il aurait lieu de se plaindre du tort que lui ont fait ses indignes disciples. Au lieu du patriarche d'une secte de jongleurs, de magiciens et d'astrologues, cherchant le breuvage d'immortalité, et les moyens de s'élever au ciel en traversant les airs, je trouvai dans son livre un véritable philosophe, moraliste judicieux, théologien disert et subtil métaphysicien. Son style a la majesté de celui de Platon et, il faut le dire aussi, quelque chose de son obscurité. Il exprime des conceptions toutes semblables presque dans les mêmes termes, et l'analogie n'est pas moins frappante dans les expressions que dans les idées. Voici, par exemple, comme il parle du souverain Être << Avant le chaos qui a précédé la naissance du » ciel et de la terre, un seul être existait, immense >> et silencieux, immuable et toujours agissant. C'est » la mère de l'univers. J'ignore son nom; mais je le » désigne par le mot de RAISON...... L'homme a son >> modèle dans la terre, la terre dans le ciel, le ciel >> dans la raison, la raison en elle-même. »> La morale qu'il professe est digne de ce début. Selon lui, la perfection consiste à être sans passions pour mieux contempler l'harmonie de l'univers. « Il n'y a pas,

dit-il, de plus grand péché que les désirs déréglés,

>> ni de plus grand malheur que les tourmens qui en » sont la juste punition. » Il ne cherchait pas à répandre sa doctrine. « On cache avec soin, disait-il, » un trésor qu'on a découvert. La plus solide vertu. » du sage consiste à savoir passer pour un insensé.

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Il ajoutait que le sage devait suivre le tems et s'accommoder aux circonstances: précepte qu'on pourrait croire superflu, mais qui sans doute devait s'entendre dans un sens un peu différent de celui qu'il aurait parmi nous. Au reste, toute sa philosophie respire la douceur et la bienveillance. Toute son aversion est pour les cœurs durs et les hommes violens. On a remarqué ce passage sur les conquérans : « La paix la >> moins glorieuse est préférable aux plus brillans » succès de la guerre. La victoire la plus éclatante » n'est que la lueur d'un incendie. Qui se pare de ses

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lauriers, aime le sang, et mérite d'être effacé du >> nombre des hommes. Les anciens disaient Ne >> rendez aux vainqueurs que des honneurs funèbres; >> accueillez-les avec des pleurs et des cris en mé>>moire des homicides qu'ils ont faits, et que les mo>> numens de leurs victoires soient environnés de >> tombeaux. »

La métaphysique de Lao-tseu offre bien d'autres traits remarquables, que je me suis attaché à développer dans mon Mémoire, et que, par divers motifs, je me vois contraint de passer sous silence. Comment en effet donner une idée de ces hautes abstractions et de ces subtilités inextricables où se joue et s'égare l'imagination orientale? Il suffira de dire ici

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que les opinions du philosophe chinois sur l'origine. et la constitution de l'univers, n'offrent ni fables vidicules ni choquantes absurdités; qu'elles portent l'empreinte d'un esprit noble et élevé, et que dans les sublimes rêveries qui les distinguent, elles présentent une conformité frappante et incontestable avec la doctrine que professèrent un peu plus tard les écoles de Pythagore et de Platon. Comme les pythagoriciens et les stoïciens, notre philosophe admet pour première cause la raison, être ineffable, incréé, qui est le type de l'univers, et n'a de type que lui-même. Ainsi que Pythagore, il prend les ames humaines pour des émanations de la substance éthérée, qui vont s'y réunir à la mort, et de même que Platon, il refuse aux méchans la faculté de rentrer dans le sein de l'ame

universelle. Comme Pythagore, il donne aux premiers principes des choses les noms des nombres, et sa cosmogonie est en quelque sorte algébrique. Il rattache la chaîne des êtres à celui qu'il appelle un, puis à deux, puis à trois qui ont fait toutes choses. Le divin Platon qui avait adopté ce dogme mystérieux, semble craindre de le révéler aux profanes. Il l'enveloppe de nuages dans sa fameuse lettre aux trois amis; il l'enseigne à Denys de Syracuse, mais par énigmes, comme il le dit lui-même, de peur que ses tablettes venant, sur terre ou sur mer, à tomber entre les mains de quelque inconnu, on ne puisse les lire et les entendre. Peut-être le souvenir récent de la mort de Socrate contribuait-il à lui imposer cette réserve. Lao-tseu n'use pas de tous ces détours; et ce qu'il y

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a de plus clair dans son livre, c'est qu'un être trine a formé l'univers. Pour comble de singularité, il donne à cet être un nom hébreu à peine altéré, le nom même qui désigne dans nos livres saints celui qui a été, qui est, et qui sera. Ce dernier trait confirme tout ce qu'indiquait déjà la tradition d'un voyage de Laotseu dans l'Occident, et ne laisse aucun doute sur l'origine de sa doctrine. Vraisemblablement il la tenait ou des Juifs des dix tribus que la conquête de Salmanazar venait de disperser dans toute l'Asie, ou des apôtres de quelque secte phénicienne, à laquelle appartenaient aussi les philosophes qui furent les maîtres et les précurseurs de Pythagore et de Platon. En un mot, nous retrouvons dans les écrits de ce philosophe chinois les dogmes et les opinions qui faisaient, suivant toute apparence, la base de la foi orphique, et de cette antique sagesse orientale dans laquelle les Grecs allaient s'instruire à l'école des Égyptiens, des

Thraces et des Phéniciens.

Maintenant qu'il est certain que Lao-tseu a puisé aux mêmes sources que les maîtres de la philosophie ancienne, on voudrait savoir quels ont été ses précepteurs immédiats, et quelles contrées de l'Occident il a visitées. Nous savons par un témoignage digne de foi qu'il est venu dans la Bactriane. Mais il n'est pas impossible qu'il ait poussé ses pas jusque dans la Judée, ou même dans la Grèce. Un Chinois à Athènes, offre une idée qui répugne à nos opinions, ou, pour mieux dire, à nos préjugés sur les rapports des nations anciennes. Je crois, toutefois, qu'on doit s'habituer à

ces singularités; non qu'on puisse démontrer que notre philosophe chinois ait effectivement pénétré jusque dans la Grèce, mais parce que rien n'assure qu'il n'y en soit pas venu d'autres vers la même époque, et que les Grecs n'en aient pas confondu quelqu'un dans le nombre de ces Scythes qui se faisaient remarquer par l'élégance de leurs mœurs, leur douceur et leur poli

tesse.

Au reste, quand Lao-tseu se serait arrêté en Syrie,, après avoir traversé la Perse, il eût déjà fait les trois quarts du chemin, et la partie la plus difficile. Depuis qu'on s'attache exclusivement à la recherche des faits, on conçoit à peine que le seul désir de connaître des opinions ait pu faire entreprendre des courses si pénibles. Mais c'était alors le tems des voyages philosophiques; on bravait la fatigue pour aller chercher la sagesse, ou ce qu'on prenait pour elle ; et l'amour de la vérité lançait dans des entreprises devant lesquelles l'amour du gain eût reculé. Il y a dans ces excursions lointaines quelque chose de romanesque qui nous les rend à peine croyables. Nous ne saurions nous imaginer qu'à ces époques reculées, où la géographie était si peu perfectionnée et le monde encore enveloppé d'obscurité, des philosophes pussent, par l'effet d'une louable curiosité, quitter leur patrie, et parcourir, malgré mille obstacles et en traversant des régions inconnues, des parties considérables de l'ancien continent. Mais on ne doit pas nier tous les faits qui embarrassent, et ceux de ce genre se multiplient chaque jour, à mesure qu'on approfondit l'histoire

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